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Débats

Grandeur et décadence du « périurbain »

Retour sur trente ans d’analyse des changements sociaux et politiques

Les espaces périurbains sont apparus dans les années 2000 comme de « nouveaux » espaces, révélateurs de changements récents de la société française – fragilisation des classes moyennes, montée de l’extrême droite, etc. Auscultés depuis les années 1970 par des géographes, sociologues et politistes, ces espaces ne se résument pas à l’image réductrice que les médias en diffusent à chaque scrutin électoral.


Dossier : Y a-t-il des urban studies à la française ?

« Un beau matin, les Français se sont réveillés en découvrant qu’un baobab avait poussé dans leur jardin » [1]. À l’issue du dernier scrutin présidentiel, c’est par cette formule que s’ouvre un article du Monde relatant l’irruption des espaces périurbains sur le devant de la scène médiatique sous l’effet de la montée électorale du Front national. Si cette entrée en scène est effectivement fracassante dans un champ journalistique régi par la quête permanente de la nouveauté, cette catégorie d’analyse des mondes urbains est-elle réellement nouvelle dans le champ de la recherche française ? C’est sur cette question que cet article se penche, sans prétendre à un tour d’horizon exhaustif mais plutôt en essayant de dégager, à travers les travaux les plus emblématiques, quelques lignes directrices en matière de regards portés sur les espaces périurbains. On se concentrera ici sur les transformations de la composition sociologique de ces espaces, ainsi que sur la question de l’analyse des dynamiques électorales. Nous délaissons ainsi plusieurs autres angles d’étude importants tels que les enjeux fonciers et environnementaux qu’implique l’étalement urbain, ou encore le fonctionnement des navettes et autres déplacements quotidiens qui rythment la vie des ménages périurbains, pour souligner que les représentations savantes des espaces résidentiels sont tributaires des catégories sociales et politiques utilisées pour définir les habitants qui y vivent.

Au fil des évolutions socio-historiques de la société française, l’image du périurbain a en particulier été forgée en fonction de la manière dont ont été appréhendées les « classes moyennes » du point de vue social et politique ; réciproquement, la vision des classes moyennes a aussi été influencée par les travaux menés sur leurs espaces résidentiels, notamment pavillonnaires et périurbains [2]. Or les lectures récentes de la situation des couches moyennes périurbaines diffèrent profondément de celles qui ont eu cours jusqu’aux années 1980 (Bacqué et Vermeersch 2008). Par-delà ce lien étroit entre classes moyennes et périurbain, il existe, en effet, d’importants facteurs de différenciation sociale au sein même des classes moyennes tout comme des classes populaires. Ce n’est donc qu’en s’attachant à définir précisément quelles sont les différentes fractions de classes qui résident dans les mondes périurbains qu’il est possible de dépasser une vision réductrice de leurs évolutions tant sociales qu’électorales.

Le périurbain des années 1970‑1980 : quand les classes moyennes en essor investissent les campagnes

C’est au début des années 1970 que le mouvement d’urbanisation des périphéries urbaines prend une ampleur inédite. Avec le recensement de l’Insee de 1975, c’est en effet rien de moins que l’inversion du mouvement séculaire de dépeuplement de l’espace rural qui s’engage (Berger 2004), touchant la France une décennie après certains pays anglo-saxons. De nombreux ménages originaires des villes, très majoritairement issus des classes moyennes et des fractions supérieures des classes populaires, s’installent alors dans les communes rurales proches des villes, entraînant de nombreux changements sociaux localisés. Les conséquences de l’arrivée de ceux qui sont d’abord nommés des « rurbains » (Bauer et Roux 1976) attirent rapidement l’attention des chercheurs en sciences sociales, issus de plusieurs disciplines, qui dialoguent de manière privilégiée dans le cadre de l’Observatoire du changement social impulsé par le CNRS (Collectif 1986 ; Briquet et Sawicki 1989).

Des mondes ruraux laboratoires du changement social (1) : le regard des géographes

Au tournant des années 1980, ce sont notamment les géographes spécialistes des mondes ruraux qui s’emparent d’abord de ces questions, au moment où la géographie connaît un profond renouvellement. Alors que se structure une géographie sociale – en partie conçue comme une géographie des pratiques et des comportements, qu’ils soient scolaires, religieux ou politiques (Frémont et al. 1984) – et que l’étude des questions électorales fait un timide retour en géographie, plusieurs recherches de l’époque prennent pour cadre les espaces périurbains. Le changement politique lors des scrutins nationaux est appréhendé, déjà, comme révélateur des changements sociaux en cours dans les espaces périurbains, de même que le renouvellement sociologique des conseils municipaux (Berger 1985). Les travaux, souvent monographiques, mettent en avant les heurts qu’entraîne bien souvent l’intégration de populations nouvelles, en insistant sur l’importance des « effets retard », sortes de temps de latence constatés entre l’arrivée des populations nouvelles et les traductions politiques de ces arrivées : inscriptions décalées sur les listes électorales, basculements des conseils municipaux plus ou moins différés selon le type et la résistance des notables locaux, etc. Dans une perspective embrassant des espaces plus vastes et grâce à des analyses cartographiques (voir la carte en exergue), l’article « Effet urbain et progrès de la gauche dans le Nord-Ouest français » va alors souligner que le mouvement d’étalement urbain a plutôt tendance à bénéficier au Parti socialiste dans le Grand Ouest (Rapetti 1987).

Source : Rapetti 1987

Dans le même temps, des géographes du Sud-Ouest français s’interrogent sur le lien entre le processus de périurbanisation et les premières percées électorales du Front national. En se basant sur le recensement de l’Insee de 1982 et sur les résultats des élections européennes de 1984 dans les communes du Languedoc-Roussillon, les auteurs déconstruisent certains lieux communs qui naissent à cette époque, et qui conservent une certaine actualité, sur les explications de la montée observée de l’extrême droite [3] (Bernard et Carrière 1986). Une des pistes que les auteurs avancent porte sur l’influence de la mobilité résidentielle récente qui, dans les « nouvelles communes urbaines », serait un facteur de « risque » favorisant les votes pour les « partis extrêmes ». Les auteurs ne vont, cependant, pas plus loin dans l’interprétation, et soulignent à raison la très grande diversité des catégories sociales contribuant à l’essor démographique du Languedoc-Roussillon en ce début des années 1980 : retraités (originaires ou non de la région), étrangers (originaires des pays du Maghreb ou non) ou jeunes ménages d’origine urbaine (dont les positions sociales sont extrêmement hétérogènes). Cette étude rappelle utilement que la poussée du « baobab » n’est pas si récente que les commentateurs médiatiques le donnent souvent à penser.

Des mondes ruraux laboratoires du changement social (2) : le regard des sociologues

Les changements sociaux en cours à cette période vont également polariser les débats en sociologie : l’essor des professions intermédiaires et supérieures et le développement de la consommation de masse conduisent certains à affirmer que la société française est en voie de « moyennisation » (Mendras 1988) – à l’encontre d’autres sociologues qui maintiennent une vision de la structure sociale nettement différenciée et traversée d’inégalités et de rapports de domination [4]. C’est dans ce contexte théorique que Catherine Bidou publie, en 1984, son enquête sur les « nouvelles » couches moyennes salariées, dans un ouvrage pionnier en matière d’étude des espaces périurbains (Bidou 1984). À partir d’une approche résolument empirique, l’auteure s’attache au style de vie de ces ménages, précisément parce que ceux-ci font de leur « mode de vie » un marqueur social distinctif : portant une attention marquée à leur « cadre de vie », ces « aventuriers du quotidien » font preuve d’un activisme associatif en faveur de la défense de l’environnement ou de l’animation socio-culturelle. Dotés de capitaux culturels élevés, ces salariés du secteur public travaillant dans les domaines de la santé ou de l’éducation s’attachent à donner le ton au sein des « nouveaux » espaces résidentiels que constituent à leurs yeux les communes périurbaines, dont ils investissent largement les conseils municipaux à partir des scrutins de 1977 puis de 1983.

Tiré de l’étude monographique d’une petite commune bretonne sous l’influence croissante de la ville de Dinan, l’article « Suburbanisation et pouvoir local » (Dressayre 1980) constitue l’une des premières recherches françaises portant spécifiquement sur ces conséquences municipales de la périurbanisation. Partant de l’idée que « ces zones périphériques constituent des terrains privilégiés d’observation du changement social », l’auteur propose d’abord une étude très fine des transformations physiques de l’espace communal, des évolutions de sa composition sociologique et du renouvellement de la scène politique locale, notant que l’ancien conseil municipal « n’a pas manifesté de résistance au changement suburbain mais, au contraire, l’a accompagné ». Il montre ensuite que, face à la déstructuration des solidarités rurales engendrées par la périurbanisation, la nouvelle équipe municipale mène une politique où les nouvelles structures associatives jouent un rôle intégrateur, autour de la recherche d’un consensus local sur une nouvelle identité communale : le « discours apolitique » apparaît alors « seul capable de gommer les contradictions engendrées par le processus de suburbanisation ».

À la même période, Michel Bozon et Anne-Marie Thiesse (1985) enquêtent au sein du Valois en région Picardie (mais historiquement en Île-de-France). Ils questionnent alors l’opposition entre anciens et nouveaux habitants et montrent que ce clivage est en partie contrecarré par les différenciations sociales qui traversent ces deux groupes : les « lotissements les plus populaires », « sorte de synthèse entre la banlieue pavillonnaire et le village d’ouvriers agricoles à l’ancienne », se distinguent en particulier des bourgs où résident des ménages plus aisés. À l’heure du reflux des analyses en termes de classes sociales, au milieu des années 1980, ces recherches s’attachent aux transformations des espaces périurbains en réaffirmant l’importance des styles de vie et des appartenances de classe dans la structuration des rapports sociaux locaux. Les années 1990 signent ensuite une longue éclipse des espaces périurbains : une large part de la recherche urbaine se polarise alors sur les quartiers d’habitat social, autour notamment du succès de la thématique de l’exclusion – au point que les zones pavillonnaires et le mouvement d’accession à la propriété seront considérés comme autant « d’angles morts de la sociologie française » à cette période (Beaud 2006).

Le périurbain des années 2000‑2010 : quand les classes moyennes déclinent et quittent les villes ?

Il faut donc attendre le début des années 2000, et le « retour des classes sociales » (Chauvel 2001 ; Bouffartigue 2004) dans le champ sociologique, pour lire de nouveaux travaux sur les territoires périurbains. C’est toutefois en lien avec la question des « quartiers » que les chercheurs réinvestissent ce type d’espaces résidentiels. Sous l’effet des grilles de lecture qui opèrent une « spatialisation des problèmes sociaux » (Poupeau et Tissot 2005), le périurbain apparaît alors comme un type d’espace symptomatique des « problèmes » qui guettent la société française. D’abord perçu comme lieu de repli sur soi des classes moyennes, il devient ensuite, à la faveur des discours journalistiques, l’incarnation des classes populaires blanches acquises au vote FN. Au-delà de ces lectures globalisantes axées sur la dénonciation de périls sociaux grandissants, plusieurs recherches empiriques complexifient la vision de ces territoires, en montrant que ceux-ci demeurent très hétérogènes socialement.

La périurbanisation, source de ségrégation ?

Au début des années 2000, le renouveau des analyses du périurbain prend place dans les débats sur la ségrégation résidentielle. Il n’est pas anodin de noter que c’est un sociologue des banlieues, Jacques Donzelot, qui est l’un des premiers à s’intéresser à nouveau au périurbain. Son approche s’inscrit dans un modèle visant à décrire l’ensemble des évolutions de la ville contemporaine, « la ville à trois vitesses », modèle auquel est consacré un numéro d’Esprit en 2004. La périurbanisation y est étroitement associée aux classes moyennes souhaitant s’éloigner de la banlieue afin de préserver leur entre-soi. Coincées entre les centres anciens réinvestis par les classes supérieures et les quartiers populaires en voie de relégation, les classes moyennes seraient conduites à faire « sécession » et à trouver « matière à se réassurer » (Jaillet 2004) dans un mode de vie lié à l’habitat pavillonnaire. D’autres auteurs dénoncent les « choix » résidentiels des classes moyennes : leur « séparatisme » (Maurin 2004) ou leur « fermeture résidentielle » (Charmes 2011) seraient à la source d’une ségrégation socio-spatiale grandissante et d’un effritement de la solidarité territoriale.

Ces analyses pèchent, pourtant, par leurs visées trop généralisantes : en tentant d’établir une grille de lecture idéale-typique de ces espaces, leurs auteurs occultent la diversité pourtant fort grande des mondes périurbains. La catégorie statistique du « périurbain », construite par l’Insee et l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) en 1990, agrège des populations et des espaces résidentiels qui connaissent des dynamiques sociales hétérogènes, pour ne pas dire divergentes (Rivière 2011). La thèse d’une ségrégation grandissante dans le périurbain est également contestée par Edmond Préteceille (2006), qui signale, pour le cas de l’Île-de-France, que les espaces les plus homogènes socialement demeurent les beaux quartiers où s’auto-agrègent les ménages des classes supérieures et de la bourgeoisie, ainsi que certains quartiers d’habitat social rassemblant les fractions les plus précarisées des classes populaires. Ces analyses, qui abordent le périurbain au prisme du devenir des classes moyennes, sont contemporaines de travaux ayant contribué à la diffusion du thème du déclassement comme schème d’analyse des évolutions de la société française (Peugny 2009 ; Chauvel 2006 ; Guilluy et Noyé 2004). Espace de conquête de nouveaux modes de vie pour Catherine Bidou dans les années 1980, le périurbain serait devenu, vingt ans après, lieu de repli de classes moyennes déstabilisées par les transformations économiques et sociales des décennies 1980 et 1990.

Des pavillonnaires acquis au lepénisme ?

Les représentations du périurbain connaissent un nouvel infléchissement à l’occasion des élections présidentielles de 2007 et 2012. Cette catégorie socio-spatiale gagne alors une visibilité inédite dans les grands médias : elle s’impose dans les discours journalistiques comme un lieu de relégation pour des ménages « modestes » qui ne seraient parvenus à devenir propriétaires qu’au prix de nombreuses « frustrations sociales » [5] et en s’éloignant des centres-villes. Plusieurs journaux (Le Monde, Mediapart, Le Figaro) s’appuient sur l’essai du géographe-consultant Christophe Guilluy (2010) pour étayer cette vision, ainsi que sur les sondages de l’Ifop (Fourquet 2012). Le géographe Lionel Rougé conclut également à la relégation des fractions les moins stables des « périurbains modestes » dans les franges périurbaines les plus lointaines, où la montée du FN est relevée dès les scrutins de 1995 puis 2002 (Rougé 2005). Il n’est alors pas indifférent de noter que cette évolution des discours – le périurbain serait désormais le « refuge » des classes populaires blanches fuyant les banlieues – s’opère à la faveur des commentaires visant à expliquer la montée des votes qualifiés de « protestataires » à distance des villes. La thèse déjà ancienne du « populisme » du FN, dont Annie Collovald (2004) a montré combien elle est porteuse de disqualification à l’égard des classes populaires, n’est pas étrangère à cette focalisation sur les ménages populaires du périurbain, soupçonnés d’être les principaux agents de la montée des scores du FN, alors même que plus de la moitié des électeurs du FN sont des urbains en 2012 (Rivière 2013). De nombreuses critiques ont déjà été adressées à ces discours, pour le moins simplistes et misérabilistes : dans le périurbain comme ailleurs, les votes restent largement déterminés par les statuts socio-professionnels, les trajectoires sociales et les appartenances subjectives qui en découlent (Rivière 2008, 2012 ; Girard 2013).

Des trajectoires résidentielles et socio-professionnelles diversifiées

Plusieurs enquêtes ethnographiques récentes complexifient, toutefois, le regard porté sur les dynamiques sociales en cours dans les mondes périurbains. Le point commun de ces recherches réside dans l’attention accordée aux trajectoires résidentielles ainsi qu’aux différenciations sociales entre classes ou fractions de classes. Dans une perspective d’analyse localisée des classes sociales, ces recherches documentent de façon fine les aspirations des propriétaires de maisons individuelles. L’ouvrage La France des « petits-moyens » (2008) occupe une place centrale dans ce renouveau, même s’il s’agit d’un pavillonnaire urbain : cette enquête menée dans la banlieue francilienne met en évidence les parcours de promotion de ménages situés à la frontière entre classes populaires et moyennes et la façon dont ils prennent appui sur l’espace résidentiel pavillonnaire. Les auteurs nuancent ainsi la thèse d’un grippage généralisé des mécanismes de la mobilité sociale, en portant le regard sur les « courtes mobilités ascendantes » qui caractérisent nombre de « petits-moyens ». Josette Debroux (2011) s’attache, quant à elle, aux arbitrages conjugaux et aux conjonctures biographiques qui président aux stratégies résidentielles de ménages des fractions supérieures des classes moyennes : dans une commune périurbaine prisée, ce n’est pas tant le déclassement qui marque les trajectoires des ménages que le décalage entre aspirations professionnelles et métiers effectivement exercés ; des positions sociales ressenties comme incertaines entraînent alors le choix d’une installation en pavillon.

Une autre façon d’appréhender le développement des espaces périurbains consiste, à rebours d’une vision faisant des « choix » résidentiels des ménages l’unique moteur de l’essor pavillonnaire, à étudier les dispositifs étatiques et les politiques locales qui promeuvent l’accession populaire à la propriété (Girard et al. 2013). Anne Lambert (2013), pour sa part, étudie un lotissement où cohabitent classes moyennes et familles populaires issues de l’immigration. Elle montre que, face à la crise économique qui sévit depuis 2008, les élus municipaux ne parviennent pas à maîtriser complètement le peuplement du lotissement, même s’ils tentent d’imposer des standards de conception architecturale se répercutant sur le coût des maisons. Ces contraintes sont, en effet, contournées par les promoteurs immobiliers cherchant à vendre des pavillons sur les parcelles loties. Violaine Girard (2013) souligne, par ailleurs, que les politiques d’aménagement de zones d’activités périurbaines, lancées par les structures intercommunales, ont encouragé de nombreux ménages ouvriers stables à « faire construire ». Loin de subir une relégation socio-spatiale, ces ouvriers, dont certains connaissent des promotions professionnelles par l’accès à la maîtrise, sont, au contraire, portés à valoriser un modèle de réussite sociale lié au statut de propriétaire. Travaillant à distance des anciens grands centres industriels, ces ménages des fractions supérieures des classes populaires ont en partie été délaissés par la sociologie des mondes ouvriers. Les formes de politisation qui sont les leurs reflètent, pourtant, les évolutions majeures qui se jouent en termes d’emploi pour les salariés de l’industrie et des services. Dans ces zones d’activité où règne l’éclatement des formes d’organisation du travail, il est, en effet, difficile de voir émerger des groupes sociaux soudés autour d’appartenances socio-professionnelles communes, comme cela a pu être le cas autour de mono-industries rurales. Conjuguées à la « disqualification » des mondes ouvriers (Mauger 2006), ces évolutions conduisent à un effritement du sentiment d’appartenance à la condition ouvrière, ce qui favorise diverses formes de prises de distance vis-à-vis de l’offre politique de la gauche « traditionnelle ». Si les comportements électoraux des classes populaires demeurent donc hétérogènes dans le périurbain, ils témoignent toutefois de la montée des aspirations à la respectabilité sociale parmi les salariés stables, qui entendent se différencier des fractions précarisées et stigmatisées (Collovald et Schwartz 2006).

Situées au croisement de la sociologie urbaine et de la sociologie de la stratification sociale, ces dernières recherches amènent à nuancer la thèse du déclassement qui prédomine dans les discours, souvent misérabilistes, portant sur les ménages « modestes » du périurbain. Ces recherches récentes appréhendent les trajectoires résidentielles et socioprofessionnelles à l’aune des aspirations sociales, en montrant que ces aspirations peuvent être au principe de désajustements, mais qu’elles sont aussi, dans d’autres cas, sources de sentiments d’estime et de respectabilité sociale. Et lorsque l’on associe ces approches ethnographiques avec des données quantitatives qui rendent compte du profil sociologique des habitants des mondes périurbains, c’est plutôt l’idée de mosaïque et de diversité qui ressort, bien loin de certains clichés savants et médiatiques.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Violaine Girard & Jean Rivière, « Grandeur et décadence du « périurbain ». Retour sur trente ans d’analyse des changements sociaux et politiques », Métropolitiques, 3 juillet 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Grandeur-et-decadence-du-periurbain.html

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