« J’arrive finalement, après tant d’années, à voir vraiment São Paulo au lieu de la lire. Tous ces mots ôtés des bâtiments, et des rues semblent avoir dégagé mon cerveau pour lui permettre de découvrir ce qui était en fait caché. (…) Qu’elle est belle ma ville ! Et de plus en plus propre, verte, désobstruée finalement de toute cette écriture ».
Fernando Meirelles, cinéaste, dans le quotidien Folha de São Paulo du 15 avril 2007.
La ville de São Paulo est la plus grande métropole du Brésil et de l’hémisphère Sud, l’un des pôles économiques les plus dynamiques de l’Amérique latine et le centre de l’un des plus grands bassins industriels mondiaux [1]. Située au cœur d’une agglomération de presque 20 millions d’habitants, la ville fait preuve d’un fort dynamisme économique manifesté par les innombrables tours et les gigantesques axes routiers qui s’élancent, s’entrecroisent et se superposent hardiment dans tous les quartiers. Cet aménagement urbain structuré autour de la circulation a évidemment des retombées sur l’écologie graphique urbaine : d’immenses panneaux publicitaires, des enseignes gigantesques, ou alors d’innombrables affiches publicitaires se disputent tous les angles pouvant procurer une bonne visibilité par rapport aux axes routiers.
Après maintes tentatives de réglementer la publicité extérieure à la ville de São Paulo, la loi « Pour Une Ville Propre » (PVP) [2], mise en application au début de l’année 2007, a imposé une réduction drastique de la publicité extérieure. Son succès s’explique en grande partie par la simplicité et l’ampleur de ses dispositions. La première règle imposée est l’interdiction totale de l’affichage publicitaire qui n’est désormais accepté que sur les supports directement offerts par les pouvoirs municipaux dans le mobilier urbain. Ces interdictions totales, selon le maire Gilberto Kassab (journal Folha de São Paulo du 9 juin 2006), devaient aussi permettre « à n’importe quel citoyen de faire des dénonciations. »
Seuls sont tolérés : i) certains panneaux publicitaires qui peuvent faire la preuve de leur bonne incorporation au paysage urbain en raison du temps de leur exposition, ou bien de leurs différentes spécificités. Ceux-ci pourront éventuellement rester sur place après avoir été soumis à une évaluation de la Commission de Protection du Paysage Urbain de la ville (CPPU) ; ii) les annonces de nature culturelle ou éducative (théâtres, musées…), dont l’espace graphique ne peut dépasser 10% de la surface de la façade et dont le temps d’exposition est limité à 30 jours ; iii) les annonces de propagande électorale qui doivent respecter la législation fédérale sur la question ; iv) enfin, celles de nature immobilière, dont la surface ne peut dépasser 1m².
Pour les commerces la règle la plus importante est celle qui impose une seule enseigne par façade. La loi n’a prévu que trois types de taille d’enseignes : a) 1,5m2 sur les bâtiments qui ont jusqu’à 10 mètres de façade ; b) 4m² sur les immeubles dont la façade mesure entre 10 et 100 mètres de large et c) deux enseignes de 4m² sur les bâtiments de grandes proportions dont la façade dépasse les 100 mètres d’extension.
Un appareil efficace de contrôle de l’affichage publicitaire
La loi prévoit de très lourdes amendes ainsi que la possibilité pour le pouvoir municipal de retirer lui-même les supports publicitaires considérés illégaux. La municipalité a ainsi mis en place un important appareil répressif et a totalement réorganisé la gestion du fichier municipal d’enregistrement et de concession de licence d’affichage et de pose d’enseignes. La mesure la plus efficace a indubitablement été l’apposition par la municipalité de la phrase « publicité illégale » en rouge (ou la pose d’un bandeau noir contenant cette même phrase) sur les affiches publicitaires. Cette démarche s’est révélée efficace, car la désignation « publicité illégale » atteint davantage les annonceurs que les entreprises propriétaires des supports publicitaires.
Ces opérations, tout comme le démontage des supports publicitaires, se sont déroulées à l’aide d’une importante mise en scène médiatique : les premières ont été menées sous les ordres directs du maire devant la presse et durant les heures de pointe sur les principales artères de la ville. L’effet produit par l’expression « publicité illégale » dépend étroitement de l’acte matériel de la pose de ces écrits sur les affiches publicitaires (Fraenkel, 2007 : 76) : le fait d’être posés directement sur les affiches (et non au-dessus ou à côté) comme une espèce d’étiquette, ainsi que la mise en valeur du scripteur, la municipalité, représentée devant les caméras de télévision par le maire, son principal représentant, apporte une force incontestable à ces écrits.
L’administration municipale a par ailleurs toléré, voire stimulé d’autres façons d’attirer l’attention des clients potentiels. Plusieurs commerçants utilisent désormais des graffitis, des peintures murales, ou tout simplement des photos sur les façades de leurs établissements. Ces formes sont acceptées par la municipalité et ne sont pas soumises aux contraintes imposées par la loi à condition qu’elles n’exposent ni des textes écrits, ni des logos des produits ou des entreprises. La loi a également admis les écrits (noms, symboles, ou logos) incorporés directement aux façades des bâtiments sans l’emploi de supports appliqués ou fixés. Cette disposition vise à supprimer l’aspect encombrant des surfaces publicitaires et la nature souvent transitoire des écrits publicitaires. Il s’agit d’imposer des références urbaines plus stables par l’intégration des écrits à l’architecture de la ville.
La dimension politique du contrôle de l’affichage
La loi PVP a eu une portée considérable sur l’écologie graphique de la ville de São Paulo. La saturation de l’espace public par les écrits publicitaires a été effectivement éliminée. Mais, avec l’affichage public, la loi a de fait réglementé l’affichage d’opinions politiques. Le maire adjoint du quartier Vila Mariana, Fabio Lepique, affirme que le « droit à la libre manifestation n’autorise personne à désobéir à la législation municipale » (Journal Estado de São Paulo du 7 mars 2007). Il ne s’agit donc pas de confiner l’affichage d’opinions dans des espaces aisément contrôlables, mais bien de supprimer le droit de cité de ces écrits. De fait, la réorganisation juridique de la police des écrits publicitaires montre comment, avec des arguments écologistes, l’administration municipale a enrichi les mécanismes de contrôle social et a élargi son emprise sur l’espace et sur ceux qui l’habitent (Caillose, 1985 : 474).
Toute stratégie de contrôle social s’inscrit nécessairement dans l’espace (Loschak, 1978 : 157), notamment dans un « programme d’exposition graphique » (Pettrucci, 1993). Conçue pour « nettoyer » la ville de São Paulo de la « pollution visuelle », la loi PVP a aussi contribué de façon significative au gouvernement de la ville par la régulation de l’affichage public. Le contrôle se manifeste moins par une prétendue uniformisation typographique des signes graphiques urbains que par le fait que ceux-ci doivent s’adapter à un espace uniforme, limité, et facilement repérable par la population. Si le nouvel affichage garde une fonction informative de l’activité commerciale disponible, il remplit maintenant aussi une fonction symbolique (Fraenkel, 1994 : 101) : en diffusant le label « pour une ville propre », imposé par la ville dans le cadre de l’annonce, l’uniformisation des espaces graphiques dans l’ensemble de la ville fait systématiquement référence au pouvoir municipal. L’aspect visible et scriptural de l’espace urbain sert ainsi à identifier l’administration actuelle. Les fortes retombées politiques suscitées par cette loi et l’impact qu’elle a provoqué sur l’aspect graphique de la ville nous invitent donc à nous demander si les dispositions de la loi PVP ne s’inscrivent pas dans une démarche politique plus ambitieuse. La surprenante réélection du méconnu maire Gilberto Kassab [3] au mois d’octobre 2008 démontre en partie l’efficacité d’une telle stratégie ; reste à savoir si les effets de cette stratégie dureront longtemps.