Le 9 janvier dernier, l’Olympique lyonnais (OL) recevait le club de Troyes, alors dernier du classement, pour le début de la phase retour du championnat de football de Ligue 1 2015/2016. Bien que modeste, cette affiche a constitué un moment majeur dans l’histoire du club, en raison de l’inauguration de son nouveau stade, le Parc Olympique lyonnais (58 927 places), situé dans la commune de Décines-Charpieu, à la périphérie est de l’agglomération. Cette inauguration était prévue bien plus tôt (d’abord en 2010 puis en 2012), à une période où le club s’était imposé comme le plus performant de France économiquement et sportivement. Mais depuis la présentation du projet en 2005 par Jean-Michel Aulas [1] – président emblématique du club depuis 1987 –, plusieurs facteurs ont contribué à ralentir sa mise en œuvre. Vivement contesté localement, longtemps repoussé, comme à Lille (Sawicki 2012), par un interminable imbroglio juridique et administratif, le projet a même failli ne jamais aboutir (Binctin 2014). Le stade a cependant été livré in extremis pour accueillir plusieurs rencontres du Championnat d’Europe des Nations 2016, dont le huitième de finale victorieux de l’équipe de France face à la République d’Irlande.
Comment expliquer la genèse difficile et les polémiques qu’a suscitées l’implantation de cette infrastructure dans l’agglomération lyonnaise ? Cette contribution propose d’apporter quelques éléments de réponse à ces questions, à travers un double éclairage sur les compromis économiques et politiques noués autour du projet, ainsi que sur les problèmes de localisation et de durabilité posés par cet équipement.
Un projet contesté dès l’origine
La construction d’un nouveau stade à Lyon fait d’emblée l’objet de vives contestations, provenant tant de la classe politique locale – tout particulièrement des élus écologistes – que d’associations aux statuts et intérêts très différents, telles que Carton rouge, qui dénonce principalement les dérives financières et les nuisances environnementales associées au projet, le collectif Les Gones pour Gerland, attaché au maintien du club dans son stade historique, ou encore l’association des contribuables de Lyon (CANOL [2]).
Les critiques concernent toutefois au premier chef le montage financier du projet. En février 2006, OL Groupe [3] lève des fonds via une introduction en bourse pour financer la construction du stade, ce qui suscite une première série de reproches de caractère général portant à la fois sur la financiarisation croissante du football et sur les ambitions jugées démesurées du club lyonnais dans une période de stagnation économique.
Mais les opposants dénoncent aussi et surtout, dans un contexte de réduction des dépenses de l’État et des collectivités, le financement public de l’aménagement des accès et des espaces publics autour d’un équipement dont la réalisation est destinée prioritairement à permettre à un groupe privé de dégager de nouveaux revenus (billetterie, revenus commerciaux, produits dérivés). Jean-Michel Aulas lui-même annonce plusieurs fois dans la presse locale un objectif de « 100 millions d’euros de revenus annuels » (alors que le stade de Gerland ne rapportait annuellement « que » 21 millions) – chiffre jugé toutefois peu réaliste par de nombreux experts.
Les écueils de l’étalement urbain et de la dépendance automobile
Le lancement du projet a conduit à la recherche d’un site libre et adapté aux objectifs des dirigeants d’OL Groupe : accueillir non seulement le stade et le centre d’entraînement du club, mais aussi des hôtels, un parc d’affaires incluant les bureaux du siège d’OL Groupe, un musée, une clinique sportive et des espaces commerciaux – en somme, bâtir un véritable « OL Land ». Cette recherche s’est toutefois révélée longtemps infructueuse. C’est finalement le président du Grand Lyon, Gérard Collomb, qui propose à Jean-Michel Aulas un site de 50 hectares situé dans la commune de Décines-Charpieu, à une douzaine de kilomètres du centre-ville, en discontinuité avec le reste de l’unité urbaine lyonnaise. La majorité des terrains réquisitionnés sont agricoles. L’expropriation d’une quarantaine d’agriculteurs pour des montants considérés comme dérisoires par les opposants (à peine un euro le mètre carré !) entraîne une nouvelle vague de contestations, bénéficiant d’une large couverture médiatique. Au cœur des polémiques se trouvent les plus-values attendues de l’urbanisation de ces terrains, destinées à financer en partie le complexe sportif et ludique imaginé par OL Groupe (Binctin 2014).
La bataille se joue alors sur le terrain juridique. Le 11 juillet 2008, à la suite de la phase d’enquête publique, ponctuée d’une large mobilisation des associations, le commissaire enquêteur donne un avis défavorable à la révision du plan local d’urbanisme (PLU), nécessaire à la réalisation du complexe. C’est une nouvelle fois la communauté urbaine du Grand Lyon qui vient au secours du projet, en adoptant en 2009 une délibération rendant possible la modification de l’usage des terrains afin de les rendre en partie constructibles. Mais de nombreux autres recours ont contribué à ralentir les démarches administratives : alors que la signature du permis de construire est survenue en février 2012, le montage financier n’a été bouclé qu’à l’été 2013.
Le débat se porte aussi et plus largement sur la localisation de l’infrastructure. Malgré la passation en 2008 d’un accord entre l’OL et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), destiné à réduire le bilan carbone et à renforcer le « caractère écologique » du futur complexe, les opposants pointent les contradictions entre sa construction et les principes de la ville durable, pourtant placés au cœur de la politique urbaine du Grand Lyon depuis le début des années 2000. En effet, en choisissant un site agricole très éloigné du centre, les responsables d’OL Groupe ont pris le risque de contribuer à la poursuite de l’étalement urbain dans l’aire urbaine lyonnaise (Urbanisme 2014). De fait, de nombreux experts que le futur complexe constituera un point de cristallisation pour de nouveaux développements suburbains en marge des axes d’urbanisation préexistants (Merle et Tabarly 2011). Il existait, pourtant, d’autres solutions, comme la réhabilitation du stade Gerland ou l’utilisation de sites en friche dans la première couronne de l’agglomération.
Par ailleurs, alors que Gerland est sans doute l’un des stades les plus accessibles de France en transports en commun – au cours des vingt dernières années, il a bénéficié du prolongement de la ligne B du métro ainsi que du tramway T1 –, la desserte du Parc OL est médiocre et lacunaire. En particulier, les « débranchements » réalisés des lignes de tramway T3 (une « fourche » de 600 mètres en direction du stade) et T2 (permettant de créer la ligne T5 desservant le parc d’expositions Eurexpo) ne seront pas intégrés à l’ensemble du réseau et entraînent des coûts de fonctionnement très élevés. La plupart des spectateurs se rendent donc au stade en voiture, grâce à l’aménagement d’un nouvel échangeur sur la rocade A46, pourtant déjà totalement saturée, et d’un parking de 7 000 places, qui vient s’ajouter aux autres grands parcs de stationnement de l’Est lyonnais : Eurexpo, parcs relais du tramway T3 [4].
Dans ces conditions, l’OL exerce une forte pression sur les milieux politiques lyonnais pour obtenir le prolongement du métro A de Vaulx-en-Velin jusqu’à Décines. Mais est-il vraiment raisonnable de construire un mode de transport lourd et particulièrement coûteux pour assurer la desserte ponctuelle et irrégulière d’un grand équipement ? Un tel choix constituerait, par ailleurs, un retournement complet de la stratégie urbaine lyonnaise, fondée sur la structuration de l’urbanisation future à partir des axes de transport existants, et non l’inverse.
Une collusion entre milieux politiques, sportifs et économiques ?
Deux éléments ont permis de dépasser ces différentes oppositions. Le premier est le soutien indéfectible du sénateur-maire de Lyon et président du Grand Lyon, Gérard Collomb. Bénéficiant des succès sportifs de l’OL pendant les années 2000 [5], il s’affiche en faveur du nouveau stade dans la perspective des élections municipales de 2008. Quoique risqué politiquement, tant ce dossier est devenu au fil du temps de plus en plus sensible, ce soutien initial l’a conduit à être « pieds et poings liés » au projet, qu’il a énergiquement défendu auprès des élus du Grand Lyon, jusqu’à obtenir la révision des documents d’urbanisme (lire plus haut), tout en recherchant d’autres soutiens locaux (au conseil général du Rhône, à la chambre de commerce et d’industrie de Lyon et à la CGPME [6] notamment). Le maire de Lyon est allé jusqu’à présenter, lors de la dernière campagne municipale [7], les « bénéfices écologiques » de ce projet, car il permettrait de créer un « corridor vert » reliant deux zones naturelles à l’est de l’agglomération !
Le second est la perspective de l’accueil du championnat d’Europe des Nations en 2016 en France. Le projet de grand stade s’inscrit en effet dans une volonté générale des dirigeants du football français, soutenus par les gouvernements successifs, d’améliorer la qualité de leurs enceintes et de les rapprocher des standards de l’élite européenne (anglaise et allemande notamment). Lyon, deuxième agglomération de France, est appelée à occuper une place majeure dans ce programme de modernisation. En mai 2011, le quotidien gratuit Métro décrit même le futur complexe de Décines comme « l’un des piliers de la candidature française à l’Euro 2016 ». Ce caractère stratégique rend possible l’adoption en mai 2011 d’une déclaration d’intérêt général concernant le « grand stade de l’Olympique lyonnais », permettant opportunément d’accélérer les démarches administratives et le lancement de la phase opérationnelle.
D’autres villes ont pourtant choisi d’agrandir et de moderniser leur stade emblématique, comme Marseille ou Saint‑Étienne, dont les extensions ont été inaugurées en 2014 [8]. Ce choix a l’avantage de s’appuyer sur les infrastructures existantes, qui bénéficient d’un emplacement central et accessible. À Gerland, en dépit de fortes contraintes patrimoniales liées à l’inscription du stade (inauguré en 1920) au titre des monuments historique, la capacité pouvait être portée à 50 000 places, alors même que le stade était rarement plein, hormis pour les grandes affiches. Mais un tel choix impliquait aussi d’étaler les travaux pendant plusieurs années et de connaître plusieurs saisons avec une billetterie amputée…
Un avenir incertain ?
Quelques mois après l’inauguration du Parc OL, plusieurs questions restent en suspens. Alors que des actions en justice sont encore en cours, les constructions annexes prévues par le projet se poursuivent autour du stade, mais leur avenir reste incertain. Par ailleurs, que va devenir le stade municipal de Gerland ? La principale équipe de rugby de la ville, le Lyon olympique universitaire (LOU), souhaite en devenir le club résident et vient de présenter un projet de réaménagement assez ambitieux, fort mal accueilli par Jean-Michel Aulas. Ce projet, ajouté à celui de la construction d’une grande salle pour le club de basket emblématique de l’agglomération (l’ASVEL, champion de France 2016), signale le dynamisme sportif métropolitain, dans une ville longtemps en retrait sur ce plan. Mais il pose des questions de concurrence entre ces équipements pour l’accueil de grandes manifestations sportives ou ludiques, qui laissent perplexe quant à leur rentabilité future.
Bibliographie
- Binctin, B. 2014. « Quand le foot-business fait son grand projet inutile et imposé : le cas d’OL Land », Mouvements, n° 78, p. 43‑54.
- Merle, S et Tabarly, S. 2011. « Les grands stades et l’aménagement du territoire, deux études de cas », Géoconfluences, 28 novembre.
- Sawicki, F. 2012. « La résistible politisation du football. Le cas de l’affaire du grand stade de Lille Métropole », Sciences sociales et sport, vol. 1, n° 5, p. 193‑241.
- Urbanisme. 2014. « Grands stades en quête d’urbanité », n° 393.