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Des inflexions durables dans l’usage post-Covid de la voiture ?

Le cas de la métropole de Lyon

La Covid-19 a-t-elle signé le grand retour de la voiture en ville du fait des craintes de contamination dans les transports publics ? À partir d’une enquête dans la métropole lyonnaise, les auteur·es relativisent cette idée mais pointent une refonte des usages de la voiture avec le télétravail.


Dossier : Les mobilités post-Covid : un monde d’après plus écologique ?

Au début de la crise sanitaire de la Covid-19, au moment du confinement strict décrété le 17 mars 2020 en France, l’usage de la voiture comme celui des autres modes de déplacements s’est effondré (figure 1). Pourtant, les flux de voitures ont chuté moins fortement et ont connu une reprise plus rapide en sortie de confinement, surtout en comparaison des transports en commun. Ce constat interroge quant à la pérennité de la tendance à la réduction de la place de la voiture dans les mobilités du quotidien. Plus largement, quels sont les effets de la crise Covid sur l’usage de la voiture à court et plus long terme ?

Le projet Covimob a pour objectif d’analyser les évolutions de mobilité et d’usage des modes de transport en lien avec les bouleversements liés à la crise sanitaire dans la métropole de Lyon [1]. Il apporte donc des réponses à cette question, notamment à travers trois types de données mobilisées dans cet article : des données de comptages routiers s’étendant de janvier 2019 à août 2023 [2], des données quantitatives issues de deux enquêtes web [3], et une enquête qualitative réalisée à la sortie du confinement strict, entre juin et début octobre 2020 (vingt-cinq personnes au total) [4].

Les évolutions dans l’usage de la voiture résultent de transferts modaux multiples (changements de modes de déplacements utilisés) et d’une demande de déplacements fortement affectée par la crise sanitaire et ses conséquences (figure 1).

Figure 1. Évolution des flux routiers enregistrés par les points de comptage CRITER de 2019 à août 2023 dans la métropole de Lyon

Données lissées (valeur pour la semaine s : moyenne mobile de s-1, s, et s+1).
17 mars-10 mai 2020 : 1er confinement ; 30 octobre-15 décembre 2020 : 2e confinement ; 26 mars-3 mai 2021 : restrictions, télétravail fortement encouragé.
Source : Arcadis ; traitement : auteurs.

La voiture-refuge face à la contamination… et à la réduction de l’offre de transports en commun

À Lyon comme ailleurs, les déplacements ont chuté au printemps 2020 et jusqu’à l’été, du fait de la baisse des activités en présentiel : arrêts d’activité, mises en chômage partiel et essor inédit du télétravail. Des reports modaux sont également observables pour les navettes domicile-travail (figures 2 et 3).

Figure 2. Quels modes de transport les navetteurs-automobilistes post-confinement utilisaient-ils avant la pandémie ?

TC : transports en commun
VP : voiture particulière
MAP : marche à pied
Modes utilisés pour se rendre au travail avant la pandémie (« mars 2020 ») par les navetteurs en voiture particulière (VP) en juin 2020 (en % des navettes en VP de juin 2020, dans la métropole de Lyon et le département du Rhône).
Lecture : sur 100 déplacements domicile-travail effectués en voiture particulière (VP) en juin 2020, 86 se faisaient en voiture juste avant le confinement de mars 2020, 13 en TC et 1 à vélo ou à pied (MAP).
Source : enquête Covimob, juin 2020.

Le report que l’on constate depuis les transports en commun vers la voiture s’explique en partie par la dégradation de l’offre pendant la période. L’offre de transport public a été réduite de près de 50 % pendant le premier confinement, ne retrouvant son volume global que mi-juin 2020 (El Zein et al. 2022). Dans un entretien, Jean-Pierre en témoigne au sujet de son fils. Il réside à Tassin-la-Demi-Lune (commune limitrophe de Lyon, située à l’ouest) et est en alternance dans une entreprise située dans le 9e arrondissement :

Mon fils, qui a repris [le travail sur site] deux jours par semaine, avant, il y allait en transports ; là, il y va en voiture maintenant. […]. Parce qu’il y a beaucoup moins de trains et puis c’est beaucoup plus rapide en voiture.

De plus, en ces temps de crainte de contamination, la voiture est apparue comme un refuge. Les personnes interrogées en entretien ont évoqué leurs inquiétudes face à l’usage des transports publics, en particulier vis-à-vis du métro, le fait d’être sous terre amplifiant la sensation d’enfermement et de manque de circulation d’air. Le report vers la voiture individuelle a également apporté du confort et de la souplesse dans les déplacements.

L’adoption du vélo, mécanique ou à assistance électrique, ou le recours plus fréquent à la marche, répondent eux aussi à une recherche d’individuation des pratiques de mobilités par crainte de contamination :

La crise m’a fait opter pour des modes de transports individuels pour éviter les groupes et les incivilités (mauvais port du masque, etc.). Donc marche à pied pour la proximité (moins de 30 minutes) et voiture personnelle pour le reste (Extrait des commentaires libres de l’enquête web de panel d’avril 2021).

Pour les déplacements domicile-travail, la réduction de l’usage de la voiture est d’abord due aux évolutions du travail

L’enquête de juin 2020 permet aussi d’observer l’évolution des usages modaux des individus actifs se déplaçant principalement en voiture avant la pandémie (mars 2020).

Figure 3. Quels modes de transport les navetteurs-automobilistes d’avant la pandémie utilisent-ils après le confinement ?

VP : voiture particulière
TC : transports en commun
Modes utilisés en juin 2020 par les navetteurs en voiture particulière (VP) de mars 2020, pour se rendre au travail (en % des navettes en VP de mars 2020), dans la métropole de Lyon et le département du Rhône.
Lecture : sur 100 déplacements domicile-travail utilisant la VP en mars 2020, 59 se font en voiture en juin 2020, 2 en TC, 4 à vélo, tandis que 35 ne sont plus réalisés, 24 du fait du télétravail et 11 du fait de baisses d’activité (chômage partiel, chômage technique complet).
Source : enquête Covimob juin 2020.

La figure 3 montre que la majorité des actifs utilisant la voiture avant mars 2020 pour se rendre au travail continue à le faire en juin 2020. Les transferts vers d’autres modes (6,2 %, principalement au profit de la bicyclette et des transports collectifs, les transferts de la voiture vers la marche étant très faibles) sont deux fois moins importants que les gains (13,6 %, figure 2). Ce sont les pratiques de télétravail et des baisses d’activité durant la période qui expliquent l’essentiel des pertes de trajets domicile-travail en voiture. La reprise de la voiture suite à la sortie du premier confinement apparaît ainsi relative et limitée par le recours au télétravail.

Par la suite, entre juin 2020 et avril 2021, l’usage de la voiture est stable parmi les actifs qui ont répondu aux deux enquêtes : le télétravail, fortement recommandé et pratiqué en avril 2021, impacte de la même façon qu’en juin 2020 le volume global de déplacements domicile-travail.

Une reprise de la voiture toute relative, temporaire et à géométrie variable

Le recours à la voiture est lié au moindre attrait des transports en commun et aux changements d’activité dus à la crise sanitaire, mais il varie aussi en fonction des caractéristiques des enquêtés. Les données analysées ne montrent pas véritablement de reprise du trafic automobile, la tendance principale étant la baisse de l’usage due principalement au télétravail. La « reprise » n’est visible que dans les mois qui ont suivi le déconfinement de mai 2020. Et elle n’est perceptible qu’en termes relatifs, par rapport aux transports en commun, et non dans le volume global de trafic automobile.

L’enquête de juin 2020 et les traitements statistiques [5] que nous avons réalisés montrent aussi que cette reprise temporaire de l’usage de la voiture après le confinement diffère selon les pratiques modales antérieures des enquêté·es et leur perception du risque de contagion dans les modes de transport. En comparaison avec la période pré-pandémique, la probabilité de prendre davantage la voiture en juin 2020 est forte chez les ménages bimotorisés. Elle diminue avec le nombre de vélos possédés.

La probabilité d’utiliser plus fréquemment la voiture en juin 2020 qu’avant le confinement du mois de mars est trois fois plus élevée pour les usagers quotidiens des transports en commun que pour les autres. La probabilité d’un recours accru à la voiture est deux fois plus élevée pour les usagers estimant insuffisantes les mesures sanitaires visant à limiter la contagion dans les transports en commun. En revanche, l’usage de la voiture évolue peu selon le lieu de résidence (central ou périphérique), la profession ou le genre.

Entre mars et juin 2020, la reprise relative de la voiture est aussi liée aux évolutions dans l’organisation du travail. Télétravailler deux jours ou plus dans la semaine abaisse le coût d’un report des déplacements en faveur de la voiture les jours de travail en présentiel. Julie, psychologue résidant à Genay et travaillant dans le 9e arrondissement de Lyon, a réorganisé son activité afin de réaliser un maximum de ses consultations à distance pour ne se rendre plus qu’un jour par semaine à son cabinet, en voiture, avec des horaires lui permettant d’éviter les pointes de trafic :

– Et quand vous retournez au cabinet, comment vous vous y rendez ?
– En voiture. […] Déjà le bus, naturellement, je n’aime pas ça. Donc ça me fait une bonne excuse. […] Donc là, comme j’ai des petites journées, j’y vais en voiture.

Conclusion : quelles tendances à plus long terme ?

Après la reprise rapide du trafic automobile suite au premier confinement, les comptages mettent en évidence une baisse des flux automobiles en 2021, année encore très perturbée par la pandémie. Mais 2022 et 2023 se situent également à des niveaux inférieurs à 2019, mettant en évidence un tassement des trafics (figure 1). Se pose alors la question de l’évolution de la place de la voiture dans les mobilités urbaines. Ce tassement est vraisemblablement lié pour partie au niveau toujours élevé des pratiques de télétravail. Mais, à titre de comparaison, on observe, depuis 2021, une croissance soutenue des déplacements à vélo et, à partir de mi-2022, un retour aux niveaux d’usage des transports collectifs antérieurs à la crise sanitaire. À Lyon, comme dans de nombreuses agglomérations, la reconduction, voire l’accentuation, des politiques publiques en faveur des transports en commun, du vélo et de la maîtrise du trafic automobile conforte l’impression d’un retour aux tendances observées avant 2020. En effet, les politiques de réduction de la part des déplacements en voiture engagées depuis les années 2000 avaient déjà permis de réduire la part de la voiture de 52 % des déplacements des habitants de la métropole lyonnaise en 1995, à 47 % en 2006 puis à 42 % en 2015 (Sytral 2007 ; Sytral 2016). Mais le contexte de la mobilité s’est aussi transformé, avec, outre la large diffusion du télétravail, une hausse notable des prix des carburants depuis 2022 (figure 4). Ces éléments de coût contribuent également à l’explication de ce tassement.

Figure 4. Évolution du prix du litre de gazole en France de janvier 2019 à août 2023

Source : INSEE ; traitement : auteurs.

L’effet du prix des carburants sur l’usage de la voiture est faible à court terme (Crozet 2022), en raison de la capacité limitée des ménages à s’adapter (Calvet et Marical 2011), mais il se renforce lorsque la période de prix élevés se prolonge. Les ménages modestes sont pour leur part plus sensibles à l’effet-prix à court terme mais possèdent moins de ressources pour s’adapter à long terme.

L’impact du développement du télétravail sur les mobilités apparaît moins univoque. Si sa diffusion est socialement et professionnellement très différenciée (Aguiléra 2023 ; Santos Menezes et al. 2023), la volonté de télétravailler est forte chez des actifs, notamment périurbains, qui subissent des trajets domicile-travail longs et coûteux. D’un côté, le télétravail réduit la fréquence des longs trajets pendulaires en voiture. De l’autre, la moindre fréquence des déplacements domicile-travail peut, dans certains cas, rendre plus acceptable l’usage de la voiture pour les jours de travail en présentiel. Et les effets rebond (usages de la voiture pour d’autres motifs que le travail, induits par le fait de télétravailler) posent la question de son potentiel global de réduction des usages automobiles. Les interrogations sont nombreuses également quant à un phénomène d’« exode urbain » que faciliterait le télétravail (PUCA 2022 ; Forum Vies Mobiles 2023). L’effet sur les usages modaux serait alors inverse à terme, l’installation en territoires peu denses étant souvent synonyme d’usage intensif de la voiture. Enfin, les emplois les plus télétravaillables sont souvent des emplois qualifiés de centre-ville, tenus par des actifs déjà dotés d’alternatives modales à la voiture.

L’actualité récente, relative à la hausse du prix des carburants ou aux mesures réglementaires restreignant l’usage de la voiture – zones à faibles émissions notamment – rappelle en effet que les marges de manœuvre en termes de choix modal, de choix de lieux d’activité et de résidence sont très différentes selon les milieux sociaux et les espaces de vie. La compréhension de ces tendances contradictoires rend plus que jamais nécessaires des investigations systématiques et suivies dans le temps des pratiques de mobilité.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Stéphanie Vincent & Olivier Klein & Ali El Zein & Pascal Pochet & Adrien Beziat, « Des inflexions durables dans l’usage post-Covid de la voiture ?. Le cas de la métropole de Lyon », Métropolitiques, 9 octobre 2023. URL : https://metropolitiques.eu/Des-inflexions-durables-dans-l-usage-post-Covid-de-la-voiture.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1954

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