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Débats

Grand Paris : pour une métropole vraiment métropolitaine

Alors que le débat sur la structuration institutionnelle de la métropole parisienne est entré dans une phase sans doute décisive, trois urbanistes de Plaine Commune expliquent les raisons de la mobilisation de l’intercommunalité contre le projet gouvernemental et militent en faveur d’une métropole multipolaire fondée sur une gouvernance ascendante.

Depuis le rejet par le Sénat de toute évolution institutionnelle dans la région parisienne et le contre-pied radical de l’Assemblée nationale, voilà quatre mois que deux visions s’opposent concernant la réorganisation de l’Île-de-France : celle d’une métropole polycentrique fondée sur une gouvernance confédérée fait face à celle d’une métropole « intégrée », constituée d’un nouvel établissement publique de coopération intercommunale (EPCI) unique regroupant l’ensemble de la « zone dense » de 6,5 millions d’habitants. Dans ce débat décisif pour les territoires franciliens, la communauté d’agglomération de Plaine Commune a joué un rôle notable.

En s’opposant au projet de loi voté à l’Assemblée nationale le 19 juillet 2013, Plaine Commune s’est vue reprocher une attitude conservatrice et hostile à la structuration de la métropole. C’est un raccourci trompeur : alors que cette communauté d’agglomération a été parmi les premières intercommunalités en Île-de-France à s’engager dans les démarches de coopération métropolitaines, son projet de territoire a toujours fait de la métropole l’échelle de référence pertinente pour l’organisation et le développement territorial. C’est bien le mode de gouvernance « intégrée » proposé pour cette métropole que Plaine Commune refuse, précisément parce qu’il n’est pas assez métropolitain !

De Paris Métropole à la Métropole de Paris : l’histoire d’un parcours législatif agité

Le premier projet de « Grand Paris » présenté au Sénat en juin s’inspirait des travaux de Paris Métropole, formalisés dans son Livre vert sur la gouvernance. Ce projet instaurait une métropole décentralisée, qui permettait une gouvernance ascendante favorisant la prise en compte des diversités territoriales. Pour pallier les défauts actuels de nombreuses intercommunalités franciliennes, rarement à la bonne échelle des enjeux et des problèmes à traiter, le projet de loi généralisait à toute l’unité urbaine la création de grandes intercommunalités. Dotant, par délégation, la métropole de compétences stratégiques, il assurait la cohérence du projet collectif en prévenant l’éventualité d’une métropole de baronnies.

Le rejet du projet suite à une alliance de circonstance entre les sénateurs UMP et communistes, ancrés dans la défense de l’échelon communal, a rouvert le jeu. D’après Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, ce serait « sur les pages blanches que l’on écrit les plus belles histoires [1] ». De fait, certains députés ont saisi l’occasion pour remplir le vide avec une redoutable efficacité… et simplicité.

Quelles histoires ont donc été écrites ? En proposant une métropole « intégrée [2] », contraire aux revendications des territoires exprimées dans les travaux de Paris Métropole, contraire au besoin de coordination des échelles et des politiques dans la mise en place des stratégies métropolitaines, contraire aux histoires territoriales locales, le nouveau projet de loi joue « la politique contre la géopolitique » (Béhar 2013) et prend le risque de faire la métropole contre ses principaux artisans.

Ce que l’on peut regretter, d’autre part, dans cette démarche, est que le débat à l’Assemblée nationale n’ait pas eu lieu sur les mêmes bases qu’au Sénat et qu’il ait écarté toute discussion sur le modèle de métropole confédérée. Les réactions des élus locaux sont virulentes ; elles sont à la mesure de la radicalité de la rupture proposée, sans qu’aucune discussion préalable n’ait permis d’instruire collectivement le fond des sujets métropolitains.

La mobilisation de Plaine Commune : de l’opposition aux propositions

La mobilisation de Plaine Commune contre ce projet est plurielle : ce sont aussi bien des élus, des techniciens que des partenaires qui font entendre leurs voix. Elle trouve des échos bien au-delà de l’agglomération, notamment dans les prises de position de Paris Métropole et d’autres collectivités comme la communauté d’agglomération de la Vallée de Montmorency ou la communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest. Tous défendent l’idée qu’avec un seuil démographique important, l’intercommunalité est l’échelon pertinent non seulement pour articuler les grandes orientations stratégiques métropolitaines et l’urbanisme de projet, mais aussi pour définir un projet partagé à l’échelle métropolitaine, tout en garantissant une proximité avec les citoyens.

Après avoir fortement marqué son opposition, Plaine Commune s’est rapidement attachée à formuler des propositions. Elle s’est entourée d’experts, dont certains membres de l’Atelier international du Grand Paris (AIGP), pour organiser un débat contradictoire et formuler trois refus :

  • le refus d’une métropole à une seule voix, celle de la présidence du Grand Paris, qui marque un arrêt, voire un recul, non seulement dans le processus de décentralisation, mais aussi dans la reconnaissance de la diversité des territoires et dans la prise en compte des « sans‑voix, sans‑pouvoirs », pour reprendre la formule de Saskia Sassen (Deroubaix 2013) ;
  • le refus d’une métropole dans laquelle les jeux politiciens priment sur la définition des politiques publiques, où le politics l’emporte sur la policy ; ce retour des logiques partisanes dans la construction métropolitaine ne peut être que contre-productif, alors même que Paris Métropole avait permis aux élus de tous bords de discuter et de partager ensemble les enjeux métropolitains ;
  • le refus d’une métropole qui confie à une seule structure la responsabilité et la légitimité de décider de l’avenir d’une « galaxie de territoires » (Vanier 2009).

Du débat ont également émergé des amendements possibles, afin de faire évoluer le texte, de l’enrichir en conciliant les deux visions à l’œuvre. Si l’objectif est de faire de la Métropole de Paris un outil émanant des territoires et au service des territoires, trois pistes sont à explorer par les députés lors de la seconde lecture :

  • doter la métropole d’un périmètre élargi ou à tout le moins de la possibilité d’élargir le périmètre au fil du temps – la région parisienne ne peut pas déroger au droit commun de ce point de vue : les collectivités doivent pouvoir la rejoindre librement ;
  • doter les « conseils de territoire » d’une personnalité juridique avec des compétences fiscales et un vrai ancrage démocratique ;
  • doter ces mêmes conseils de véritables compétences de projet et d’aménagement, en lien avec les compétences stratégiques métropolitaines.

La mobilisation de Plaine Commune ne traduit pas une volonté de statu quo. Elle reflète la volonté de trouver une solution plus efficiente pour les territoires et les habitants. La démarche ne s’inscrit donc pas dans la défense d’un droit à exister en tant qu’EPCI ; l’intercommunalité n’a jamais été une fin en soi, elle répond au besoin de garantir à la fois un cadre opérationnel efficace et un espace politique et démocratique identifié. C’est une conception politique de la métropole qui est en jeu : celle du droit pour un territoire à ne pas dépendre d’arbitrages techniques et financiers décidés par autrui au nom d’intérêts tiers, celle de la légitimité d’un territoire à se battre pour que ses problèmes soient considérés à l’échelle métropolitaine comme des enjeux centraux plutôt que périphériques [3].

La défense d’un contre-modèle métropolitain : le droit à la centralité pour tous

Les débats sur la gouvernance de la métropole de Paris ont largement ignoré ceux qui animent les territoires métropolitains à l’échelle internationale. Pourtant, d’autres exemples de « métropole intégrée » devraient inciter à la prudence. Le cas de Toronto montre les possibles effets pervers et l’inefficacité d’une telle structure : augmentation des coûts, impraticabilité technique, déficit démocratique.

Par ailleurs, au sein de structures d’échanges comme le Forum mondial des autorités locales de périphérie ou le Congrès mondial des gouvernements locaux unis, de nombreux pouvoirs locaux militent pour une gouvernance décentralisée. L’enjeu est de saisir l’occasion de la mutation métropolitaine pour organiser un rééquilibrage des rapports entre centre et périphéries, tant dans la définition des politiques publiques que dans les rapports de pouvoir institutionnels. Aux effets socio-spatiaux de la globalisation, ils opposent la construction de projets locaux visant à conforter une dynamique globale. Cette démarche a notamment permis de faire émerger et de diffuser la notion de « droit à la centralité pour tous », adaptation contemporaine du « droit à la ville » d’Henri Lefebvre, qui défend l’accès des territoires périphériques aux mêmes niveaux de services, de desserte en transports, d’aménités urbaines que les grands centres urbains (Gilli 2013).

Dans cette perspective, la métropole multipolaire revendiquée par les élus locaux franciliens favoriserait l’émergence de projets partagés et ascendants, en lien avec les territoires de proximité, pour tendre vers une plus grande équité territoriale. Ce modèle métropolitain s’est progressivement constitué en véritable référence et fait l’objet d’un important soutien de la part des élus [4] comme des praticiens et des experts. D’ailleurs, les spécialistes de la question métropolitaine sont très peu nombreux à militer en faveur de la solution gouvernementale. Ils convergeaient, au contraire, pour mettre en avant la nécessité d’auto-organisation des territoires et des politiques publiques. Circonspects et mis devant le fait accompli, la plupart des experts ou des chercheurs sont soit critiques soit extrêmement discrets.

À l’heure où la recherche de la « bonne gouvernance » alimente les débats dans les réseaux internationaux, il n’est pas trop tard pour entendre les praticiens, qu’ils soient élus locaux, agents territoriaux, experts ou scientifiques, et éviter de s’enfermer dans les jeux et affichages politiciens. La simplification administrative, le common sense ne sont pas synonymes d’efficacité. Le génie complexe de nos territoires mérite une gouvernance ingénieuse : seule la mise en capacité des territoires intermédiaires la permettra. Plus de pouvoir pour les territoires de la métropole, c’est plus de pouvoir pour la métropole.

Bibliographie

  • Béhar, Daniel. 2013. « Métropole de Paris : la politique contre la géopolitique », Médiapart, 29 juillet.
  • Deroubaix, Christophe. 2013. « “La ville est un espace intéressant pour définir une politique”. Entretien avec Saskia Sassen », L’Humanité, 22 juillet.
  • Gilli, Frédéric. 2013. « Le Grand Paris des Grands Parisiens », Pouvoirs locaux, n° 97, p. 37‑41.
  • Vanier, Martin. 2009. « Comment habiter et gouverner la galaxie des territoires ? », synthèse de la conférence du 2 avril 2009, Conseil de développement responsable de l’agglomération de Poitiers, cycle « La Ville de demain ».

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En savoir plus

  • Lefèvre, Christian. 2009. Gouverner les métropoles, Paris : Lextenso Éditions.
  • Le Galès, Patrick. 2011 (2e éd.). Le Retour des villes européennes, Paris : Presses de Sciences Po.
  • Subileau, Jean-Louis. 2013. « Un Grand Paris sans ampleur », Libération, 19 juillet.
  • Vincendon, Sybille. 2013. « Métropole du Grand Paris : ceux qui rient, ceux qui crient », Libération, 4 juillet.
  • Vincendon, Sybille. 2013. « Christian Devillers : Le Grand Paris voté s’éloigne de la réalité », Libération, 23 juillet.

Pour citer cet article :

Damaly Chum & Maël Gendron & Sophie Leguillon, « Grand Paris : pour une métropole vraiment métropolitaine », Métropolitiques, 25 octobre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Grand-Paris-pour-une-metropole.html

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