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Débats

Pile : permis de démolir. Documenter les mobilisations face à la rénovation urbaine

Quelle est la place des habitant·e·s des quartiers populaires dans la conception des projets de rénovation urbaine ? Prolongeant le débat engagé dans nos colonnes à propos de Roubaix, le film Pile : permis de démolir documente la mobilisation du quartier du Pile, une expérience commentée par les réalisateurs du film.

Depuis sa sortie en janvier 2018, une trentaine de projections du documentaire Pile : permis de démolir [1] ont été organisées un peu partout en France (Roubaix, Lille, Caen, Marseille, Aix-en-Provence, Montreuil, Nanterre), mais également à l’étranger (Bruxelles, Tournai, Lisbonne). Centres sociaux, colloques universitaires, festivals, associations de quartier ou nationales et collectifs militants, cinémas et salles municipales : l’éventail est vaste des lieux et des personnes qui nous ont accueillis (et nous les en remercions), souvent accompagnés d’habitant·e·s [2] du quartier du Pile. Autant de moments d’échanges et de débats pour témoigner de ce qui se tramait dans ce quartier roubaisien en proie à un projet de rénovation urbaine depuis plus de cinq ans déjà, et qui ne semble toujours pas voir le bout.

Remettre la focale sur ce que vivent les individus au quotidien

Au cours des années écoulées, le projet de rénovation de ce quartier avait déjà suscité la controverse, notamment au travers d’articles publiés par Métropolitiques (articles de Julien Talpin et de Pierre Chabard). Non pas tant sur la « qualité » supposée d’un énième projet urbain censé pouvoir sauver un quartier populaire abandonné des pouvoirs publics depuis plusieurs décennies, mais plutôt sur la (non-)capacité des acteurs du projet (ville de Roubaix, métropole européenne de Lille, aménageur, etc.) à prendre en compte les aspirations, idées et revendications des premier·e·s intéressé·e·s, c’est-à-dire des habitant·e·s. Car, in fine, ce sont elles et eux qui vont jouir ou pâtir des nouveaux espaces qui verront le jour (habitat, équipements, espaces publics) et transformeront le quotidien du quartier.

Ces controverses se sont notamment focalisées sur l’émergence d’une « Table de quartier », lieu de rendez-vous des habitant·e·s du Pile et espace de discussion autonome vis-à-vis des décideurs du projet. L’objectif est alors de porter une parole et des savoirs populaires menant à des revendications « par le bas », dans une dynamique d’interpellation des pouvoirs publics. Ces revendications portent sur de nombreux aspects concrets et touchant immédiatement aux conditions de vie des « pilous » (les habitant·e·s du Pile), comme ils se surnomment : diagnostic sur les besoins des habitant·e·s du quartier, nécessité de recréer des lieux de rencontre, des espaces de solidarité, mais aussi et surtout lutte contre les expulsions et les expropriations. Car ces dernières constituent une violence quotidienne dans le quartier et donnent le sentiment aux habitant·e·s d’être considéré·e·s non pas comme des interlocuteurs et interlocutrices (et encore moins des acteurs et actrices), mais comme des problèmes à résoudre, pour mettre en œuvre des plans d’urbanisme déjà entérinés sans leur aval. Et ce, malgré les réunions de concertation, certes nombreuses, organisées par la municipalité et l’aménageur du projet, dans lesquelles très peu se sont cependant sentis entendu·e·s.

Questionner l’intérêt général des projets urbains

Les pouvoirs publics peuvent-ils prendre en compte les revendications de celles et ceux qu’ils qualifient d’habitant·e·s de quartiers « en reconquête » – pour reprendre un vocabulaire usuel de la rénovation urbaine ? Peut-on associer à la conception d’un projet urbain une population qu’on souhaite, en tout cas en partie, voir disparaître du quartier ? Cette dialectique ravive les lignes de tension qui traversent les arguments des promoteurs d’une vision pacifiée de l’espace urbain. Selon ce point de vue, si des conflictualités peuvent exister dans ces espaces, elles pourraient être résolues à travers des démarches participatives de concertation ou de coproduction des espaces avec celles et ceux qui les habitent. Cette vision est consacrée par une somme d’outils (souvent chèrement payés par les collectivités territoriales qui en maîtrisent le cadre) devant permettre la libre expression de tou·te·s : maison du projet, cafés chantier, ateliers vidéo, etc. Au final, si tout le monde joue le jeu, la construction d’un intérêt général où chacun·e pourrait trouver son compte doit alors voir le jour.

Mais lorsque les intérêts divergent, d’inévitables lignes de fracture se dessinent. Les outils censés être au service des habitant·e·s se retournent contre elles/eux. Les concepts abstraits d’« intérêt général » et d’« utilité publique » deviennent alors un argument privilégié pour disqualifier celles et ceux qui ne voient en aucun point en quoi le projet proposé améliorera concrètement leur cadre de vie. Reste donc posée une question essentielle et centrale : qui définit l’intérêt de qui et comment ?

Notre expérience et nos rencontres avec d’autres habitant·e·s de quartiers populaires mobilisés face à des projets urbains souvent estampillés ANRU (Agence nationale de la rénovation urbaine) montrent que les mobilisations sont souvent difficiles à mener et encore plus à relayer. Non pas qu’il n’existe que peu de critiques ou de volonté de résistance, bien au contraire. Ce qui rend la tâche plus ardue, c’est le sentiment d’écrasement face à des institutions à la machine bien huilée et aux moyens financiers considérables, combinée aux galères du quotidien et à la peur de se retrouver encore plus en difficulté si l’on ose contester. D’où la remarquable expérience qu’a constituée la Table de Quartier du Pile.

Raconter l’histoire de la transformation des villes par le bas

Pile, permis de démolir est construit autour des trajectoires d’habitant·e·s de ce quartier populaire, mobilisés face à un projet urbain comme il en existe des centaines d’autres en France. À l’heure où le concept de « Droit à la ville », forgé il y a 50 ans par Henri Lefèbvre, est régulièrement repris, il tente de donner un éclairage sur la manière dont les quartiers populaires, souvent taxés de « déserts politiques », prennent au contraire quotidiennement leur avenir en main, pour peu qu’on veuille bien les laisser s’organiser.

Ce film a été tourné entre janvier et juillet 2017 et imaginé par les habitant·e·s du quartier comme un moyen de faire entendre leur parole, dans un contexte où celle-ci leur semblait, au mieux inaudible, au pire déformée et filtrée par les outils de communication mis à disposition des promoteurs du projet (bulletins municipaux, presse locale et nationale, vidéos promotionnelles, etc.). Il a également été pensé comme un outil de rencontre et de partage d’expériences avec les habitant·e·s d’autres quartiers populaires en rénovation. Il a été réalisé de manière autonome et bénévole, et réécrit à plusieurs reprises afin de prendre en compte les critiques et idées des habitant·e·s du quartier.

Enfin, nous espérons que ce documentaire alimentera la possibilité de prendre à rebours la vision d’une ville fabriquée et transformée uniquement à coups de politiques publiques et dont l’histoire ne s’écrit que par et pour ses urbanistes et ses promoteurs. Et aidera à ne plus s’étonner que les habitant·e·s des quartiers populaires rechignent ou refusent de prendre le train de la démocratie participative en route [3].

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Pour citer cet article :

Collectif Hiatus, « Pile : permis de démolir. Documenter les mobilisations face à la rénovation urbaine », Métropolitiques, 15 avril 2019. URL : https://metropolitiques.eu/Pile-permis-de-demolir-Documenter-les-mobilisations-face-a-la-renovation.html

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