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Débats

Vers un Grand Paris Express du vélo ?

Alors que le Grand Paris se dessine, le dispositif de vélos en libre-service Vélib’ demeure centré sur le seul périmètre de Paris et sa proche banlieue. Maxime Huré met au jour les contradictions et les inerties des politiques de mobilité dans la métropole et discute de l’opportunité de relancer le développement du vélo dans les périphéries franciliennes.

Alors que l’enjeu des transports a contribué à cristalliser les représentations du projet métropolitain francilien autour d’un réseau ferroviaire circulaire, le Grand Paris Express (rebaptisé Nouveau Grand Paris), un constat s’impose : l’absence d’une réflexion d’ensemble sur la mobilité incluant les autres modes de transport. Ce constat vaut tout particulièrement pour le développement du vélo à l’échelle du Grand Paris. L’ampleur de la zone dense de l’agglomération permet, en effet, d’envisager l’extension du système de vélos en libre-service Vélib’ au-delà des limites de Paris et de sa proche banlieue (20 600 vélos, 1 431 stations). Cette perspective permet de s’interroger sur les fondements du projet politique de la ville de Paris en faveur du vélo. À l’heure de la formation de la métropole du Grand Paris, mais aussi d’une nouvelle mise à l’agenda de la question de la pollution atmosphérique, cet article propose une lecture politique et institutionnelle des enjeux et des choix possibles en matière de projet métropolitain de mobilité.

Un Vélib’ métropolitain ?

Depuis une vingtaine d’années, la bicyclette a fait son retour dans les centres-villes (Héran 2014 ; Razemon 2014). Cette dynamique est largement favorisée par les pouvoirs publics, qui affichent des objectifs ambitieux en matière de développement de l’usage du vélo. Ainsi, la ville de Paris souhaite atteindre 15 % de déplacements à vélo à l’horizon 2020, contre 3 % aujourd’hui [1], en s’appuyant notamment sur la montée en puissance du système de libre-service. Cet objectif porte toutefois uniquement sur le périmètre institutionnel de la ville de Paris. Vélib’ doit-il, pour autant, rester un équipement réservé aux seuls arrondissements parisiens et aux seules communes limitrophes ?

La remise en jeu du contrat entre la ville de Paris et l’entreprise JCDecaux en 2017 peut constituer une opportunité politique pour négocier l’extension du réseau et redéfinir les prestations de l’opérateur. Cette perspective se heurte toutefois à plusieurs obstacles. Le poids historique de la société JCDecaux à Paris et les interdépendances qui lient l’entreprise aux pouvoirs publics (Passalacqua et Huré 2014) montrent que les futures négociations ne seront pas forcément favorables aux usagers et au pouvoir municipal parisien. Le financement de Vélib’ est lié à l’affichage publicitaire. Or son extension engendrerait une dilution des recettes de la publicité dans les espaces publics de la métropole et une démultiplication des acteurs publics. Les marchés publicitaires de la région parisienne sont, en effet, le plus souvent gérés par les communes et les intercommunalités, en partenariat avec des opérateurs différents. Comme le montre l’exemple de Bruxelles, seule métropole à avoir implanté un système similaire dans l’ensemble de son territoire métropolitain, l’unification de ce type de marché ne s’est pas réalisée sans difficulté. Le recours à une instance de coordination politique intercommunale, en dépolitisant les enjeux de l’implantation des vélos en libre-service, a été nécessaire pour passer outre les clivages partisans. La question des compétences en matière de mobilité et de gestion des espaces publics s’est également posée, cristallisant des conflits entre les différentes administrations. Enfin, la répartition des recettes financières de la publicité a été largement débattue. Sur ces deux derniers aspects, les communes ont réussi à conserver leur pouvoir au détriment de la région de Bruxelles-Capitale. Le changement d’échelle du dispositif de vélos en libre-service à Bruxelles ne s’est donc pas accompagné d’un changement d’échelle politique et institutionnel (Huré 2013) [2].

Quelle place pour le vélo dans le projet de mobilité de la métropole parisienne ?

L’extension métropolitaine de Vélib’ soulève plus largement des interrogations sur le projet politique du Grand Paris et sa gouvernance. Faut-il permettre à une structure métropolitaine ad hoc d’élaborer le futur cahier des charges et de rédiger l’appel d’offres, ou bien avoir recours à des conventions, commune par commune, avec l’opérateur pour créer ensuite une instance métropolitaine, sur le modèle d’Autolib’ Métropole, le syndicat mixte du système d’autopartage du Grand Paris [3] ? Dans tous les cas, la ville de Paris devra négocier avec les autres communes et renoncer à son exclusivité. Étendre Vélib’ à toute l’agglomération reviendrait aussi à légitimer une conception marchande des services urbains et une certaine forme de privatisation de la ville (Baraud-Serfaty 2011 ; Huré 2012) à grande échelle. La suppression des espaces publicitaires gérés par JCDecaux à Grenoble [4] montre qu’il existe des clivages politiques sur la question de la publicité en ville, mis à l’agenda notamment par les écologistes. Des alternatives urbaines au marché se développent dans de nombreuses villes, à travers des dispositifs de partage de bicyclettes non marchands et davantage inclusifs, en partenariat avec les associations d’usagers ou les acteurs de l’économie sociale et solidaire [5].

Dans le cas du développement du vélo, le projet métropolitain est ainsi confronté aux logiques du marché et aux jeux politiques et institutionnels spécifiques au Grand Paris. Le fait métropolitain sera-t-il davantage organisé par l’extension des logiques marchandes ou par une reconfiguration des institutions publiques et de leur mission de service public ? Cette question incite à déplacer le regard vers les enjeux économiques et de financement des projets métropolitains (Baraud-Serfaty et Halbert 2011), mais aussi vers le rôle et le poids historiques des grandes firmes de transport dans la production de la ville et des métropoles (Lorrain 2002 ; Huré et Passalacqua 2014).

L’analyse des relations entre les firmes et les acteurs publics ne doit pas éluder la question du projet politique de la métropole parisienne (Gilli 2014). En effet, construire un pouvoir métropolitain fort pour organiser les mobilités suppose de priver les communes d’une partie de leur compétence. Ce changement d’échelle peut être considéré comme une atteinte à l’autonomie municipale.

Enfin, le projet de mobilité du Grand Paris est aussi révélateur d’un impensé : comment la parole des habitants et des usagers des transports est-elle prise en compte ? Un projet métropolitain est-il possible sans l’élection de ses représentants politiques au suffrage direct ? Nombre d’acteurs seraient intéressés à prendre part à ces réflexions : les associations d’usagers du vélo, certes, mais aussi les usagers de Vélib’, les piétons, les automobilistes, les immobiles, etc.

Le vélo pour (re)penser les politiques (péri)urbaines [6]

L’extension du système Vélib’ n’est pas le seul projet susceptible de favoriser l’usage de la bicyclette dans la métropole parisienne. Pour de nombreux experts et chercheurs, le développement du vélo passe aujourd’hui par un investissement en faveur de ce mode de transport dans les espaces urbains périphériques, en banlieue et dans le périurbain (CERTU 2013 ; Huré et Gardon 2014 ; Héran 2014). La constitution d’un Grand Paris Express du vélo passe notamment par une forte promotion de l’intermodalité, qui peut s’appuyer sur de nombreux outils à la disposition des collectivités : aménagement de réseaux express vélo (REV), c’est-à-dire de voies rapides sécurisées pour le vélo entre polarités périphériques ; création de voies de rabattement vers les gares et les pôles multimodaux ; sécurisation du stationnement vélo près des gares ; autorisation de transporter les vélos dans les transports collectifs, sur le modèle allemand, etc. Favoriser les déplacements en vélo, c’est aussi lutter contre les coupures et discontinuités dans le tissu urbain (grands carrefours, infrastructures routières et ferroviaires, etc.), principaux obstacles à la pratique du vélo dans les périphéries urbaines (Héran 2011).

15 % de déplacements à bicyclette dans le centre de Paris à l’horizon 2020, est-ce possible sans une politique de mobilité favorisant le vélo à l’échelle du Grand Paris ? L’enjeu aujourd’hui n’est-il pas de faire prendre conscience aux promoteurs de la métropole du Grand Paris que le niveau de pollution et la saturation des réseaux routiers exigent un changement de vision dans le développement des transports et de l’urbanisme de la métropole francilienne ? Les recherches récentes montrent que l’évolution des politiques du vélo dans les villes européennes sont fondées depuis plus de quarante ans sur un changement de paradigme porté d’abord par les mouvements associatifs, puis par de nombreuses municipalités. Ce changement se manifeste par l’introduction d’un fort rééquilibrage de la voirie et des espaces publics en faveur des cyclistes et des piétons (Héran 2014), la promotion de l’intermodalité, la construction de politiques publiques qui privilégient les démarches bottom-up (Huré 2013) et enfin l’atténuation des rapports de dépendance et parfois de domination entre territoires riches et pauvres en imposant des politiques de péréquation et de mutualisation à l’échelle de la métropole. La métropole parisienne est-elle prête à ces changements ?

Bibliographie

  • Baraud-Serfaty, I. 2011. « La nouvelle privatisation des villes », Esprit, n° 3‑4, p. 149‑167.
  • Baraud-Serfaty, I. et Halbert, L. 2011. « Pour un fonds d’investissement métropolitain, mais à quelles conditions ? », Métropolitiques, 9 mars.
  • Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU). 2013. Usagers et déplacements à vélo en milieu urbain. Analyse des enquêtes ménages déplacements, collection « Données », n° 1.
  • Gilli, F. 2014. Grand Paris. L’émergence d’une métropole, Paris : Presses de Sciences Po.
  • Héran, F. 2011. La Ville morcelée. Effets de coupure en milieu urbain, Paris : Economica.
  • Héran, F. 2014. Le Retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050, Paris : La Découverte.
  • Huré, M. 2012. « De Vélib’ à Autolib’, Les grands groupes privés, nouveaux acteurs des politiques de mobilité urbaine », Métropolitiques, 6 janvier.
  • Huré, M. 2013. Les Réseaux transnationaux du vélo. Gouverner les politiques du vélo en ville. De l’utopie associative à la gestion par des grandes firmes urbains (1965‑2010), thèse de science politique, université de Lyon.
  • Huré, M. et Gardon, S. 2014. « Les enjeux du périurbain », Les Cahiers de la mobilité territoriale, Paris : SNCF.
  • Lorrain, D. 2002. « Capitalismes urbains. La montée des firmes d’infrastructures », Entreprises et Histoire, n° 30, p. 5‑31.
  • Passalacqua, A. et Huré, M. 2014. « JCDecaux en sa ville “fétiche“. Mobilité et affichage à Lyon. De l’innovation à la dépendance », in Flonneau, M., Laborie, L. et Passalacqua, A., Les Transports de la démocratie. Approches historiques des enjeux politiques de la mobilité, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Razemon, O. 2014. Le Pouvoir de la pédale : comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, Paris : Rue de l’Échiquier.

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Pour citer cet article :

Maxime Huré, « Vers un Grand Paris Express du vélo ? », Métropolitiques, 3 avril 2015. URL : https://metropolitiques.eu/Vers-un-Grand-Paris-Express-du-velo.html

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