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Essais

Le football, entre fierté urbaine et déterritorialisation

Quelques réflexions à partir du cas marseillais
En s’appuyant notamment sur sa connaissance fine du cas marseillais, Christian Bromberger s’interroge sur les transformations ambivalentes des liens unissant les amateurs de football à l’équipe de leur ville, entre célébration de l’identité locale et distanciation liée aux évolutions du spectacle du football.

Dossier : Le football en rénovation : quels stades pour quelles villes ?

Les matchs de football entre clubs illustrent aujourd’hui un paradoxe frappant : alors que l’attachement partisan à sa ville demeure, on assiste à une dissolution croissante des liens unissant le supporter à l’équipe locale. Ainsi, en février 2016, le match entre l’Olympique de Marseille (OM) et le Paris Saint-Germain (PSG) attire au stade Vélodrome 63 000 spectateurs, exaltant la cité phocéenne et fustigeant la capitale arrogante et dominatrice – cette passion pour le club et sa ville n’excluant cependant pas le désir caché de voir de près les exploits des vedettes de l’équipe adverse. Football et identité urbaine continuent donc d’être associés, comme en témoigne la fidélité au maillot. Toutefois, les liens entre les supporters et leur club se sont distendus, de telle sorte que les médiations entre l’amour du lieu et l’amour de l’équipe ne semblent plus que des souvenirs. Qu’est-ce à dire ?

La fin des styles

Jusque dans les années 1980, l’identification à un club n’était pas perçue et conçue par les supporters comme le simple signe (arbitraire) d’une commune appartenance, mais comme le symbole (motivé) d’un mode spécifique d’existence collective qu’incarnait le style de jeu de l’équipe, modulation aux tonalités propres d’un langage universel. Ce style local ne correspondait pas toujours, loin s’en faut, à la pratique réelle des joueurs, mais plutôt à l’image stéréotypée, enracinée dans la durée, qu’une collectivité se donnait d’elle-même et qu’elle souhaitait donner aux autres. Non pas tant, donc, à la manière dont les hommes jouent (et vivent), mais à la manière dont ils se plaisent à raconter le jeu de leur équipe (et leur existence). Chaque grande équipe imprimait sa marque propre sur le jeu, si bien qu’une confrontation importante se présentait comme « une guerre des styles ». Ainsi, la vaillance laborieuse, jusqu’à l’épuisement, était considérée comme la dominante stylistique de l’équipe de Saint-Étienne (Charroin 1992) de la grande époque (années 1970). De façon significative, dans le palmarès des vedettes établi par les supporters, c’est un défenseur argentin de l’équipe de 1972 à 1979, Oswaldo Piazza, qui occupe la première place ; il s’illustrait par sa pugnacité et son courage, remontant le terrain en de longues chevauchées, même quand tout espoir de victoire semblait envolé. À Lens prévalait un style similaire ; on attendait de l’équipe qu’« elle mouille le maillot » et qu’elle offre un miroir aux vertus de solidarité et de courage revendiquées par les ouvriers du bassin houiller.

Le style que l’on prisait à l’OM se distinguait fortement de ces façons laborieuses. Il était fait de panache, de virtuosité et d’efficacité. La devise du club n’est-elle pas, dès ses origines en 1899, « Droit au but » ? Dans l’imaginaire olympien, ce sont des vedettes virtuoses et spectaculaires qui occupent le premier rang (Bromberger 1995). Ce goût pour le panache se combinait avec une prédilection pour les joueurs pugnaces, qui exhibaient pleinement leurs qualités viriles. On se remémore encore avec ferveur la fougue et l’autorité de Josip Skoblar, qui, de l’avis de vieux supporters, « savait se faire respecter » et « s’imposer » au sein des défenses adverses ; il n’hésitait pas, rapportent-ils avec nostalgie, à donner un coup de coude dans le ventre de l’arrière qui lui était opposé ou même à lui cracher au visage !

Pour le jeune supporter, découvrir progressivement ces propriétés du style local était une manière d’éducation sentimentale aux valeurs qui façonnent sa ville. Mais les 30 dernières années ont vu disparaître la guerre des styles locaux. Les changements d’entraîneur, mais aussi les transferts de joueurs à un rythme élevé, ont contribué à mettre un terme à cette continuité stylistique. Ainsi, lors de l’intersaison 2015, 16 joueurs sont partis de l’OM, tandis que 15 nouveaux sont arrivés ; et de 2012 à aujourd’hui, pas moins de sept entraîneurs se sont succédé.

La fin du mythe de l’équipe miroir de la population locale

La composition de l’équipe a longtemps offert une autre métaphore, expressive et grossissante, de l’identité collective locale, comme un reflet idéalisé de la population et de ses conceptions de l’appartenance. Ainsi, à Glasgow, jusqu’à la fin des années 1980, le critère religieux était déterminant pour le recrutement des joueurs : au Celtic, club catholique fondé par un frère mariste, soutenu par les immigrés irlandais et présidé à ses débuts par l’archevêque de la ville, s’opposait le club des Rangers, qui rassemblait protestants et unionistes (Murray 1994). En 1989, un premier coup fut porté à cette bipartition : pour la première fois depuis 80 ans, un joueur catholique, Maurice Johnston, rejoignit les Rangers. Il s’ensuivit une très vive polémique. Depuis, l’économie et les enjeux sportifs ont pris le pas sur l’identité pour le recrutement des joueurs ; ainsi, en 2006, l’équipe des Rangers comptait plusieurs joueurs et un entraîneur français ne provenant pas de régions protestantes. Si la pratique religieuse a très sensiblement décru, à Glasgow comme ailleurs, on se définit cependant toujours comme protestant ou catholique, ces appellations renvoyant aux origines (le plus souvent irlandaises pour les catholiques), voire à des options politiques, l’Église catholique s’opposant, par exemple, à la politique libérale du gouvernement britannique. Le derby (« the Old Firm ») demeure très tendu. « Jelly and ice cream when Rangers die » (« De la gelée et de la glace à la mort des Rangers »), disait un slogan des supporters du Celtic à la suite de la liquidation du club protestant en 2012 (depuis, les Rangers ont regagné la première division écossaise et les derbys passionnés ont repris).

En France, le Racing Club de Lens a longtemps été le symbole d’une équipe comportant de nombreux ouvriers d’origine polonaise, comme l’était un grand nombre des « gueules noires ». Ainsi, après une période sombre, le club dut en partie sa résurrection dans les années 1970 au renfort de deux talents recrutés en Pologne, Faber et Gregorczyk. À Marseille, ce sont les vedettes étrangères qui, à travers le temps, ont recueilli le plus de faveurs : Kohut, Vasconcellos, Ben Barek dans les années 1930‑1940 ; plus près de nous, les Suédois Andersson et Magnusson, le Yougoslave Skoblar, les Brésiliens Jairzinho et Paulo César, l’Anglais Waddle, l’Italien Ravanelli, l’Ivoirien Drogba… Ne symbolisent-ils pas le cosmopolitisme idéalisé de la cité, une facette de l’imaginaire urbain qui contraste avec la stigmatisation, voire le rejet, de l’Autre au quotidien ? On associe volontiers à ces vedettes étrangères des « minots » nés à Marseille ou dans sa proche région, qui ont porté haut les couleurs de leur club et ont notamment assuré son sauvetage de 1981 à 1984, quand celui-ci était au plus bas.

En somme, l’équipe symbolisait, rendait visible et incarnait, par sa composition, l’identité réelle et imaginaire de la collectivité qu’elle représentait. De cette époque, nous vivons le chant du cygne. De récentes dispositions réglementaires [1] mais aussi et surtout la transformation des clubs en entreprises privées de spectacle ont modifié le rapport d’identification entre le public et les vedettes de « son » équipe. Les joueurs qui, jadis, étaient issus du « coin de la rue » et accomplissaient une grande partie de leur carrière dans un même club (au prix, il est vrai, de contrats souvent léonins ; Wahl et Lanfranchi 1995) se sont, pour la plupart, transformés en étoiles filant au gré des sollicitations du marché. Plus un nom polonais dans l’équipe du RC Lens ; un seul joueur « marseillais » dans celle de l’OM, en dehors des remplaçants ; pas la moindre vedette étrangère qui incarnerait le « Droit au but » et susciterait l’enthousiasme des supporters.

La fin des industriels et des patrons locaux

Jusque dans les années 1960 et dans de rares cas au-delà, les présidents de clubs étaient des industriels locaux qui tiraient un profit indirect (valorisation de l’esprit d’entreprise, atténuation des tensions sociales) de leurs largesses. Jooris, grand brasseur lillois, joua un rôle déterminant à la tête du club de la ville (le LOSC) ; Prouvost, magnat du textile, présida le RC Roubaix ; Pierre et Geoffroy Guichard, patrons des établissements Casino, ancrèrent le football et la couleur verte, celle de leur marque, à Saint-Étienne. Au demeurant, le premier et les derniers donnèrent leur nom au stade de leur ville. On pourrait citer des exemples similaires en Italie : les Agnelli, à la tête de la Fiat et de la Juventus à Turin ; le riche armateur Doria à Gênes, fondateur et mécène de la Sampdoria ; l’industriel du textile Ascarelli puis l’armateur Lauro à Naples.

Le management du club était ainsi au diapason de l’imaginaire de la ville et d’une entreprise qui la dominait. Patrick Fridenson (1989) et, plus récemment, Antoine Mourat (2010) ont bien montré comment le club et l’équipe de Sochaux étaient gérés sur le modèle industriel de Peugeot : « Il appartient aux responsables de l’équipe de connaître parfaitement chaque équipier afin de le placer à l’endroit où il est capable de rendre son maximum », lit-on dans un numéro du journal de l’entreprise de 1954. « À l’usine, c’est la même chose, chacun doit être parfaitement à sa place et il appartient à chacun d’y veiller ». René Hauss, le directeur technique du FC Sochaux dans les années 1970, vantait cette discipline d’usine sur les terrains : « Pas de concertation, pas de contestation, une hiérarchie bien établie », déclarait-il à L’Entraîneur français en 1976.

Ce schéma se transforme profondément dans les années 1970 et 1980. Les dirigeants de clubs professionnels sont désormais des magnats de la communication et de l’édition : Marcel Leclerc, dirigeant de journaux sportifs, à Marseille ; Jean-Luc Lagardère (Hachette), président de l’éphémère Matra-Racing à Paris ; Michel Denisot (Canal+) au Paris Saint-Germain. D’autres sont promoteurs immobiliers ou dirigeants de chaînes de produits de consommation. Mais la plupart de ces condottieri, souhaitant se montrer et faire valoir leur image, ont encore un lien avec la ville dont ils dirigent le club.

À partir des années 2000, à des rythmes variables et sauf remarquables exceptions, les présidents et les actionnaires des grands clubs n’ont plus qu’un lien distant avec les villes dont les équipes sont le fleuron. Désormais, ces clubs sont, en effet, la propriété de géants de la finance. Ainsi, l’OM a été racheté dès 1996 par Robert-Louis Dreyfus, patron d’Adidas et d’un groupe international de logistique et de transport n’entretenant que des liens circonstanciels avec Marseille ; les présidents qu’il a nommés à la tête du club n’ont, à l’exception de Pape Diouf, arrivé du Sénégal à Marseille à l’âge de 18 ans, qu’une relation professionnelle avec la ville. Et que dire du PSG, successivement propriété du groupe américain Colony Capital puis de l’émirat du Qatar ; de l’AS Monaco possédé par l’homme d’affaires et milliardaire russe Dmitri Rybolovlev ; ou du FC Sochaux, racheté en 2015 par le groupe chinois Ledus, rompant ainsi son lien ombilical avec la firme Peugeot ? Bien sûr, des présidents de clubs d’ancien style demeurent, tel Louis Nicollin [2] à Montpellier, ou encore, à Guingamp, Bertrand Desplat, ancien directeur de la filière pêche d’un groupe agro-alimentaire présidé par son beau-père, Noël Le Graët, lui-même ancien dirigeant du club et aujourd’hui président de la Fédération française de football. Mais, dans un contexte de mondialisation de l’économie et du football, la tendance est incontestablement à la « déterritorialisation » et à la mainmise des grandes fortunes et groupes internationaux sur les clubs les plus prestigieux.

La transformation de la géographie et de la sociologie du public des stades

Au début des années 1980, le stade constituait encore une carte de la ville en réduction. À Marseille, les deux virages reproduisaient le grand partage – géographique et social – qui structure la ville : alors que dans le virage nord se regroupait, en forte proportion, un public issu des « quartiers Nord », en majorité des jeunes et des « cols bleus », le virage sud accueillait plutôt des « cols blancs », plus âgés et moins turbulents. Un autre grand partage opposait les tribunes ouest et est. La première, la plus prestigieuse, regroupait surtout des cadres supérieurs, des chefs d’entreprise, des commerçants, un public d’âge mûr résidant dans les quartiers chics du sud de la ville ; la tribune est apparaissait, pour sa part, comme le refuge du « Marseille profond » avec ses artisans, ses commerçants, ses petits patrons, ses cadres moyens, ses ouvriers de métier. Le stade, cet édifice où l’on voit tout en étant vu, était un véritable miroir de la ville, une image vivante de ce qui l’unit et la différencie (Bromberger 1995).

La morphologie sociale du stade s’est modifiée depuis les années 1980 pour deux raisons principales : l’émergence, à la fin des années 1980, de groupes de jeunes supporters dits « ultras », sur le modèle italien, qui ont fait des virages leurs fiefs ; et les campagnes de modernisation du stade, en particulier la dernière achevée en 2015. Le Commando Ultra est créé en 1984 ; c’est l’un des premiers groupes de supporters organisés en France. S’il est établi, à ses débuts, dans le virage nord, ce n’est pas en raison de l’appartenance locale de ses fondateurs, mais parce qu’il s’agit alors du virage le plus « chaud » du stade. Il fonctionne sur le mode du réseau, fédérant de jeunes gens ordinaires autour de leur passion pour le club et la ville. Peu après sa création, le Commando se déplace dans le virage sud, moins fréquenté et où il peut donc mieux s’organiser. À cette migration au sud des Ultras a rapidement répondu la création de la North Yankee Army, qui s’installe dans le virage nord en 1987. Ce choix s’inscrit encore dans l’ancienne géographie des virages : le siège du groupe se trouve dans les quartiers Nord, d’où sont originaires la plupart de ses fondateurs ; les membres se recrutent surtout dans la partie nord du centre-ville, dans les faubourgs et cités périphériques, et dans les agglomérations industrielles proches. Mais il s’agit là du dernier indice de la réfraction dans les virages des clivages socio-spatiaux. En effet, l’emplacement des groupes créés après les Ultras et les Yankees n’a rien à voir avec leur implantation dans la ville. Ainsi, en 1987, les South Winners s’installent dans le virage sud devenu le plus actif ; or c’est un groupe fortement implanté dans les quartiers Nord de la ville, revendiquant la spécificité marseillaise et le cosmopolitisme. De même, les Fanatics, créés l’année suivante, se sont d’abord établis dans le virage nord et ont vite rejoint, au sud, les cohortes les plus démonstratives. Les effectifs grossirent considérablement, réunissant d’authentiques militants et des spectateurs ayant rejoint l’association pour obtenir une place à bon prix [3].

L’histoire de ces groupes a été scandée par des scissions et des migrations successives pour occuper les espaces les plus visibles. Au sud, l’opposition entre Ultras et Winners s’est durcie au fil des années, chaque groupe revendiquant sa suprématie dans le virage et dans le stade, sur fond de querelles extra-footballistiques. Initialement réunis dans la partie basse du virage sud, les groupes rivaux se séparèrent dès 1993, les Winners occupant désormais le haut du virage et les Ultras le bas. Le virage nord a, lui aussi, été concerné par de telles scissions : en 1992, les Dodgers, issus des Yankees, s’approprièrent une partie latérale des gradins ; en 1994, entraîné par un leader charismatique, une fraction des South Winners devint « Marseille trop puissant » et s’établit dans le virage nord ; quant aux Fanatics, en sommeil au début des années 1990, ils se relocalisèrent dans le virage nord à partir de 1995‑1996.

L’implantation des sièges de ces associations témoigne du reflux de l’appartenance vicinale. Ainsi les Yankees, naguère domiciliés à la limite nord de Marseille, se trouvent-ils désormais au centre de la ville. Plus largement, le développement des groupes de supporters, la diversification du public attiré par des avantages financiers et l’accroissement du nombre de spectateurs qui ne résident pas dans la ville (Lestrelin 2010) ont considérablement brouillé la physionomie sociale des virages. Est-ce à dire que l’espace des virages est désormais confus et indifférencié ? À coup sûr, non. La répartition des spectateurs, du haut vers le bas et du centre vers les marges, repose encore sur des rapports de force complexes entre les groupes de supporters.

Vers une « disneylandisation » du spectacle du football ?

La modernisation des stades et les mesures législatives visant à endiguer les débordements ont également eu de profondes répercussions sur la morphologie sociale et sur l’ambiance des stades.

À Marseille, la construction de loges surmontant la tribune ouest a renforcé le clivage entre public huppé et public populaire. Les travaux d’agrandissement pour la Coupe du monde de 1998 ont contribué à accentuer encore ce partage. Seule la tribune ouest demeurait couverte. La forme en anneau continu des gradins, qui donnait à la foule un sentiment d’unité et répercutait les clameurs, fut remplacée par une élégante ellipse, brisée entre les tribunes et les virages. Dans la perspective de l’Euro 2016, des travaux considérables ont été réalisés, aboutissant à un stade entièrement couvert sans rupture architecturale entre les virages et les tribunes. Ces aménagements donnent l’impression aux vieux routiers des stades d’assister à un show plutôt qu’à un match. Confortablement installés, à l’abri des aléas climatiques, les spectateurs se sentent plus éloignés des joueurs qu’ils ne l’étaient auparavant.

Au fil des 30 dernières années, des mesures ont été prises par les pouvoirs publics pour prévenir et punir les débordements violents : tout un arsenal législatif permet, en cas d’infraction, des interdictions judiciaires (1993) puis administratives (2006) de stade, la dissolution des groupes de supporters (2006), l’interdiction des déplacements des groupes de supporters (2011). La formule du « tout assis » (les tribunes doivent toutes être équipées de places assises) est devenue obligatoire depuis la loi Bredin en 1992 ; or comment exprimer ses émotions assis, les mouvements contraints, le corps séparé de celui des autres et non plus fondu dans la masse ? Si les supporters demeurent debout dans les virages des stades, les sièges sont des obstacles aux démonstrations collectives. La judiciarisation des petits méfaits accentue le sentiment de dépossession qu’éprouvent les supporters, notamment les Ultras. En Italie, pour ne citer que cet exemple, les banderoles qui ne sont pas ignifuges sont interdites de stade, tandis que les slogans discréditant les adversaires peuvent faire l’objet de sanctions pénales [4]. Aux chants et aux chorégraphies symbolisant l’attachement des supporters à leur équipe se substitue progressivement une atmosphère plus feutrée, orchestrée par de la musique enregistrée et par un animateur à la voix chaleureuse. On peut parler de « disneylandisation » du spectacle sportif. La plupart des supporters, considérant que l’animation du stade est leur contribution spécifique, s’opposent à cette évolution du spectacle du football.

Ces diverses modifications n’entament pas, pour autant, la ferveur populaire. Mais celle-ci a changé progressivement d’assise et de signification : à la célébration de l’entre-soi s’est substitué un show de vedettes regroupées sous les mêmes couleurs, le maillot demeurant le principal emblème d’identification. Les supporters continuent, en effet, de considérer que le club de leur ville fait partie du patrimoine local et qu’en un sens il leur appartient. C’est sans doute symboliquement exact mais économiquement faux, d’autant que les recettes de billetterie comptent désormais peu dans le budget d’un club. Quant aux chantres les plus exaltés de la cause de leur équipe, les Ultras, qui donnent au spectacle ses couleurs, ils sont, après une période de forte croissance dans les années 1990, sur le déclin : mesures législatives, nouveaux aménagements des stades, diversification des engouements, phénomène de génération se conjuguent pour entraîner cette régression. Mais si les liens entre le club de football et la population locale se sont distendus, la passion pour le jeu et l’amour du maillot, eux, ne se démentent pas.

Bibliographie

  • Bromberger, C. 2012 [1995]. Le Match de football. Ethnologie d’une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
  • Charroin, P. 1992. « Il pubblico del Geoffroy-Guichard di Saint-Étienne » in Lanfranchi, P. (éd.), Il calcio e il suo pubblico, Naples : Edizioni Scientifiche Italiane, p. 301‑312.
  • Fridenson, P. 1989. « Les ouvriers de l’automobile et le sport », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 79, p. 50‑62.
  • Lestrelin, L. 2010. L’Autre Public des matchs de football. Sociologie des « supporters à distance » de l’Olympique de Marseille, Paris : Éditions de l’EHESS.
  • Mourat, A. 2010. « Les joueurs étrangers du FC Sochaux entre immigration sportive et immigration professionnelle » in Boll, C., Gastaut, Y. et Grognet, F. (dir.), Allez la France ! Football et immigration, Paris/Nice : Gallimard/Cité nationale de l’histoire de l’immigration/Musée national du sport, p. 70‑73.
  • Murray, B. 1994. « Celtic et Rangers. Les Irlandais de Glasgow », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 103, p. 41‑51.
  • Wahl, A. et Lanfranchi, P. 1995. Les Footballeurs professionnels des années trente à nos jours, Paris : Hachette, coll. « La Vie quotidienne ».

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Pour citer cet article :

Christian Bromberger, « Le football, entre fierté urbaine et déterritorialisation. Quelques réflexions à partir du cas marseillais », Métropolitiques, 23 mai 2016. URL : https://metropolitiques.eu/Le-football-entre-fierte-urbaine.html

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