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Un plaidoyer pour les grandes villes

À l’encontre des discours urbaphobes nourris par l’actualité récente – sanitaire, sociale et politique –, un livre du géographe Guy Burgel souligne les ressources et l’adaptabilité des grandes villes.

Recensé : Guy Burgel, Sauver la planète ville. Plaidoyer pour une ville durable et désirable. Essai, Paris, Archicity, 2022, 96 p.

Ce nouvel essai du géographe Guy Burgel constitue le prolongement de deux tribunes : la première, publiée dans Le Monde du 26 novembre 2021, à propos de l’élaboration du nouveau plan local d’urbanisme (PLU) de Paris ; la seconde, dans le magazine Marianne en février 2022, sur l’appréciation des politiques de la ville. Il fait suite aussi à de précédents livres de l’auteur : La Revanche des villes (2006), Pour la ville (2012) et Questions urbaines (L’Aube, 2017).

On retrouve ici des thèmes et des positions déjà développés dans ces ouvrages, mais reconsidérés à la suite des deux événements qui ont dominé l’actualité politique et sociale française de ces dernières années : la révolte des Gilets jaunes de l’automne 2018 et la crise sanitaire due à la pandémie de Covid-19, sans oublier, ce qui justifie le titre du livre, le défi posé par le changement climatique. Il y a évidemment dans la formule « sauver la planète ville » la volonté de rapprocher les enjeux environnementaux à l’échelle planétaire et la place qui leur revient dans l’universalité contemporaine du fait urbain.

Cet essai, inspiré par l’actualité (la quatrième de couverture parle « d’un mouvement d’humeur »), revient sur les positions ouvertement urbaphobes que ces événements ont contribué à accentuer chez les commentateurs. Dans un premier temps, il relève les opinions aventureuses sur la désaffection dont souffriraient les villes, avant, dans un deuxième temps, de poser les termes des défis auxquels elles sont réellement confrontées puis d’esquisser les stratégies pouvant y répondre. Qu’il s’agisse de la crise sociale des Gilets jaunes, de la crise sanitaire du Covid ou de la crise politique du terrorisme, loin d’être un milieu fragilisant ou handicapant, les villes, notamment les plus grandes, pourraient trouver en elles-mêmes les ressorts de leur rebond.

Densité urbaine et métropolisation réhabilitées

L’auteur dénonce au premier chef les positions de ceux qui considèrent la dilution périphérique des villes et l’exode urbain vers les zones périurbaines et les petites villes comme des phénomènes plus ou moins universels et inéluctables, ainsi que les affirmations de ceux, personnalités politiques ou médias plus ou moins bien informés, qui ont cru percevoir dans les densités urbaines, donc dans l’urbanisation elle-même, la cause de la diffusion rapide du Covid-19. Les chiffres et l’expérience démentent de telles affirmations. C’est ce que montrent les résultats de plusieurs travaux collectifs récents dirigés par Guy Burgel (2017, 2021, 2023). La fuite supposée des grandes villes et des grandes métropoles n’atteint pas l’intensité qu’on lui prête ; elle tend même à se ralentir dans les années récentes, sans que s’atténue la différenciation sociale entre couches favorisées attirées par la centralité et nouvelles couches populaires aspirant ou condamnées à vivre en périphérie. De même, la densité et la congestion des grandes villes ne sauraient être tenues pour principales responsables de la diffusion de la crise sanitaire de 2020-2021 ; celle-ci semble davantage imputable aux caractéristiques de leur peuplement (présence de populations démunies et précarisées, conditions de logement).

Des illusions idéologiques ou technocratiques

Face aux périls environnementaux (gaz à effets de serre, nuages de pollution, épisodes de canicules ou d’inondations) et inégalitaires (face à l’école, au travail, aux services publics et de santé), les idées ne manquent pas pour redonner du sens à l’urbain. Pourtant, du côté des initiatives locales rapportées dans le livre – les « zones à défendre » (« nouvelles ZAD », comme Notre-Dame-des-Landes), la freetown de Christiana (à Copenhague), la réhabilitation de certains centres-villes (courées de Roubaix) –, les résultats apparaissent limités. Quant au PLU de Paris, explique Guy Burgel, il devrait relever, autrement que par le verbe, les redoutables enjeux sociétaux auxquels structurellement et de longue date se trouve confrontée la capitale : gentrification croissante, renchérissement de l’immobilier, abandon progressif d’activités industrielles et artisanales au profit d’activités tertiaires supérieures déconnectées de la vie locale, dialogue avec la Métropole du Grand Paris et la région Île-de-France…, et ce alors qu’il prétend œuvrer en faveur d’une ville qui serait « inclusive et solidaire, attractive et productive », accessible aux classes moyennes et populaires. On reste bien loin de ce qui constituerait, selon le terme forgé par l’auteur, une véritable « altermétropolisation » (Burgel 2008), signifiant par là qu’il convient de conserver les aspects positifs des métropoles (en matière d’innovation, de culture, de services) tout en tentant de les corriger de leurs aspects inégalitaires.

Des stratégies à la hauteur des défis urbains

L’ouvrage identifie quatre défis majeurs pour la ville contemporaine. Le premier est l’investissement public dans l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche (une tradition française), puisque la capacité future des sociétés urbaines à innover et à se recréer en dépend. L’auteur montre que l’expérience positive du dédoublement des classes de CP dans les quartiers difficiles n’a pas été menée jusqu’à son terme faute de continuité dans l’effort en dotation de personnel. Le deuxième défi est économique et technologique ; déjà soulevé à travers les délocalisations d’activités, il est devenu encore plus évident lors de la pandémie. Celle-ci a révélé les faiblesses de notre économie, l’étendue de sa désindustrialisation et sa forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Là encore, l’une des brèves monographies qui émaillent le livre illustre les nouvelles opportunités de l’indétermination des lieux, à travers l’exemple d’un cadre parisien reprenant une entreprise de logistique au Pays basque.

À l’égard du troisième défi, écologique et climatique, il convient également de dissiper certaines illusions. De la végétalisation des murs à la permaculture, en passant par la piétonnisation des centres-villes ou la création ex nihilo d’écoquartiers souvent périphériques, les initiatives ne manquent pas. Celles-ci sont-elles réellement à la hauteur d’enjeux, tels que la maîtrise des sources d’énergie, la lutte contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain, le recyclage des produits industriels rejetés par la société de consommation, à l’exemple des véritables « mines urbaines » de métaux rares contenus dans la centaine de millions de téléphones portables mis au rebut qui dorment dans les tiroirs des ménages français ? Le dernier défi évoqué est celui que pose la politique de la ville. Celle-ci a surtout porté sur la matérialité urbaine : réhabilitation de bâtiments, destructions de tours et de barres, dessertes de quartiers périphériques par les transports collectifs. Face aux problèmes de la ségrégation spatiale, de la montée de certaines formes de communautarisme et de la persistance d’un chômage élevé, il conviendrait plutôt de donner la priorité à l’action sociale, aux services publics, à l’école, à l’aide aux personnes en difficulté.

Les stratégies esquissées pour relever de tels défis prennent le contre-pied des illusions dénoncées précédemment. Elles sont d’abord à rechercher du côté de l’invention de nouvelles formes urbaines. Plutôt que d’encourager la périurbanisation et de subir l’étalement urbain, il conviendrait de réutiliser judicieusement des zones précédemment urbanisées. La réhabilitation réussie de certains grands ensembles (la tour Bois-le-Prêtre réhabilitée porte Pouchet à Paris par l’agence d’architecture Lacaton et Vassal, lauréate du prix Pritzker 2021), les initiatives de la métropole rennaise en faveur d’une intensification urbaine maîtrisée, le mélange des fonctions et des volumes dans le quartier du Bois habité à Euralille (agence Leclercq Associés), en constituent de bons exemples à différentes échelles urbaines. La recherche de mobilités « bas carbone » est une autre piste à explorer. En revanche, il est permis de s’interroger sur la pertinence et la portée de certaines initiatives aux bénéfices incertains : le retour du tramway dans les très grandes villes sur de longues distances, l’encouragement à l’usage du vélo urbain sans véritable réseau de pistes cyclables, la construction du réseau du Grand Paris Express, sans maîtrise foncière préalable limitant la spéculation autour des nouvelles gares, la réglementation autoritaire de la circulation automobile à Paris, le malthusianisme dans l’attribution des licences de taxis dans la capitale. Pour terminer, l’auteur revient sur une idée qui lui est chère : en matière d’aménagement, ce n’est pas le territoire qui devrait être premier par rapport au projet, mais l’inverse, ce qui conduirait à la création de ce qu’il appelle des « territoires institutionnels de projets ». Cela ne va pas sans difficulté compte tenu de la complexité et la rigidité de nos structures administratives, même si le nombre des régions françaises a été réduit. La création de la métropole de Lyon (2015) montre la voie, selon Guy Burgel, de la bonne échelle de gestion d’une zone très urbanisée. À l’inverse, il serait possible de concevoir une organisation administrative simplifiée (département plus intercommunalités) pour le reste du pays.

Se questionner

On n’adhérera pas forcément à tous les points de vue contenus dans cet essai aux allures, parfois, de pamphlet. Peut-on généraliser à partir des quelques exemples retenus (Paris, Lyon, Lille ou Rennes), même si ces derniers sont généralement bien choisis et parlants ? La politique de la ville a-t-elle négligé à ce point la dimension sociale dans le traitement des quartiers en difficulté ? Le projet du Grand Paris Express est-il uniquement critiquable du point de vue de ses conséquences foncières ? Bien d’autres affirmations contenues dans ce livre mériteraient discussion.

Cependant, l’essentiel n’est-il pas de faire comprendre, comme expliqué en conclusion, que l’avenir de l’humanité se joue essentiellement dans les villes, notamment les plus grandes, à cause de leur poids démographique, de leur capital immobilier et de leur capacité culturelle d’invention ? Si l’état de préservation de la nature, celui de nos campagnes, de nos forêts, de nos cours d’eau, etc. sont l’objet de toutes les attentions, c’est avant tout des villes qu’il faut attendre la créativité et l’innovation nécessaires pour sauver la planète et notre environnement.

Bibliographie

  • Burgel, G. 2006. La Revanche des villes, Paris : Hachette.
  • Burgel, G. 2012. Pour la ville, Grâne : Créaphis.
  • Burgel, G. 2017. Questions urbaines, La-Tour-d’Aigues : Éditions de l’Aube.
  • Burgel, G. et Ferrand, N. 2017, 2023. Un demi-siècle d’urbanisation dans la région lyonnaise 1962-2010, Actualisation 2010-2017, Ministère de la Transition écologique et solidaire/Ministère de la Cohésion des territoires.
  • Burgel, G. (dir.). 2021. Ville et Covid : un mariage de raisons, Paris : Karthala.
  • Burgel, G., Grondeau, A. et Schirrer, M. (dir.). 2008. Villes en parallèle, Documents, n° 4, « Le Grand Paris. Matériaux pour une altermétropolisationon », octobre 2008.

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Pour citer cet article :

Gilles Montigny, « Un plaidoyer pour les grandes villes », Métropolitiques, 16 février 2023. URL : https://metropolitiques.eu/Un-plaidoyer-pour-les-grandes-villes.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1884

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