Depuis trois ans, Paris fait le choix de réunir des chercheurs du monde entier pour l’accompagner dans le chantier de la gouvernance de la métropole parisienne [1]. L’objectif est de confronter notre volonté de faire bouger les lignes avec les démarches entreprises par d’autres villes comme Londres, New-York, Madrid, ou encore Rio de Janeiro pour recomposer leur système de gouvernance et se donner les moyens de maîtriser leur développement.
La méthode : faire un appel au collectif
L’idée est ainsi, à un moment clef de notre construction politique, de faire naître un véritable collectif d’intelligences autour de notre projet. Pour cela, une méthode inédite par l’ampleur et la durée est choisie : un cycle trisannuel au cours duquel une centaine d’économistes, géographes, politistes, sociologues contribuent au débat en présentant leur travaux sur une trentaine de métropoles mondiales et nous oblige à décentrer notre regard et à bousculer nos certitudes. Car pour l’élaboration de cette nouvelle étape, il n’y a pas de brain trust [2] aux commandes de la métropole parisienne, mais un véritable bouillonnement intellectuel, né du croisement d’acteurs de la Ville et de chercheurs.
Le deuxième séminaire international qui a eu lieu les 28, 29 et 30 novembre dernier, est intervenu à un moment particulier. Nous sommes à la veille d’une réforme importante de la gouvernance de la métropole parisienne. Cette transformation, nous en avons pris l’initiative avec l’ambition de relever les défis urgents : garantir plus d’égalité dans l’accès aux services publics, accentuer les efforts de construction de logements, réussir la transition énergétique dans nos territoires. Convaincus aussi que les recompositions qui touchent Paris comme toutes les grandes métropoles mondiales appellent un renouvellement en profondeur de nos manières de conduire les politiques.
Pour des modèles coopératifs et souples
Une leçon émerge de la confrontation internationale au terme de ce cycle de séminaire. Dans aucune métropole du monde, des décisions venues d’en haut n’ont produit d’effet positif. Les modèles innovants sont toujours coopératifs et souples. Leur émergence « par le bas » est une condition de leur efficacité. Mais toutes les coopérations métropolitaines ont dû trancher entre garder un caractère informel et prendre le risque de l’essoufflement, ou au contraire approfondir l’intégration opérationnelle et institutionnelle. Dans ce cas le risque est de fragiliser le consensus et de menacer l’existence même de la dynamique collective. Pour amplifier la stratégie métropolitaine patiemment déployée depuis dix ans à l’initiative de Bertrand Delanoë, nous faisons le choix de bâtir à partir de Paris Métropole, qui réunit aujourd’hui neuf des dix millions d’habitants de l’agglomération et d’amplifier sa capacité à agir.
Si le bricolage institutionnel est souvent la règle dans les métropoles mondiales, ce mish-mash d’acteurs – comme le qualifiait l’économiste Michaël Storper en ouverture du dernier séminaire – pour être efficace et garantir la cohésion, doit se fixer des garde-fous. Il faut se prémunir de la superposition de structures incontrôlables et garantir le contrôle des citoyens sur le gouvernement métropolitain. C’est à la fois un moyen d’assurer la cohérence des politiques et d’éviter les dérives technocratiques. L’institutionnalisation du gouvernement métropolitain nous semble ainsi aujourd’hui nécessaire pour construire une démocratie métropolitaine.
Les expériences étrangères ont également montré qu’il était important de travailler en amont à l’adhésion politique et sociale du projet métropolitain. Les échecs des transformations à la hussarde ont persuadé les parties en présence de la nécessité de continuer le travail collectif entrepris. C’est le sens même de notre participation à la consultation citoyenne engagée par Paris Métropole pendant deux mois dans toute l’agglomération : la transformation doit partir d’une ambition partagée entre élus et habitants.
Le périmètre de nos ambitions et l’urgence de gouverner
Le premier objectif d’une nouvelle gouvernance est de faire émerger un gouvernement à la taille des enjeux, là où l’emboîtement des échelles, le télescopage des instances décisionnelles caractérisent le fonctionnement de nos métropoles contemporaines. Cependant, comme toutes les métropoles, la métropole parisienne est confrontée aujourd’hui à l’émergence de nouveaux territoires : pôles majeurs périphériques, périurbain, ville diffuse, entre-ville. Leur perception n’est pas réductible à l’opposition passée entre le centre et la périphérie. Paris a d’ailleurs œuvré pour casser cette opposition, et pour dépasser les représentations qui ont longtemps encombré le discours sur la métropole.
Face à ces nouveaux territoires, le choix d’un périmètre est toujours imparfait. Aujourd’hui, la question n’est plus de dessiner les contours du fait métropolitain, mais de construire une instance capable de porter des projets métropolitains partagés. Si l’on revient à la situation parisienne, l’agglomération, autrement dit l’espace continûment urbanisé autour de Paris, constitue à la fois une réalité vécue et l’espace de nos enjeux. Elle forme également un espace public « politique ». La proposition de réunir tous les niveaux de collectivités de l’agglomération parisienne au sein d’un pôle métropolitain est à même de consacrer la construction d’un véritable espace public métropolitain mais aussi de nous préserver, grâce à l’association des départements de la grande couronne et de la Région, d’une nouvelle opposition entre la métropole et son extériorité.
Par une sorte d’ironie de l’Histoire
Après avoir été à la traîne sur ces sujets jusqu’en 2001 (et sans doute parce qu’elle a été tout simplement à la traîne), la métropole parisienne est l’une de celles dans lesquelles les mutations de la gouvernance pourraient être le plus tangibles aujourd’hui : les élus de Paris Métropole ont formulé des pistes. Ils soumettront le 17 décembre prochain une proposition de réforme au gouvernement, le Président de la République s’étant engagé à créer la métropole en partant des propositions des élus. Cette volonté d’intensifier un processus et d’expérimenter mais aussi l’association d’une large coalition d’acteurs, la construction d’un récit fondateur, et l’émergence politique d’un espace vécu placent Paris en situation d’accomplir la mutation de son régime de gouvernance.