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Distribution solidaire de l’association Cop1 pour des publics étudiants, mars 2021. Photo : Cop1 Solidarité étudiante (@cop1.solidarites.etudiantes).
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Nourrir Paris en temps de crise(s) : l’aide alimentaire à l’épreuve de la pandémie

Les confinements décidés lors de l’épidémie du Covid-19 ont détérioré l’accès à l’alimentation des classes populaires. Une enquête menée en région parisienne montre comment les acteurs de l’aide alimentaire se sont adaptés, tout en soulignant les fragilités du système à plus long terme.

L’aide alimentaire recourt à trois principaux modes de distribution : les colis alimentaires, les repas prêts à consommer et les épiceries sociales (Accardo, Brun et Lellouch 2022). Ces dispositifs sociaux et d’urgence sont principalement organisés par des associations, structurées dans les années 1980, à la sortie des Trente Glorieuses, pour répondre à la hausse du chômage et de la pauvreté. Elles reposent sur le travail d’un grand nombre de bénévoles.

En France, la fréquentation de l’aide alimentaire est en forte hausse depuis la fin des années 2000, avec un doublement du nombre de bénéficiaires entre 2008 (2,8 millions) et 2018 (5,5 millions) [1]. Ce processus s’est encore accéléré pendant les confinements liés à la pandémie de Covid-19 qui ont exacerbé les difficultés que connaît toute une frange de la population, dont l’économie domestique était déjà fragile (Bricas et al. 2022 ; Guénée et al. 2021). Cette augmentation des besoins a mis à l’épreuve la capacité des structures de l’aide alimentaire dans un contexte de perturbation des approvisionnements, de l’accès à l’espace et à la main-d’œuvre.

De manière générale, l’étude d’un système en période de crise peut permettre de mieux identifier les variables qui garantissent – ou entravent – son bon fonctionnement. En analysant à la fois les causes et les modalités de leurs réorganisations, nous souhaitons interroger la capacité d’adaptation des différents acteurs de l’aide alimentaire et questionner l’influence à long terme de la crise sanitaire sur le système d’aide et l’évolution de la précarité alimentaire.

Nous avons mené une série d’entretiens semi-directifs auprès de dix-neuf associations d’aide alimentaire actives pendant les confinements qui ont jalonné la crise sanitaire, à Paris et en petite couronne [2]. L’agglomération parisienne est un cas d’étude intéressant car la hausse du nombre de bénéficiaires déclarés par les structures d’aide alimentaire pendant la crise sanitaire a été particulièrement élevée [3]. Les entretiens ont été réalisés entre janvier et mars 2023, soit trois ans après les premières mesures de restrictions sanitaires. Ce recul temporel nous a permis de recueillir des informations et des paroles plus nuancées que lors d’une enquête en temps réel, et de les mettre en perspective au regard du contexte d’inflation actuel.

2020 : de la crise sanitaire à la crise alimentaire

La multiplication par trois des besoins d’aide alimentaire en Île-de-France (Caillavet et al. 2021) dans les premières semaines du premier confinement traduit l’aggravation massive de la précarité alimentaire, qui recouvre une pluralité de situations où l’accès à une alimentation durable est entravé (Paturel et Ndiaye 2020). En cause, la suppression ou la réduction des revenus, mais aussi des motifs non économiques. Des personnes âgées dépendantes ont, par exemple, été privées de services à domicile durant le confinement et ont dû solliciter l’aide alimentaire. Les soignants ont aussi connu, dans certains cas, un accès dégradé à l’alimentation, du fait de la fermeture de restaurants au sein de leur établissement et de l’extension notable de leur temps de travail pour faire face à l’urgence. Les personnes les plus précaires, notamment immigrées ou étudiantes, ont été particulièrement touchées par les mesures de confinement qui ont renforcé des situations d’isolement et des difficultés financières préexistantes. Pour certain·es, ce basculement dans la précarité est durable : un cinquième des étudiant·es recourent à l’aide alimentaire fin 2021, une part en forte hausse depuis la crise sanitaire (Accardo, Brun et Lellouch 2022).

La hausse soudaine de la précarité et de l’insécurité alimentaire a également entraîné une désorganisation des réseaux traditionnels de l’aide alimentaire. En effet, la hausse des situations de précarité associée à la fermeture des lieux de restauration hors domicile pendant le premier confinement a accru le besoin en plats préparés, nécessitant la mise en place de nouveaux moyens de production et l’évolution des lieux et modes de distribution.

Dans le même temps, les risques de contamination par le Covid-19 ont provoqué une forte baisse du nombre de bénévoles actifs au sein de certaines associations, notamment parmi les seniors. Certaines grosses structures de l’aide alimentaire, comme Les Restos du Cœur ou la Chorba, ont dû rapidement adapter et modifier leurs activités en fermant des points de collecte ou de distribution, en créant de nouveaux partenariats afin d’assurer la production des repas, ou en cherchant de nouveaux lieux afin de maintenir certaines distributions préexistantes et en créer de nouvelles.

Un foisonnement d’initiatives solidaires pendant le premier confinement

La hausse brutale de la précarité alimentaire a été largement médiatisée et une forte réaction de solidarité a été observée. Cela s’est traduit par une augmentation massive des dons destinés aux associations et des initiatives citoyennes relayées par les réseaux sociaux (figure 1). De nombreuses cagnottes en ligne ont eu un grand succès. Les associations préexistantes ont pu compter sur de nouveaux bénévoles, souvent plus jeunes et libérés pendant leur journée par un chômage partiel. Cet élan de solidarité s’est aussi traduit par un foisonnement d’initiatives pour répondre à la demande d’aide alimentaire. Des personnes se sont rassemblées en collectifs, comme Solid-19 à Pantin, autour de l’association Têtes grêlées, qui a distribué des paniers alimentaires aux habitant·es, tandis que certaines structures ont redirigé leur activité ou ont été créées par des citoyen·nes pour récupérer des denrées, cuisiner et distribuer des repas, à l’instar du restaurant d’insertion La Panaméenne (Paris, 14e arrondissement) et du collectif G Besoin 2 [4].

Figure 1. Appels aux dons et aux bénévoles publiés sur Facebook pendant le premier confinement

Source : Collectif G besoin 2, 2020.

Si les associations d’aide alimentaire sont parvenues à s’adapter rapidement au contexte de crise, c’est notamment grâce à l’action d’acteurs dits intermédiaires. Il s’agit le plus souvent de collectivités locales, d’associations ou de collectifs citoyens qui soutiennent logistiquement, matériellement ou financièrement les structures associatives de l’aide alimentaire. La mise à l’arrêt de certaines activités a par exemple permis de faire évoluer l’usage des bâtiments municipaux (prêt de gymnases, réfectoires, etc.). Les intermédiaires ont aussi facilité la mise en contact des détenteur·rices d’invendus alimentaires et des associations. Par exemple, la mairie de Paris a coordonné le don de denrées entre les gestionnaires de la restauration scolaire et l’association le Chaînon Manquant, chargée de redistribuer les denrées en fonction des besoins des associations.

L’usage de services numériques et le non-recours aux procédures administratives habituelles ont aussi permis d’augmenter la réactivité des acteurs. De nombreux facteurs liés à la taille et à l’ancienneté des structures ont influencé leur capacité de réaction au moment de la crise sanitaire mais, dans le paysage parisien, on observe une certaine agilité et une mobilisation à la fois massive et presque instantanée.

Le devenir des initiatives solidaires après l’engouement initial

Malgré le foisonnement d’initiatives citoyennes et associatives, la majorité des dispositifs d’aide alimentaire créés pendant la crise sanitaire ne sont plus en activité aujourd’hui [5]. Cela peut s’expliquer par la vocation initiale de certains d’entre eux qui cherchaient à répondre à un besoin d’urgence. C’est le cas des dispositifs de livraison de repas en soutien aux soignants, pour lesquels la demande s’est éteinte après le premier confinement. Dans d’autres cas, des associations ou dispositifs construits dans l’urgence n’ont pas pu poursuivre leur action car les dons n’ont pas été renouvelés et les bénévoles sont retournés au travail.

Plusieurs voies de pérennisation ont néanmoins été observées (voir encadré ci-dessous). Le soutien public, sous forme de subventions ou d’accès à un local, a été un levier essentiel. La bonne connaissance des moyens de communication, et notamment des réseaux sociaux, par les porteurs des dispositifs a aussi été favorable à leur pérennité. Les dispositifs qui sont parvenus à se structurer répondaient également à des besoins qui se sont maintenus. C’est le cas des distributions alimentaires à destination de publics étudiants. De la même manière, plusieurs structures spécialisées dans la logistique des invendus ont été créées au début du premier confinement pour répondre à l’afflux de denrées lié à la fermeture des lieux de restauration hors domicile. Celles-ci ont structuré leur activité sur le long terme et ont été une source d’inspiration pour le secteur associatif dans un contexte où la lutte contre le gaspillage s’institutionnalise.

Néanmoins, ces dispositifs qui pallient l’incapacité du système alimentaire à garantir un accès en quantité et qualité suffisantes à l’alimentation reposent en grande partie sur des bénévoles, parfois eux-mêmes en situation de précarité, et s’en trouvent donc fragilisés. C’est le cas des associations étudiantes de grande envergure, comme COP1, Linkee ou l’Association générale des étudiants de Paris (AGEP). Pour tout un pan de l’aide alimentaire, cet investissement massif à court terme a mis les bénévoles et salarié·es des associations à rude épreuve. Pour certain·es, la crise sanitaire a été un moment d’entier dévouement, avec des répercussions sur leur parcours scolaire ou professionnel, et leur santé physique ou mentale : burn-outs, arrêt de l’activité bénévole, démission, redoublement scolaire font partie des conséquences de cette intensité. Ces difficultés confirment que les actions bénévoles contre la précarité alimentaire ne peuvent pas être envisagées comme des solutions durables ou se substituer à une prise en charge par les politiques publiques.

Un « monde d’après » en crise : quelles perspectives face à l’insécurité alimentaire ?

Dès le printemps 2020, l’après-crise était anticipée dans la sphère scientifique (Neveu 2020 ; Tarnaud 2022) et médiatique [6]. Quatre ans plus tard, nous ne pouvons pourtant pas parler d’une véritable sortie de crise de la précarité alimentaire. Le nombre de personnes ayant recours à l’aide alimentaire n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise mais a plutôt continué de progresser dans le contexte inflationniste actuel. Ainsi, à la mi-2022, plus d’un Français sur six déclare ne pas manger à sa faim (Bléhaut et Gressier 2023). Une partie des acteur·rices de l’aide alimentaire enquêté·es témoigne d’une situation de crise continue. L’enchaînement des perturbations – climatiques, économiques, géopolitiques – depuis la pandémie fragilise le système d’aide alimentaire et révèle ses dysfonctionnements structurels. De plus, la réglementation croissante des pertes et gaspillages rend plus fragile la gestion du secteur par les associations et peut conduire à des formes de concurrence avec des acteurs économiques qui se positionnent sur les mêmes canaux d’approvisionnement (Too Good To Go et Phenix, par exemple). Certains acteurs, comme l’Association nationale de développement des épiceries solidaires (ANDES) [7], font part de difficultés croissantes pour approvisionner en quantité suffisante les épiceries solidaires et les dispositifs de distribution en Île-de-France. Dans le même temps, le constat d’une baisse des dons et des quantités de denrées collectées est largement partagé par les associations.

Malgré tout, les structures de l’aide l’alimentaire sont parvenues à s’organiser rapidement pour répondre aux besoins urgents générés par les mesures de restriction sanitaire. En s’appuyant sur les réseaux de connaissance et d’approvisionnement existants, et en développant de nouvelles collaborations, notamment par l’intermédiaire des pouvoirs publics locaux, certains dispositifs d’urgence se sont maintenus sur le long terme. Ces nouveaux acteurs et réseaux répondent en partie à la hausse de la précarité alimentaire observée depuis la crise sanitaire, et contribuent au renouvellement des formes de l’aide alimentaire. L’analyse des effets de ces dynamiques de restructuration reste à approfondir.

La mise en lumière des fragilités et des limites du système d’aide alimentaire a aussi encouragé l’émergence d’un discours favorisant un changement de paradigme. Celui-ci invite à la prévention de la précarité alimentaire, à la reconnexion de l’amont et de l’aval du système alimentaire, tout en veillant à garantir l’accès pour tous·tes à une alimentation durable. Ces questionnements systémiques donnent lieu à divers courants d’expérimentation autour de la démocratie alimentaire. La Sécurité sociale de l’alimentation [8] a par exemple été créée afin de pouvoir lutter contre la précarité alimentaire, d’orienter la production agricole et alimentaire selon les besoins des populations afin d’aller vers des pratiques plus respectueuses des écosystèmes et des êtres humains, et de mettre l’accent sur le fonctionnement démocratique en donnant un droit de regard et d’action aux citoyen·nes quant à leur alimentation (Gillot 2023). Du fait de l’inflation alimentaire depuis la crise du Covid-19, de la hausse des prix de l’énergie et de l’immobilier, cette initiative connaît une hausse importante du nombre de demandeurs (ibid.). En ce sens, de nombreuses initiatives visant à faire advenir une forme de démocratie alimentaire émergent et se diffusent rapidement sur le territoire français, comme c’est le cas en Gironde, à Toulouse, à Montpellier (ibid.) et plus récemment à Paris.

La pérennisation variable des dispositifs d’urgence

Le maintien dans le temps des initiatives d’aide alimentaire lancées lors des confinements varie selon des facteurs internes et externes à la structure porteuse. Trois trajectoires, parmi les structures étudiées, peuvent l’illustrer :
1. Pérennisation de nouvelles activités dans une structure établie
L’association Refugee Food a été créée en 2016 pour promouvoir la cuisine des populations immigrées lors d’un festival et former des cuisiniers. Lors du premier confinement, alors que ses activités habituelles ont été mises à l’arrêt, l’association s’est mobilisée pour répondre à la hausse soudaine de la précarité alimentaire en produisant des repas pour les plus vulnérables. Forte d’un réseau de restaurateurs, de fournisseurs et de bénévoles déjà établi, l’association est parvenue à pérenniser cette nouvelle activité en s’appuyant sur de nouvelles collaborations avec les acteurs associatifs parisiens.
2. Pérennisation d’une nouvelle structure qui répondait à un besoin toujours présent en sortie de crise
L’association COP1 a été créée par des étudiant·es au début du premier confinement pour répondre aux difficultés d’approvisionnement de leurs camarades. Ielles se sont appuyé·es sur des lieux ressources étudiants préexistants pour organiser les distributions. Le développement important de l’association, aujourd’hui présente dans dix-huit villes en France, peut être expliqué par trois principaux facteurs : la forte mobilisation des jeunes pendant le confinement qui a permis la structuration rapide du dispositif, la hausse continue de la précarité alimentaire observée depuis le début de la crise, l’intérêt de nombreuses structures publiques et privées pour cet enjeu qui s’est traduit par des aides financières et matérielles.
3. Mise à l’arrêt d’une activité qui n’est pas parvenue à s’adapter au contexte post-Covid
Le collectif Les Ravitailleurs s’est formé au début du premier confinement autour d’un groupe de logisticien·nes, ancien·nes collègues, en chômage partiel pour la plupart. Ces dernier·es ont mobilisé les restaurateurs qu’ielles connaissaient pour cuisiner et fournir des repas aux associations d’aide alimentaire. Le dispositif s’appuyait sur les ressources propres des bénévoles (véhicules personnels, cuisines des restaurateurs) et sur des campagnes de dons ponctuelles. L’activité de la structure a peiné à se poursuivre après la réouverture des restaurants, en raison de l’épuisement des bénévoles, et lorsque la plupart des structures d’aide alimentaire ont retrouvé leurs canaux d’approvisionnement habituels. Le collectif s’est dissous à la fin de l’année 2021.

Source : Corne, Landrieu, Lesouef, Meunier et Weingart 2023.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Simon Corne & Antoine Landrieu & Emma Lesouef & Lena Meunier & Léa Weingart, « Nourrir Paris en temps de crise(s) : l’aide alimentaire à l’épreuve de la pandémie », Métropolitiques, 19 septembre 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Nourrir-Paris-en-temps-de-crise-s-l-aide-alimentaire-a-l-epreuve-de-la-pandemie.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2077

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