Le 17 décembre 2012, après une dizaine d’années de débats, de conférences métropolitaines, de livres verts et blancs, les élus du syndicat Paris Métropole ne parviennent pas à s’accorder sur un modèle de gouvernance pour leur territoire. À peine élu, le Président de la République leur avait confié le soin de trouver une solution. Ces impasses ont laissé la main aux parlementaires. Pendant le premier semestre 2013, ils se sont distingués lors de deux épisodes aussi inattendus que contradictoires :
- la défection du Sénat le 6 juin 2013 par l’alliance des communalistes de gauche et de droite. Rassemblés autour du modèle de fédération souple d’intercommunalités, ils rejettent la première version du projet de loi du gouvernement et laissent une page blanche ;
- le revirement de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2013, après un brusque compromis interne aux élus socialistes, d’une seconde version de métropole intégrée de 124 communes effaçant les intercommunalités (Plaine Commune…) ; ce choix justifié par la volonté de simplifier et de lutter contre les inégalités a été confirmé en seconde lecture de la loi MAPTAM, le 17 décembre 2013, et promulgué le 27 janvier 2014, tandis que quatorze autres métropoles étaient créées.
Sortir du chaos de la gouvernance publique en Île-de-France… pour une autre forme de chaos
Le premier semestre 2014 était neutralisé par les élections municipales remportées par la droite en mars. Ce temps a permis aux élus locaux du Grand Paris de prendre acte du nouveau contexte institutionnel et de mesurer leur degré d’isolement et de division face aux parlementaires. Cette prise de conscience, doublée d’un nouveau rapport de force issu des urnes, les incite à s’impliquer dès l’été 2014 dans la Mission de préfiguration de la métropole pour élaborer un projet alternatif de gouvernance, plus fédéraliste et moins intégré, capable de remplacer l’édifice si laborieusement échafaudé.
Le mode de délibération de la Mission de préfiguration favorise la stratégie des maires opposés à l’institution d’un gouvernement métropolitain intégré. Leur intérêt était de gagner du temps jusqu’en 2020, de renforcer les territoires appelés à remplacer les communautés d’agglomération, de limiter les compétences de la métropole et de faire bloc pour sauvegarder les recettes financières et la planification urbaine de leurs collectivités locales et de leurs établissements publics.
Après la décision, assez rare, du Premier ministre d’accepter de modifier l’article 12 de la loi MAPTAM portant sur la création de la métropole du Grand Paris, les maires ont joué sur deux tableaux :
- limiter l’intégration métropolitaine qu’ils ne peuvent plus totalement rejeter face à la prise de conscience dans l’opinion du fait métropolitain ;
- préserver le maximum du pouvoir local entre leurs mains, quitte à le partager a minima avec les territoires dont les périmètres et les pouvoirs restent à négocier.
Dans ces débats, trois verrous cristallisent leur résistance contre la MGP :
- garder la maîtrise locale des choix d’aménagement et de politique du logement, acceptée par leurs habitants-électeurs et compatible avec les réalités fines de chaque commune, d’où leur refus des outils contraignants (PLUI [1] ou PLH [2] métropolitains) ;
- limiter l’ampleur des transferts financiers, pour préserver leur marge d’action ; face aux inégalités territoriales saisissantes et aux besoins de la métropole en logement et en transports, le procès en illégitimité de ces transferts ne tient plus, mais il reste possible d’en limiter l’ampleur ;
- imposer une clause de revoyure avant 2020, qui permette de statuer à nouveau sur le sort de la MGP… après les échéances de 2017.
La motion de compromis sur laquelle les élus locaux du Grand Paris s’entendent le 8 octobre 2014, et qu’ils proposent à la Mission de préfiguration et au gouvernement, accouche d’une métropole light, entre statu quo et tous petits pas… Pour accorder les maires partisans du retour à l’« avant loi MAPTAM » et ceux supporters d’une métropole puissante, le consensus s’est établi autour de quelques principes :
- imposer une architecture à trois niveaux en jouant habilement avec l’idée de coopératives de villes : métropole, territoires (étendus avec un statut d’EPCI [3] doté de compétences de ressources et de personnalité juridique) et communes ;
- partager les ressources fiscales entre la MGP, qui récupère la CVAE [4] et la DGF [5], et les territoires, dotés du produit de la CFE [6], peu à peu harmonisée après 2020 ;
- activer les compétences de la MGP au fur et à mesure de la définition de l’intérêt métropolitain de 2016 à 2020 ;
- refuser le PLU métropolitain au profit d’un SCOT [7] ;
- négocier un fond d’investissement métropolitain ;
- étendre le périmètre de la MGP aux communes accueillant des fonctions stratégiques (comme les aéroports).
En ajoutant une couche de plus au mille-feuille politico-administratif francilien, cette motion votée droite et gauche confondues (134 pour, 13 abstentions, 8 contre), dynamite le schéma gouvernemental. En privilégiant une approche progressive pour éviter de trancher entre la vision communaliste de la métropole et celle plus intégratrice des partisans résolus d’un puissant gouvernement métropolitain, elle ré-ouvre aussi toutes les options puisque, entre le vote de la nouvelle loi et l’aboutissement du processus, des élections régionales et présidentielles se seront tenues…
Dépasser les affrontements partisans pour préserver l’intérêt communal
Avec le retour du texte devant les parlementaires, un nouveau chapitre s’ouvre donc. Au cours des 18 mois de débat, l’article 12 de la loi MAPTAM, créant la MGP, est devenu l’article 17 de la loi portant une nouvelle organisation territoriale de la République (« loi NOTRe »), mais surtout les points de clivage se sont précisés. D’octobre 2014 jusqu’au vote en première lecture à l’Assemblée nationale le 11 mars 2015 du projet de loi NOTRe (306 voix contre 238), trois sujets ont cristallisé les désaccords :
- l’affirmation des futurs territoires (leur autonomie et l’étendue de leurs compétences) versus la préservation des pouvoirs historiques des communes ou la sauvegarde des pouvoirs nouveaux que la loi MAPTAM accordait à la métropole ;
- la répartition de la fiscalité économique dans le contexte d’une métropole forte versus une métropole faible avec une concurrence (fiscale) entre territoires ;
- la maîtrise du PLU et l’harmonisation des projets locaux versus un espace urbain dans lequel chacun continue de faire ce qu’il veut.
Alors qu’il s’était lui-même éliminé du jeu politique en 2013 en supprimant la MGP, le Sénat, repassé à droite, adoptait le 27 janvier 2015 une position médiane reconnaissant la métropole soutenue par l’UMP, l’UDI et le PS avec l’abstention du PC. Ce compromis a été repris à l’Assemblée nationale. Certains députés socialistes ont fait mine de regretter que la MGP dispose désormais de faibles compétences et de faibles moyens : souhaitant revenir à l’esprit initial du texte voté en 2013, ces députés voulaient faire remonter toute la fiscalité à la métropole, lui confier la définition des PLU et lui transférer les compétences des grands syndicats.
Dans ce jeu à trois bandes entre députés, maires et gouvernement, l’Assemblée a redonné un peu d’ambition au texte de loi en adoptant le 11 mars 2015 :
- la délégation de la compétence PLUI aux conseils de territoire après avis conforme de la MGP et non plus seulement après un avis simple ;
- le maintien des territoires comme des syndicats de communes de 2016 à 2020, les EPCI à fiscalité propre percevant une part de la CFE jusqu’en 2020 ;
- et une décision contradictoire sur les deux plates-formes aéroportuaires : Roissy ne sera pas entièrement intégré à la MGP, tandis que la plate-forme d’Orly intégrera la MGP.
L’histoire de la MGP se résume au conflit entre l’État, quelque soient les gouvernements, soucieux de créer de nouvelles formes institutionnelles, et les maires, unanimement décidés à conserver leurs prérogatives en substituant habilement le clivage métropole girondine versus métropole jacobine au clivage traditionnel gauche/droite.
La loi NOTRe est parvenue à imposer le trio intercommunalités–métropoles–régions en lieu et place du trio historique communes–départements–État, mais les maires de la MGP ont, eux aussi, réussi à imposer leur vision :
- au Parlement, où les élus du Grand Paris sont peu nombreux, divisés et assez mal perçus par les élus de Province, jaloux de la région capitale et convaincus de son incapacité à s’organiser correctement ;
- Aux députés franciliens, pour la majorité d’entre eux premiers enfants audacieux du non-cumul des mandats ;
- Aux deux têtes du gouvernement : Mme Lebranchu, dans le rôle de la « méchante inflexible » qui fixe les lignes rouges et combat les égoïsmes locaux, et M. Valls, dans celui du « gentil » qui écoute les élus locaux et arbitre à chaque étape délicate du processus.
L’élection à l’unanimité et à main levée, le 19 décembre 2014, de Patrick Devedjian président UMP de Paris Métropole, succédant à Daniel Guiraud (PS), a montré combien la volonté des élus locaux de faire bloc l’emportait sur toute autre considération politique. La priorité axée sur l’autonomie des conseils de territoire a évacué tous les autres désaccords au point de consacrer un opposant résolu au gouvernement et un métropolitain pour le moins sceptique et peu partageux.
Une métropole « a minima »
Le compromis final entre le gouvernement et les élus locaux rogne les ambitions initiales de la MGP et pourrait rendre insoluble la correction des fractures urbaines et économiques intrinsèques à la métropole ainsi que l’émergence d’un réel polycentrisme. Les incessants va-et-vient auxquels se prête le monde politique sont étonnants. Il semble ignorer l’urgence quotidienne croissante que vivent les franciliens. Il paraît tout aussi sourd à l’exaspération du monde économique, favorable à la métropole mais dans l’incapacité de se projeter et d’investir faute de perspectives, de cadres légaux et d’interlocuteurs stabilisés.
La MGP, telle qu’elle s’apprête à être votée, donne du temps au temps alors que la spécialisation des territoires s’accélère au risque de nuire au développement de toute la métropole, dont les signes d’essoufflement sont nombreux. De cette loi auraient pu naître des transferts financiers et une gouvernance politique efficace pour porter des choix stratégiques d’aménagement et renforcer le sentiment d’appartenance. Il n’en n’est rien aujourd’hui. D’adoucissements en concessions, la MGP disposera à sa création d’un budget modeste : sur un total de 2,58 milliards d’euros, elle en rétrocédera 2,33 !
Le vrai processus ne commencera qu’en 2020, laissant le marché continuer de fonctionner selon une logique de vases communicants entre les quartiers centraux toujours plus attractifs et ceux de la périphérie moins bien situés. Cette tendance est renforcée par les entreprises à la recherche de gains de productivité en se regroupant sur un seul site. En absence de tout système de régulation, l’activité se concentre dans les zones les plus compétitives : Paris, la Défense et le cœur d’agglomération bien desservi et facilement accessible. Dans le Grand Paris polarisé par la puissance et l’attractivité de la capitale, la périphérie de la grande couronne est triplement pénalisée : faibles surfaces de bureaux, faibles loyers et faibles recettes… qui bloquent la relance de logements [8].
En 2014, 2,1 millions de mètres carrés ont été loués en Île-de-France. En 2015, 4,3 millions de mètres carrés de seconde main sont disponibles, 670 000 m² devraient être livrés et 450 000 m² sont en cours de construction. En 2016, un million de mètres carrés dont les permis ont été accordés, mais dont les chantiers n’ont pas démarré, pourraient s’y ajouter. Ces chiffres montrent l’illusion liée aux effets qui sont indistinctement associés aux gares du Grand Paris Express : 17 millions de mètres carrés de surface d’activité ont été programmés dans les CDT [9] ! Face aux réalités économiques incontournables qui interrogent le contenu du polycentrisme tant revendiqué par les élus locaux, le besoin d’arbitrage s’oppose à l’appétence des maires pour accueillir les programmes de bureaux les plus hasardeux quand ils traînent à soutenir les programmes de logements reconnus nécessaires… Tout indique que notre système ne pourra perdurer sans redistribution massive des ressources et des compétences et sans remise en cause à plus ou moins court terme du gouvernement de la métropole.
Pendant que les élus discutent, d’autres acteurs s’impatientent et agissent, accentuant encore la fragmentation de la gouvernance métropolitaine. La MGP « a minima » qui a été votée, déçoit les partisans d’une métropole intégrée comme les tenants du tout communal. Elle déçoit également les acteurs économiques qui plaident pour une métropole forte, capable d’affronter la compétition mondiale, et les acteurs politiques unis pour limiter les transferts de compétences et de moyens financiers vers la métropole tout en acceptant des coopérations ponctuelles (jeux olympiques, exposition universelle, pollutions…).
Ainsi, cette MGP « a minima » se construit de manière sectorielle et fragmentée. Le refus de lui rattacher les grands syndicats techniques tout en laissant s’accumuler de multiples structures dédiées, tel que le Nouveau Grand Métro porté par la SGP [10], ont donné lieu à une gouvernance éclatée. De même, le « pack de l’aménagement » associe EPFIF [11], ANRU [12] et AFTRP [13] pour avancer vers l’objectif mythique des 70 000 logements. Au cours du comité de pilotage du plan de mobilisation du 18 février 2015, piloté par Grand Paris Aménagement, faux-nez de l’AFTRP, une potentialité de 180 000 logements répartis sur environ 80 communes a été présentée, dont 67 000 en Seine-Saint-Denis [14]. Cette annonce, qui vise à soutenir les maires bâtisseurs, pose aussi clairement la question des équilibres à l’échelle régionale.
En attendant le « projet métropolitain »…
La définition du « projet métropolitain » sera le moment crucial d’ajustement des objectifs de logements, d’activités et de ressources. Cette situation relancera inévitablement le débat sur la péréquation, d’autant que les projets de logements ambitieux ne pourront tous aboutir, faute de moyens pour réaliser les équipements publics indispensables.
Depuis 2013, la dynamique du Grand Paris est lancée, mais à petite vitesse jusqu’en 2020, et sans vision claire du projet métropolitain. Le souffle des municipales, le changement de position de la maire de Paris, piégée par sa promesse de ne pas augmenter les impôts, et les réticences des Hauts-de-Seine ont bouleversé les équilibres. Pour sauver la MGP, le Premier ministre, en louvoyant entre les députés partisans de la métropole et 124 maires unis pour refuser « la mort des communes », a fini par renoncer au projet fondateur de la métropole : la redistribution significative des richesses et la lutte contre les inégalités.
Pourtant, derrière l’impression de blocage, un profond mouvement a modifié les postures. On mesure le chemin parcouru depuis 2001 et les avancées qui découlent de la fondation de la MGP. Alors que le mot Grand Paris était resté tabou et que la métropolisation est vilipendée, les deux assemblées ont entériné sa création effective au 1er janvier 2016. Les grands groupes économiques intègrent désormais cette nouvelle dimension. Une nouvelle maille intercommunale de 300 000 à 400 000 habitants, conçue comme l’échelon intermédiaire déconcentré de la métropole, a également été définie et l’intégration de la petite couronne dans la MGP devrait corriger partiellement l’erreur de 1964, en permettent de mieux réguler l’action publique à une échelle plus pertinente qui casse la frontière avec Paris. La création d’intercommunalités puissantes de 200 000 habitants en grande couronne, pour faire contrepoids à la métropole, pourrait enrayer le sentiment d’abandon de ces territoires et la création encore modeste d’un fonds d’investissement métropolitain pourrait constituer la première étape d’un dispositif plus ambitieux de redistribution.
Arguant des faiblesses de la loi et de l’impasse politico-financière qu’elle organise au moment où le besoin d’identité partagée devient plus évident, la mise en marche de la métropole pourrait redonner tout son lustre au modèle initial de 2012 : celui d’un rassemblement « d’établissements publics territoriaux » de type G15, garantissant une gouvernance plus efficace, des territoires plus forts et équilibrés, marqués par un rapport moins inégal avec Paris, avec finalement moins de différences entre les territoires de la métropole du Grand Paris et les intercommunalités de la grande couronne… et une solution qui remet potentiellement en piste la région à la veille d’élections à enjeu… La candidature de Claude Bartolone, qui fut un chaud partisan de la métropole intégrée, face à Valérie Pécresse, qui défend l’idée que « la métropole, c’est la région », promet une intéressante actualité pour ces débats dans les mois et les années à venir.