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Débats

Pour un fonds d’investissement métropolitain, mais à quelles conditions ?

Dans une récente tribune, Pierre Mansat exhorte à développer des instruments de solidarité financière au niveau régional et évoque la piste d’un « fonds d’investissement métropolitain ». Les auteurs esquissent ici les contours que pourrait prendre un tel fonds.

L’invitation de Pierre Mansat témoigne d’une évolution des esprits à la suite de la crise financière. Bien-sûr, il y a une forme de financiarisation qui s’est faite et continue de se faire « contre » une conception mixte et intégrée des villes (les « villes hallucinées du néocapitalisme » que dénonce Mike Davis [1]). Dans ces cas, la financiarisation s’est faite au détriment des composantes les plus vulnérables de la société ; l’exemple des subprimes est éclairant sur le fait que ces mécanismes fragilisent les territoires et les habitants plus pauvres. L’enjeu, en ces temps de finances publiques fragilisées, est donc de concevoir des outils financiers qui servent aussi des objectifs d’intérêt métropolitain.

Concilier rentabilité et intérêt général

Il existe plusieurs exemples de fonds d’investissement dédiés à des projets d’infrastructures ou d’immobilier structurants pour un quartier ou un territoire [2]. On pense au programme d’« investissement d’intérêt général » porté par la Caisse des Dépôts et Consignations [3], ou à Batixia, « société d’investissement régional » du Nord-Pas-de-Calais, dont les actionnaires sont la Caisse des Dépôts et Consignations, la Région, la Caisse d’Epargne et le groupe IRD [4]. Concrètement, ces organismes participent au tour de table en prenant une part du capital de sociétés créées ad hoc pour développer des projets, par exemple, de centres commerciaux ou d’immobilier d’activités dans des quartiers « en difficulté » ou encore des reconversions de friches industrielles. Autrement dit, il s’agit de projets juridiquement de droit privé mais soutenus par les collectivités locales.

Le montage du projet obéit ainsi à deux types de considération. Premièrement, il est nécessaire de calibrer le projet de manière à assurer – au moins de manière prévisionnelle – la rentabilité économique du projet, ainsi que de structurer le financement de manière à optimiser la rentabilité des capitaux investis (en incluant, parmi ces derniers, ceux du fonds d’investissement lui-même). Il va de soi que les projets éligibles doivent être en mesure de générer des recettes (soit en phase d’exploitation, soit par une revente). Cela pose la question des modalités d’intervention du fonds, sans quoi rien ne le différencierait d’un investisseur classique.

À cette considération financière s’ajoute donc la définition des objectifs d’intérêt général poursuivis par la gouvernance du fonds d’investissement. Ces derniers peuvent par exemple consister à soutenir des zones délaissées par les autres investisseurs ou à financer des projets rentables seulement sur le long terme en prenant le risque d’accompagner la régénération urbaine de certains quartiers, ce que bien des investisseurs privés peinent à effectuer [5].

Apporter du capital plutôt que des subventions

Pour la puissance publique, cela consiste donc à apporter de l’argent sous forme de capital plutôt que par des subventions. Ce mécanisme présente quatre avantages.

D’abord, c’est un outil pour renforcer la faisabilité des projets : en participant au tour de table, c’est-à-dire en apportant des capitaux dans le projet lui-même et non pas seulement à son environnement (infrastructures, équipements, services urbains, etc.), les pouvoirs publics, par le biais du fonds, accroissent la crédibilité du projet. Cela peut alors aider à convaincre plus facilement d’autres investisseurs et permettre d’accéder à des financements bancaires à des taux plus favorables.

Ensuite, c’est un moyen de récupérer une partie des plus-values générées par les financements publics. Comme il s’agira bien souvent de porter des projets en phase de développement, donc à haut niveau de risque, le fonds d’investissement conserve la possibilité de récupérer le capital initial augmenté de la rémunération de la prise de risque, lorsque, et si, il parvient à céder le projet à des investisseurs généralement plus averses au risque. C’est donc un moyen pour la puissance publique de limiter la fuite de la plus-value qui accompagne bien souvent la distribution des subventions publiques.

La participation au capital peut également alimenter un effet démultiplicateur car, en cas de réussite du projet, il est possible de récupérer sa mise (et au-delà), et donc de venir en appui à d’autres projets.

Enfin, c’est un moyen pour les apporteurs de fonds de peser davantage dans la gouvernance du projet, y compris en cherchant à imposer le respect de certains critères, par exemple, de développement durable.

Un nouvel outil de péréquation métropolitaine ?

Ces arguments peuvent militer pour la création d’un « fonds d’investissement métropolitain, gouverné par les élus de la métropole et susceptible d’intervenir en appui des initiatives « d’intérêt métropolitain » », comme le suggère Pierre Mansat. Mais comment garantir la dimension de péréquation voulue par l’élu ?

Jusqu’à présent, la péréquation communale se fait principalement de manière verticale, à travers des mécanismes de dotations versées par l’Etat, comme la DSU (Dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale) ou la DDU (Dotation de développement urbain), et de manière horizontale, à travers notamment le FSRIF (Fonds de solidarité des communes de la Région Ile-de-France), qui correspond à un prélèvement sur les communes les plus riches de la région reversé ensuite aux communes les plus pauvres.

Ici, il s’agit d’une forme horizontale de péréquation mais dont le mécanisme est très différent. Les promoteurs du fonds métropolitain pourraient ainsi s’adresser à Neuilly-sur-Seine : vous apportez de l’argent à un fonds qui sera susceptible d’investir dans un projet d’immobilier d’activités à Clichy-sous-Bois. Ce projet aura été monté de manière à être financièrement viable – au moins de manière prévisionnelle –, et les risques (inhérents à tout projet) sont identifiés.

Si le projet marche, au bout de quelques années, le fonds revend sa participation à un investisseur et l’argent peut être réinvesti dans un autre projet ou être reversé à Neuilly. Si le projet ne marche pas, d’abord, on peut espérer que les pertes seront compensées par les gains sur d’autres projets (effet de mutualisation) et, par ailleurs, les pertes sont limitées aux apports. Avantage pour Clichy-sous-Bois : trouver des fonds qui permettent de financer le projet. Avantage pour Neuilly-sur-Seine : contribuer à la solidarité interterritoriale d’une manière qui ne se traduise pas nécessairement par un coût et avoir son mot à dire dans la conduite de cette politique d’échelle métropolitaine.

Des conditions de fonctionnement à préciser

Cela suppose toutefois qu’un certain nombre de précisions soient apportées aux contours de ce fonds.

Premièrement, la constitution, au niveau de ce fonds, d’un comité d’investissement qui puisse agir en toute indépendance est nécessaire. Il faut qu’il puisse refuser les projets qui ne seraient financièrement pas viables et arbitrer les projets sur la base de leur création de valeur urbaine. Cela suppose de mener une double réflexion : de manière théorique, il faudrait s’accorder sur ce qu’est la valeur urbaine, ensuite d’ordre plus pratique il convient d’arrêter les indicateurs permettant la mesure de celle-ci. À ce stade, on aurait en tout cas tort de la réduire à la seule valorisation monétaire du foncier ou de l’immobilier préexistant : des critères de performance économique, sociale, environnementale, culturelle et démocratique peuvent très bien être intégrés à la décision. On pense par exemple à des indicateurs portant sur le nombre d’emplois créés par le projet, sur sa contribution à la mixité sociale et fonctionnelle, sur son bilan carbone, sur sa capacité à soutenir des activités culturelles et, enfin, sur le caractère participatif de la conception du contenu même du projet en association avec les citoyens.

La deuxième condition, c’est que les collectivités dans lesquelles ont lieu les investissements soient capables de définir et de mettre en œuvre une stratégie urbaine. Celle-ci doit offrir une visibilité à la fois temporelle (perspectives à moyen et long terme) et spatiale (inscription dans la métropole) et ainsi permettre de faire le pari d’une valorisation du quartier (grâce à l’arrivée programmée de transports en commun, d’équipements publics « déclencheurs d’urbanité », de requalification du bâti et d’autres investissements privés). N’oublions pas que pour un investisseur, c’est le couple rendement/risque qui compte ; autrement dit, tout facteur permettant de limiter son risque est de nature à faciliter son intervention. De même, c’est moins la valeur d’arrivée que l’écart de valorisation qui détermine le rendement. De ce point de vue, la mobilisation des capacités d’investissement des communes centrales de la métropole aura des effets plus importants dans des territoires peu valorisés de proche et moyenne couronne que dans les territoires du centre déjà passablement investis et valorisés.

Troisièmement, on ne pourra faire l’économie de poser la question de la gouvernance du fonds. Il est impératif, chacun le comprend, que la stratégie générale du fonds (objectifs d’intérêt général métropolitain et sa déclinaison dans les différents territoires de la métropole) fasse l’objet d’une élaboration collective en amont. Cela suppose bien sûr un consensus a minima entre les collectivités territoriales qui y adhèreront et repose donc sur la capacité des instances de gouvernance de Paris Métropole à définir une « stratégie métropolitaine ». Cependant, il est aussi nécessaire d’aller au-delà de ce « premier cercle » en travaillant à la mise en cohérence de l’action du fonds avec celle des différents intervenants traditionnels de l’aménagement (communes, intercommunalités, départements, Région et État). Il serait contreproductif que l’action du fonds ne soit pas soutenue, au moins dans une certaine mesure, par les politiques notamment nationales et régionales, qui, on le sait, ont par ailleurs déjà bien du mal à s’accorder dans le cas francilien. On comprend alors, implicitement, qu’au-delà du défi technique de la construction de ce nouvel outil de financement, il est nécessaire de se donner les moyens d’une action collective concertée. Celle-ci permettra d’engranger les bénéfices promis par les effets de synergie entre les projets soutenus par le fonds, mais aussi, entre ces projets et les actions de re-développement urbain en cours par ailleurs.

Assurément, un fonds d’investissement métropolitain n’est pas un remède miracle : il faut que les projets soutenus soient rentables en termes financiers, au moins sur le papier, et que d’autres investisseurs privés acceptent de prendre le relais à terme. Cependant, il constitue un moyen pour les acteurs publics de récupérer une partie de la plus-value créée par la valorisation urbaine tout en poursuivant une stratégie métropolitaine partagée, poursuivant des objectifs d’intérêt général.

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En savoir plus

Baraud-Serfaty, Isabelle. 2011. « La nouvelle privatisation des villes », Esprit, mars-avril 2011

Halbert, Ludovic. 2010. L’avantage métropolitain, Paris : PUF

Lorrain, Dominique. 2010. « Macquarie : une banque dans les infrastructures », Flux, n° 81, p. 67-78

Renard, Vincent. 2008. « La ville saisie par la finance », Le Débat, n° 148, p. 106-117

Pour citer cet article :

Isabelle Baraud-Serfaty & Ludovic Halbert, « Pour un fonds d’investissement métropolitain, mais à quelles conditions ? », Métropolitiques, 9 mars 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Pour-un-fonds-d-investissement.html

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