Entretien réalisé par Nadine Roudil.
Comment le Rassemblement national parle-t-il de la ville et des inégalités urbaines ?
Le RN oppose assez systématiquement trois espaces géographiques plus ou moins fantasmés : la France rurale et périurbaine « des oubliés » ; le monde des grandes villes et métropoles, supposément favorisés par le pouvoir en place et les précédents ; et des territoires de « non-France », les « quartiers » et les banlieues périphériques. Ces derniers seraient massivement bénéficiaires de politiques de la ville et de redistributions, alors que leur population ne serait plus tout à fait française. Les inégalités urbaines et territoriales sont ainsi présentées à travers un filtre idéologique opposant différents espaces populaires en fonction des origines de leurs habitants, à l’inverse des constats des études sur les inégalités, qui soulignent le manque de moyens (notamment dans l’école, les services publics ou la santé) alloués à des départements comme la Seine Saint-Denis ou plus largement aux quartiers de grands ensembles.
Cependant, ce discours souligne et vient faire écho à des réalités perçues ou réelles : la souffrance et le sentiment de relégation des habitants de la ruralité et des petites et moyennes communes, qui manquent de services publics, voient les hôpitaux ou les bureaux de poste fermer et leurs activités économiques se raréfier.
Comment se construit le discours xénophobe à partir du territoire ?
Le discours xéno-phobe (littéralement « peur de l’étranger ») consiste à établir une antinomie irrémédiable entre un « nous » (les « Français » dits « de souche [1] ») victime ou assailli, et un « eux » fantasmé (qui associe les étrangers, mais également celles et ceux qui, racisé·es, continuent d’être perçu·es comme tels), qui représenterait une altérité menaçante. Ces deux groupes sont construits par le discours à partir d’amalgames et d’images subliminales, plutôt qu’ils ne ressortent d’une définition claire : c’est en présentant systématiquement certains groupes comme « autre », en généralisant par exemple à tous les immigrés une religion fantasmée, l’islam, que le discours met en scène des figures repoussoirs, sans prendre en compte leur diversité, pour lesquelles on ne pourrait éprouver aucune empathie (puisqu’ils sont si différents) mais seulement de la haine ou de la peur.
Que peut-on dire du fait que de nombreux sujets (logement, place des femmes, santé…) sont ramenés à la question migratoire ?
La question migratoire et identitaire est le prisme à travers lequel tous les sujets, et tous les individus, sont lus. Cette obsession de l’identité – du même, de la ressemblance – est le principe qui dicte toutes les mesures, à commencer par la « préférence nationale », qui consiste à privilégier les Français dits « de souche » (puisqu’il s’agit d’abolir le droit du sol et les naturalisations). Du coup, la seule politique de la ville envisagée est l’attribution des logements sociaux aux nationaux et l’expulsion des étrangers. Idem pour la santé, supprimer l’AME suffirait à régler tous les problèmes (alors que les médecins et personnels soignants d’origine étrangère ou venus en France pour travailler sont essentiels aujourd’hui pour que survive le système de santé en France).
En analysant le discours du RN, que diriez-vous de sa façon d’aborder les questions environnementales ?
De même, c’est le nationalisme et le principe d’affinité avec les proches qui sont le prisme utilisé pour les questions environnementales. Le « localisme », qui consiste à favoriser une production agricole et industrielle nationale, permettrait d’éviter les importations et de réduire du même coups l’impact environnemental de la production. C’est à peu près la seule réponse apportée à la question du réchauffement climatique, en plus de développer le nucléaire. Mais il ne s’agit jamais de changer le système de production, les logiques de consommation, de distribution et d’exploitation du vivant et des matières premières, et il n’y a aucune réflexion sur la biodiversité. En résumé, produisons et consommons exactement comme avant, mais en autarcie, tout ira bien. C’est oublier que le système de production et de consommation actuel est intrinsèquement facteur de pollution, de destruction du vivant, de réchauffement du climat et d’épuisement des ressources.
Bibliographie
- Geisser, V. 2015. « Exit “français de souche” ? De la prudence rhétorique à la prégnance idéologique », Migrations société, 2015, n° 158, p. 3-18.