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Essais

Quel avenir pour les aéroports secondaires et régionaux en France ?

Au-delà des seules métropoles, le maillage aéroportuaire français est considérable. De quels soutiens publics ces aéroports bénéficient-ils et quel sera leur futur face aux low-cost et à l’urgence climatique ? Yoann Fadel étudie leur place dans les stratégies d’aménagement local et national.

L’aviation commerciale contemporaine connaît une mutation majeure attribuable à l’essor des compagnies aériennes low-cost. Leurs approches agressives et novatrices sur le plan économique ont bouleversé le paysage du transport aérien en France et ailleurs. Le modèle low-cost, bien que né initialement aux États-Unis, s’est considérablement développé en Europe à partir des années 2000, avec Ryanair et easyJet en tête. Les principes fondamentaux de ce modèle sont bien établis : réduction des coûts d’exploitation et maximisation des recettes (Barrett 2004 ; Dobruszkes et Wang 2019 ; Fadel et Mondou 2020). Les aéroports secondaires et régionaux y jouent un rôle crucial, offrant des coûts réduits, une moindre congestion, des opportunités de négociation avantageuses et un accès à des marchés moins saturés. En retour, les compagnies low-cost peuvent ainsi en renforcer la fréquentation.

Mais les perspectives pour ces aéroports ne sont pas radieuses pour autant. La crise du Covid-19, avec la chute de trafic qu’elle a entraîné, a accentué la fragilité de leur modèle économique et leur dépendance à ces compagnies. Par ailleurs, la forte empreinte carbone du trafic aérien, dans un contexte d’urgence climatique, et l’évolution consécutive de sa régulation, constituent un facteur d’incertitude majeur, d’autant que les compagnies low-cost sont critiquées pour les effets sociaux de leur quête de compression des coûts et leur contribution à l’essor des vols court-courriers (pour lesquels des alternatives en train peuvent plus facilement exister). Bien que des stratégies technologiques et opérationnelles existent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, elles restent insuffisantes sans changement des pratiques de mobilité et des politiques plus strictes (Lin et Frétigny 2022).

À la lueur de ces enjeux, nous sonderons dans cet article les dynamiques et le modèle de gouvernance et de financement des aéroports secondaires et régionaux. Ceux-ci ont connu une réforme majeure, initiée en 2004, qui avait pour objectif de transférer la gestion de ces infrastructures aéroportuaires de l’État aux acteurs publics locaux du territoire (Carrard 2016). Et c’est dans ce contexte des années 2000 de rôle accru des collectivités locales dans leur pilotage que s’inscrit l’arrivée des compagnies aériennes low-cost.

Un rôle clé dans l’affirmation des compagnies low-cost

Au début des années 2000, les low-cost privilégient les aéroports secondaires et régionaux, dont le trafic stagnait. Ainsi, en 2004, l’implantation des low-cost reste limitée aux aéroports secondaires ou régionaux (23 au total), tel Beauvais, choisi par Ryanair pour la desserte de Paris. Sur les vingt-trois aéroports, sept d’entre eux ont un trafic low-cost à plus de 80 % (Dinard, Tours, La Rochelle, Nîmes, Bergerac, Carcassonne, Beauvais). Ces aéroports sont de petite taille (moins de 270 000 passagers), à l’exception de l’aéroport de Beauvais, où le trafic atteint 1,4 million de passagers, et quasi exclusivement low-cost (figure 1).

Figure 1. Évolution de la part du trafic des compagnies traditionnelles et low-cost de 2004 à 2022

Ces aéroports desservent des villes de taille modeste ou des territoires au profil plutôt rural, tels Nîmes, Carcassonne, Bergerac, La Rochelle, Tours ou Dinard. Les autres aéroports ont un trafic low-cost inférieur à 48 %. Parmi les aéroports à fort trafic, seul l’aéroport de Nice s’individualise : la part des low-cost dans cet aéroport est, dès 2004, de 33 %. Cela est le résultat du choix d’easyJet de s’installer dans un aéroport implanté dans une région à forte notoriété touristique. Pour les autres grands aéroports, la part des low-cost est nulle (Toulouse, Nantes) ou extrêmement faible (Lyon, Bordeaux). En 2010, ce sont trente-neuf aéroports sur soixante qui sont desservis par des compagnies low-cost, le plus important en termes de part du trafic étant Beauvais, suivi de Carcassonne, Bergerac et La Rochelle.

À la fin de cette décennie 2010, l’essor des low-cost s’accentue et leur croissance est liée à leur renforcement sur des plateformes à plus fort trafic (entre 1 et 5 millions de passagers). La desserte de certains aéroports, tels que Brest, Biarritz et Lourdes, s’inverse en étant principalement assurée non plus par des compagnies classiques mais par les low-cost. Les grands aéroports voient la part de low-cost progresser (Nice, Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes). Celui-ci n’est plus l’apanage des aéroports régionaux et toutes les low-cost, mise à part l’exception notable de Ryanair, se sont implantées a minima à Paris-Orly (Transavia, Wizzair) et/ou à Paris-Charles-de-Gaulle (easyJet, Volotea, Norwegian, Eurowings, Air Arabia Maroc, Jet2).

Cependant, et même en prenant en compte cette évolution, l’arrivée des low-cost a pour effet de relativiser le poids relatif des aéroports parisiens (Roissy-Charles-de-Gaulle, Orly et Beauvais, considéré comme la porte d’entrée parisienne par Ryanair) dans les flux réalisés au sein de l’Espace économique européen.

Avec la crise du Covid-19, de 2019 à 2022, une réduction globale de 38 millions de passagers est enregistrée pour tous les aéroports de France métropolitaine, parmi lesquels 18 millions à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Mais la présence des compagnies aériennes low-cost se renforce, avec une augmentation de leur part de trafic dans dix-neuf plateformes aéroportuaires en 2022, qu’il s’agisse d’aéroports régionaux, tels que Biarritz, Pau-Pyrénées et Tarbes, ou des aéroports régionaux à plus fort trafic, comme Bordeaux, Nantes, Toulouse et Marseille.

Cette transformation de l’offre aérienne en France est le résultat d’une volonté politique [1] de libéraliser le secteur aérien. Mais cette dynamique, en particulier dans les aéroports secondaires et régionaux, s’explique aussi par les stratégies des acteurs locaux. Pour les examiner, on se penchera plus spécialement sur trois aéroports [2] : La Rochelle, Bergerac et Carcassonne, pionniers dans l’accueil des compagnies low-cost. Ces trois plateformes sont gérées par des structures publiques, même si les modèles de gouvernance ne sont pas identiques. L’aéroport de La Rochelle est supervisé par un syndicat mixte composé de six acteurs publics. L’aéroport de Bergerac est également géré par le Syndicat mixte air Dordogne (SMAD), composé de cinq acteurs publics. Enfin, l’aéroport de Carcassonne est géré par la Société publique locale aéroportuaire régionale (SPLAR).

Les acteurs locaux dans la course aux subventions

Une pratique récurrente déployée pour attirer les compagnies aériennes low-cost est celle des subventions directes [3] et indirectes [4] (figure 2). Cette stratégie s’incarne par le soutien financier aux infrastructures aéroportuaires d’organismes publics locaux, d’échelle régionale, départementale ou municipale. Elle englobe diverses facettes, telles que la prise en charge des coûts d’exploitation, le financement de projets d’infrastructures, la gestion des installations aéroportuaires et même l’allocation d’aides financières aux compagnies aériennes. La légalité de ces subventions a été discutée, notamment au niveau européen, où elles ont souvent été scrutées et parfois contestées pour leur incompatibilité avec les règles de concurrence de l’Union européenne (Pinet et Pietri 2016).

Or, les trois gestionnaires d’aéroport étudiés présentent un déficit financier conséquent, et sans le soutien substantiel apporté par les organismes publics locaux, la viabilité de leur fonctionnement serait gravement compromise [5].

À La Rochelle en 2019, un syndicat mixte a été créé en réponse à la demande de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) qui ne pouvait plus financer entièrement l’aéroport. Plusieurs acteurs publics, dont la région Nouvelle-Aquitaine, ont adhéré au syndicat en apportant des contributions financières variables [6]. L’objectif principal était de garantir la continuité du fonctionnement de l’aéroport face à la réduction des ressources de la CCI et à l’augmentation progressive du montant des subventions. Mais, de l’aveu d’un membre du syndicat mixte, le renchérissement des coûts auquel est confronté l’aéroport pourrait bien inviter les collectivités locales à réinterroger leur soutien.

À Bergerac, quatre acteurs locaux du secteur public ont subventionné l’aéroport et ont été regroupés au sein d’un syndicat mixte depuis 2002 [7]. Mais les compagnies aériennes, en particulier Ryanair, exigent désormais des subventions bien plus élevées pour ouvrir de nouvelles lignes aériennes, estimées à 250 000 euros par nouvelle liaison par le directeur de l’aéroport de Bergerac en 2019, sans inclure les aides au marketing fournies par les acteurs locaux, contre 100 000 à 140 000 euros en 2019 [8]. Cette donne financière fait figure de défi pour les acteurs locaux.

À Carcassonne, la région Occitanie assume 80 % du financement, tandis que les communautés d’agglomération de Carcassonne et de Narbonne contribuent chacune à hauteur de 10 % [9]. La spécificité de Carcassonne est qu’une seule compagnie, Ryanair, dessert l’aéroport. Ce monopole crée un déséquilibre dans les relations entre les acteurs publics et la compagnie, avec le risque que Ryanair impose ses conditions financières, à l’image de ce qui se passe à Bergerac.

Figure 2. Les acteurs subventionnant les structures aéroportuaires

Un avenir à repenser dans le cadre de véritables stratégies d’aménagement local et national

L’étude de ces trois cas et de leurs modèles de subvention montre l’ampleur des interrogations pesant sur la poursuite des subventions à ces aéroports déficitaires, dans un contexte marqué par les impacts environnementaux associés au transport aérien. L’utilité et la viabilité économique des aéroports ne sont pas unanimement reconnues ou justifiées, au point que deux rapports étatiques s’en fassent l’écho. Le rapport sur le maillage aéroportuaire français (2017), rédigé à l’initiative du Conseil supérieur de l’aviation civile, qui dépend du ministère des Transports, souligne que l’équilibre budgétaire des aéroports accueillant moins de 500 000 passagers annuels est incertain, et presque impossible pour ceux en dessous de 200 000 passagers. Cinq ans plus tard, un rapport de la Cour des comptes (2023) fait un constat similaire et invite à définir une stratégie nationale aéroportuaire. Repenser le rôle de ces aéroports s’avère indispensable. Devrait-on envisager la fermeture de certaines infrastructures, particulièrement celles dont l’équilibre budgétaire semble inaccessible ? Quels critères devraient être pris en compte pour décider du maintien ou de la fermeture d’un aéroport, qu’il s’agisse de sa viabilité économique, de son utilité sociale ou de ses impacts environnementaux ? Par ailleurs, une meilleure intégration de ces aéroports dans les réseaux de transport terrestre, notamment ferroviaires, pourrait offrir une alternative aux liaisons déficitaires. Il importe enfin d’inscrire les aéroports dans des stratégies d’aménagement local et national élaborées de manière participative, abordant explicitement le rôle que la collectivité assigne à chacun d’entre eux à divers horizons de temps, au regard des enjeux de développement et d’habitabilité des territoires.

Bibliographie

Pour aller plus loin

  • Bieger, T. et Wittmer, A. 2006. « Air transport and tourism – Perspectives and challenges for destinations, airlines and governments », Journal of Air Transport Management, vol. 12, n° 1, p. 40‑46.
  • Boy, D., Caradec, P., Carrard, M., Chevalier, J., Colomb de Daunant, L., Dobruszkes, F., Four, S., Guittet, K., Lambert, P., Ourliac, J.-P., Subrémon, A., Terral, L., et Théoleyre, F. 2017. « Rapport sur le maillage aéroportuaire français », Conseil supérieur de l’aviation civile.
  • Dobruszkes, F. 2009. « New Europe, new low-cost air services », Journal of Transport Geography, vol. 17, n° 6, p. 423‑432.
    Graham, A. 2005. « Airport benchmarking : a review of the current situation », Benchmarking : An International Journal, vol. 12, n° 2, p. 99‑111.
  • Mason, K.-J. et Morrison, W.-G. 2008. « Towards a means of consistently comparing airline business models with an application to the “low-cost” airline sector », Research in Transportation Economics, vol. 24, n° 1, p. 75‑84.

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Pour citer cet article :

Yoann Fadel, « Quel avenir pour les aéroports secondaires et régionaux en France ? », Métropolitiques, 2 décembre 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Quel-avenir-pour-les-aeroports-secondaires-et-regionaux-en-France.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2106

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