Avec la révolution informationnelle, les nouvelles technologies de l’information et de la communication et l’avènement de la proximité virtuelle [1] ont rendu possible la déconnexion spatiale des fonctions économiques [2] des entreprises (cf. tableau 1). De même qu’à l’échelle mondiale la géographie de la production économique a connu de grands bouleversements, cette nouvelle réalité a modifié la place des villes dans l’économie mondiale et a affecté jusqu’à leur structure spatiale interne. Pour une métropole comme Paris, cela questionne l’existence et les formes d’une nouvelle division fonctionnelle du travail dans le territoire métropolitain.
1. Agriculture et pêche 2. Bâtiment et travaux publics 3. Fabrication 4. Transports – logistique 5. Entretien – réparation 6. Distribution 7. Services de proximité 8. Éducation – formation 9. Santé et action sociale 10. Administration publique |
11. Conception – recherche 12. Prestations intellectuelles 13. Gestion 14. Culture – loisirs 15. Commerce inter-entreprises |
Quelle opposition centre–périphérique dans la métropole francilienne ?
Mesurer la division spatiale du travail à partir des fonctions économiques exercées dans les entreprises dévoile une structure qui contraste avec l’image convenue d’une Île-de-France où le centre concentrerait les emplois de décision et de conception, alors que les tâches de production et d’exécution seraient rejetées en périphérie.
Au vu d’une étude sur l’inégalité de la distribution des fonctions économiques menée à l’échelle communale en Île-de-France, l’hypothèse d’une opposition entre un centre métropolitain et une périphérie opérationnelle ne tient pas. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il n’existe pas de profondes asymétries entre centre et périphérie dans la répartition des fonctions d’entreprise au sein de la métropole francilienne. Elles sont simplement d’une autre nature.
Elles opposent Paris et sa proche banlieue, bien plus dotées en emplois, au reste de la région Île‑de France (communes en rouge sur les cartes 1 et 2), et ce tout autant pour les emplois « métropolitains » que pour les emplois « non métropolitains ».
Source : Insee 2009 (Emplois au lieu de travail). Cartes réalisées à l’aide du logiciel GeoDa (Anselin, Syabri et Kho 2006).
Tous les actifs se rencontrent mais certains plus que d’autres
Toutefois, à l’échelle des communes, la division fonctionnelle des emplois est asymétrique : les actifs exerçant différentes fonctions n’ont pas la même probabilité de se rencontrer [3]. Les actifs occupant des fonctions métropolitaines ont une forte probabilité de côtoyer des actifs occupant des fonctions non-métropolitaines (58 %). Par contre, les chances pour des actifs de fonctions non-métropolitaines de rencontrer des actifs de fonctions métropolitaines sont nettement plus faibles, leur probabilité de rencontre étant seulement de 35 %.
Source : Insee (Recensement de la population). Calculs réalisés sur Segregation.mbx (Apparicio et al. 2008).
Ce résultat est dû à la fois au fait qu’il y a globalement plus d’actifs dans les fonctions non-métropolitaines mais aussi au fait que les fonctions métropolitaines sont plus que proportionnellement représentées dans le cœur de la région francilienne. En parallèle, les emplois métropolitains sont particulièrement peu présents hors du cœur de la région, où les actifs travaillant dans les fonctions non-métropolitaines se retrouvent entre eux.
Cette asymétrie dans les probabilités de rencontre d’actifs situés aux extrêmes de la hiérarchie fonctionnelle fait écho à la ségrégation résidentielle des groupes sociaux dans l’espace urbain. On y observait que les pauvres n’ont que de très faibles chances de côtoyer des riches dans leurs communes de résidence, l’inverse n’étant pas vrai.
Face à ces constats, la question de l’action publique se pose et plusieurs logiques d’aménagement du territoire peuvent être envisagées.
Trois perspectives pour la localisation des emplois en Île-de-France
Dans la compétition entre métropoles globales, les activités de décision, de contrôle et de création sont un des éléments clefs de la performance économique, du rang et du devenir de chacune de ces villes, têtes de réseau de l’économie mondialisée. Dans cet archipel urbain, chaque ville présente une combinaison d’atouts qui lui est propre, attirant des firmes multinationales différentes qui profitent de ces caractéristiques (Bourdeau-Lepage 2010). Selon le récent classement de la Fondation Mori intitulé Global Inner-City Power Index 2010 (Fondation Mori 2011), Paris se classe au premier rang des métropoles globales. Ce résultat contraste avec sa surface urbaine la plus ramassée parmi les villes entrant dans le classement [4], ce qui fait écho au résultat de la forte concentration des emplois franciliens au sein du territoire de la métropole parisienne.
Face à la montée des villes d’Asie du Sud-Est, cette hypercentralité fonctionnelle pourrait être présentée comme le meilleur atout de Paris pour tenir son rang parmi les métropoles globales et les politiques publiques locales de l’emploi devraient s’inscrire dans ce cadre.
On pourrait, au contraire, plaider pour la déconcentration des fonctions métropolitaines au sein des communes franciliennes). Si l’on adopte plutôt le prisme du bien-être des actifs ou de la mixité sociale au sein des entreprises, cela permettrait de produire une métropole plus équilibrée. En effet, le monocentrisme fonctionnel a a priori des conséquences sur le bien-être des travailleurs : il implique notamment d’importantes inégalités en termes de logement et de temps de transport. C’est le cas des populations les moins qualifiées localisées loin du cœur de la région, mais cela concerne plus largement tous les actifs.
Enfin, on pourrait chercher à transposer aux emplois les débats sur la mixité sociale et considérer qu’il faudrait imposer un minimum d’emplois métropolitains et un minimum d’emplois non métropolitains par territoire – par exemple, en jouant sur la destination des sols ou les règles d’urbanisme, les bâtiments n’étant pas les mêmes pour accueillir chacune des fonctions. Si l’on adoptait cette position, cela impliquerait, là aussi, une politique volontariste de redéploiement des fonctions entre communes périphériques et communes centrales, ainsi qu’une attention particulière portée à la composition de la main-d’œuvre au cœur même de la région.
Trancher entre ces trois orientations suppose de faire des choix stratégiques sur l’articulation entre le développement économique et le développement urbain de la métropole. Cela implique aussi des processus de décision publique innovants concernant la territorialisation des politiques économiques.
Bibliographie
- Anselin, L. 1995. « Local indicators of spatial association – LISA », Geographical Analysis, vol. 27, p. 93‑115.
- Apparicio, P., Petkevitch, V. et Charron, M. 2008. « Calcul d’indices de ségrégation : une application C#.net dédiée au calcul des indices de ségrégation résidentielle », Cybergeo : European Journal of Geography, Systèmes, Modélisation, Géostatistiques, article 414.
- Bourdeau-Lepage, L. et Huriot, J.-M. 2009. « Proximités et interactions : une reformulation », Géographie, économie, société, vol. 11, p. 233‑249.
- Bourdeau-Lepage, L. 2010. « Paris, une île en France dans l’archipel des métropoles », in Gilli, F. (dir.), Paris, Métropole dans le monde, à paraître.
- Insee. 2009. Analyse fonctionnelle des emplois et cadres des fonctions métropolitaines.
- Fondation Mori. 2011. Global Power Inner-City Index 2010. Research of the “inner city” in the eight cities, Tokyo : Mori Foundation.
- Hidalgo, A. et Mansat, P. 2012. « Paris, une métropole au défi de l’intelligence collective », Métropolitiques, 10 décembre.
- Padeiro, M. 2011. « État et foncier : quand les rocades du Grand Paris tournent autour des questions », Métropolitiques, 5 janvier.