Le travail de rue des femmes du début du XXe siècle est placé sous le joug d’un monde androcentré, où demeure une division genrée du rapport à l’espace, commandée par les usages qu’en ont les hommes. L’espace public est alors le reflet d’un ordre social où l’itinérance et l’extérieur sont dévolus aux hommes, l’immobilité et l’intérieur demeurent le monde des femmes.
En 1900, Paris est pourtant bien aussi une ville de travailleuses, 42 % des métiers ouvriers étant exercés par des femmes. Jeunes, issues de milieux ruraux, les femmes ont, plus que dans toute autre ville à la même période, des métiers souvent assimilables à ceux contemporains du care, qui les contraignent à être dans l’espace public ou à s’y déplacer. Lingères, travailleuses des ateliers de confection ou vendeuses ambulantes, ces femmes subissent une moralisation de leur conduite parce qu’elles circulent en ville pour exercer leur métier alors que se déplacer dans la rue demeure un privilège social masculin. Elles développent ainsi des formes d’autocontraintes dans la façon de se vêtir tout en étant interdites de « stationner » dans l’espace public sous peine d’être assimilées aux « filles publiques », autre métier exercé par les femmes. Les sources mobilisées par Juliette Rennes dans son travail de sociologue du genre montrent l’ampleur du harcèlement policier dont les femmes qui travaillent dans la rue sont victimes en étant simplement coupables d’être dans l’espace public et parfois de s’y arrêter.
D’autres femmes sont encore cochères, chauffeuses ou afficheuses. Minoritaires à l’échelle de ces professions (Paris compte, par exemple 30 femmes cochères pour 20 000 cochers), elles représentent pour la presse de l’époque la « modernité urbanistique et culturelle ». Elles demeurent, pour les journalistes de ce début du XXe siècle, une attraction soulignant combien les femmes ne sont que tolérées dans l’espace public, leur présence étant susceptible d’être remise en question et comme une « mode » de passer.
À la même période, les féministes revendiquent pour les femmes le libre accès à tous les métiers. Mais le propos de Juliette Rennes montre combien ces revendications ont un caractère de classe et concernent davantage les métiers prestigieux, comme ceux permettant d’accéder au barreau ou à l’exercice de la médecine. Ce positionnement politique des féministes de l’époque, s’il est notable, souligne néanmoins une mobilisation à plusieurs vitesses et la faiblesse de la solidarité entre femmes. Ainsi, l’accès de quelques femmes aux métiers de cochères ou d’afficheuses masque le fait que malgré cette visibilité gagnée peu d’écoles professionnelles sont encore alors ouvertes aux femmes, qui pourtant bénéficient depuis les lois Ferry d’un accès gratuit à l’éducation.
Émission proposée et animée par
Stéphanie Dadour et Nadine Roudil
Montage audio
Anna Lopèz Luna
Morceau musical inclus dans l’émission : Ain’t Nothin’ Goin’ on but the Rent, par Gwen Guthrie.
Remerciements
La rédaction remercie Barbara Carlotti pour l’utilisation, à titre gracieux, du morceau « Voir les étoiles tomber », extrait de l’album Magnétique, comme générique de l’émission.
Bibliographie
- Juliette Rennes, Métiers de rue. Observer le travail et le genre à Paris en 1900, Paris, Éditions de l’EHESS, 2022, 461 p. Lire présentation sur le site de l’éditeur.