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Entretiens

Loi SRU : quand l’implication citoyenne permet une loi audacieuse

La loi SRU de 2000 a fêté ses 20 ans il y a peu. Francis Rol-Tanguy et Laurent Sablic reviennent sur l’élaboration de ce texte emblématique du gouvernement de Lionel Jospin né d’une concertation inédite associant habitants, élus et hauts fonctionnaires.

Entretien avec Francis Rol-Tanguy et Laurent Sablic, réalisé par Fabien Desage, avec l’aide de Frédéric Gilli, le 10 février 2021 par visioconférence.

Francis Rol-Tanguy, alors directeur de cabinet de Jean-Claude Gayssot, ministre qui fut le porteur de la loi relative à la solidarité et aux renouvellement urbains (loi SRU), a été un témoin et un acteur de premier plan de la fabrique de cette loi. Associé de l’agence Campana–Eleb, Laurent Sablic a, quant à lui, été – avec André Campana et Jean-Charles Eleb – l’un des concepteurs et organisateurs de la concertation citoyenne préalable aux travaux législatifs.


Fabien Desage : La loi SRU doit une partie de sa singularité à la façon même dont elle a été élaborée. D’où est venue l’idée de la faire précéder d’une série de débats publics, et qu’attendiez-vous de cette consultation des citoyens, très en amont du processus législatif ?

Francis Rol-Tanguy : Avec Jean-Claude Gayssot [ministre de l’Équipement, des Transports et du Logement de 1997 à 2002, ndlr], on s’était fixé une sorte de calendrier dès juin 1997. À l’époque, on avait un problème majeur à régler à Air France, que le PDG, Christian Blanc, voulait privatiser. Deuxièmement, il fallait gérer le passage aux 35 heures dans les transports et les grandes entreprises publiques. Nous nous étions dit que, dans un troisième temps, on aborderait les questions de l’urbanisme, de l’habitat et de la mobilité.

Concernant le gouvernement dans son ensemble, cette loi était la troisième d’un triptyque. La loi Chevènement a vraiment lancé le processus des intercommunalités. La loi Voynet, sur l’aménagement du territoire, consacrait un certain nombre de grands schémas nationaux. SRU était le troisième pied de ce triptyque.

On sait que, dans un quinquennat, les choses importantes doivent se faire dans les six premiers mois car ensuite on tombe dans la gestion des urgences. On ne voulait pas renoncer à cette deuxième partie du mandat : on a donc commencé à réfléchir, avant même la rédaction du texte, à quelle forme pourrait prendre l’animation politique autour de ce sujet et la façon d’y associer les citoyens.

En pratique, les six débats que l’on a organisés [Nîmes, Lyon, Orléans, Lille, Dijon et Perpignan, ndlr] et le septième avec la conclusion au Cirque d’Hiver [à Paris, ndlr], étaient construits de telle manière que les échanges entre les habitants soient au centre des discussions. D’ailleurs, c’était une règle compliquée : j’étais chargé d’expliquer aux ministres qu’ils venaient pour écouter et auraient seulement trois minutes à la fin. Le sens des rencontres était vraiment d’écouter les gens parler et parler entre eux : la première heure et demie était un vrai échange avec un panel d’interviewés et des habitants et ces débats étaient vraiment denses. Au-delà, un groupe de hauts fonctionnaires connaissant bien les questions d’urbanisme, de logement et de mobilité avait été créé autour de Georges Mercadal, à l’époque vice-président du Conseil général des ponts et chaussées. Ils ont suivi tous les débats avec pour mission de les analyser et d’en tirer tous les enseignements possibles.

Laurent Sablic : Ce qui a rendu les échanges entre citoyens véritablement productifs, c’est que leur parole publique a été directement mise au service de la réflexion politique. Les gens parlaient entre eux, certes, mais ils parlaient aussi devant les ministres et devant les experts qui notaient. Le lendemain, chose que l’on n’avait jamais vue et que l’on n’a plus revue depuis, les élus, le préfet, les cabinets, les hauts fonctionnaires travaillaient ensemble à partir de la parole des citoyens.

Les verbatim ont ensuite fait l’objet d’une analyse intégrale, menée par Médiascopie et adossée à un sondage [de l’Institut] CSA pour quantifier les intuitions issues des débats. C’est tout ce matériau qui a fait l’objet de la réunion de restitution au Cirque d’Hiver. Cette dernière rencontre, avec tous les participants des précédents débats régionaux, était très importante, parce qu’elle donnait de la traçabilité démocratique : elle a permis aux gens de voir le sérieux qui avait été accordé à ce qu’ils avaient pu apporter.

Nous avions préparé la méthodologie, au sein de l’agence [1], mais sa déclinaison a été coproduite entre le cabinet du ministère, les services et les experts. De fait, chaque étape donne son sens à la démarche, et quand on les détache les unes des autres, on arrive à des impasses. Si on donne la parole aux gens en disant qu’ils n’ont aucun pouvoir, ils se fâchent. Si on leur dit qu’ils ont tous les pouvoirs et qu’ils s’aperçoivent in fine qu’ils ne les avaient pas, ils se fâchent aussi. Si on dit aux experts que leur parole n’a aucune valeur parce que les gens sont beaucoup plus intelligents qu’eux, alors que ce n’est pas tout à fait vrai, on arrive aussi à des impasses. Là, un cercle vertueux s’est amorcé, tendu par le fait qu’il y avait un point d’aboutissement à tout cela et que la parole des habitants avait été placée comme point d’entrée de la démarche.

Fabien Desage : Qu’attendiez vous de cette démarche, dans les différents ministères et cabinets concernés ?

Francis Rol-Tanguy : Jean-Claude Gayssot avait une expression favorite : « il faut croiser l’avis des experts du ministère et celui des experts de terrain ». Il y avait d’abord cette volonté générique. Mais il avait aussi l’objectif d’associer les autres ministres à l’élaboration de la loi, et c’est ce qui s’est passé dans les rencontres. Dans le gouvernement, ce souci du collectif était sans doute plus fort qu’aujourd’hui.

Et puis, la gauche plurielle était quand même traversée de débats. L’idée de Jean-Claude Gayssot était donc aussi d’arriver armé pour la négociation de cette loi : se donner, grâce aux débats citoyens, une légitimité qui lui serait utile, tout ministre qu’il était. De nombreux aspects techniques de la loi ont été imaginés pendant les débats, on va y revenir. Mais je suis aussi convaincu que pas mal d’éléments de la loi SRU n’auraient pas passé le stade des arbitrages interministériels sans cette préparation. Elle a donné du poids politique, de la légitimité aux propositions formulées en sortie.

Laurent Sablic : C’était totalement inédit que de manière assez égalitaire, des ministres de rangs différents soient réunis ensemble à écouter des habitants. Cela s’inscrit dans un moment précis de la vie politique où l’on voit l’expression de l’intelligence collective citoyenne prise au sérieux par le gouvernement et le législateur.

Ce qui est très impressionnant pour nous, à ce moment-là, c’est de voir le ministre, son cabinet, mais aussi le Conseil général des ponts et chaussées, la DATAR [2], la DIV [3] et toute une série d’experts, mettre cette étape d’expression citoyenne au cœur même du processus d’élaboration d’une politique publique. On a souvent le sentiment, nous, journalistes-enquêteurs, que ce matériel que l’on rassemble auprès des habitants de manière systématique, rigoureuse, n’est en général regardé que de très loin. Là, il était enfin pris au sérieux : ce n’était pas un élément du décor mais le cœur du réacteur.

Dans les premiers temps, cela n’avait d’ailleurs pas été évident : Georges Mercadal avait cru que nous allions faire des « petits flashs d’habitants » pour illustrer les idées qu’eux-mêmes avaient sur la façon de transformer la ville. Il a fallu que le ministre mette les points sur les i, en disant que « oui, il attachait de l’importance à ce qui allait se dégager de la parole des habitants », que cela devait nourrir la réflexion générale et que ce n’était pas juste un exercice de communication politique.

Figure 1. Captures d’écran des débats et de la réunion de restitution

Source : film de la restitution des échanges tenue à l’issue des débats en présence des experts et ministres mandatés – agence Grand Public/YouTube.

Fabien Desage : Comment expliquer l’originalité de cette démarche, compte tenu de la place prise par les administrations dans les questions urbaines dès les années 1990 ?

Francis Rol-Tanguy : C’est d’abord une commande politique, pas une commande « technocratique » venant des administrations centrales. Et, effectivement, il y a eu une incompréhension de départ parce que ce n’était pas dans les habitudes des hauts fonctionnaires. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a été dépassée et s’est transformée en un vrai travail. D’ailleurs, Georges Mercadal a ensuite été un des piliers de la Commission nationale du débat public et je pense que ce n’est pas sans rapport. Il y a eu une vraie complémentarité entre une commande politique et la capacité à emmener les hauts fonctionnaires et les administrations concernées.

Les équipes ont vraiment plongé dans le processus. C’est fondamental parce qu’une commande politique, c’est une chose ; après, il faut l’outiller : trouver les voix et moyens de son expression, ce n’est pas forcément simple. De ce point de vue, le débat et la façon dont les administrations s’en sont saisies ont été décisifs. On est en plein débat parlementaire sur la loi issue de la convention citoyenne sur le climat : les différences entre le processus mis en place à l’époque et la situation actuelle sont particulièrement criantes et montrent la force de ce qui avait été construit autour de la loi SRU.

Laurent Sablic : À la fin de cette démarche, Georges Mercadal a eu ce mot : « Finalement, avec vos méthodes de saltimbanques et nos approches cartésiennes, nous sommes arrivés à faire ensemble quelque chose que vous, sans nous, vous n’auriez jamais réussi à faire, et que nous, sans vous, nous n’aurions pas non plus réussi à faire. »

Ce débat sur le rapport entre l’expertise citoyenne, l’expertise des experts et la commande politique est toujours vivant… et le plus souvent mal engagé. Les débats préparatoires de la loi SRU ont réussi à sortir de cette contradiction par le haut parce que la commande politique avait institué une méthode mais aussi un terrain très ouvert, non technique. Dès le départ, le souhait du ministre était de réfléchir à « la civilisation de la ville » : dans les débats, il ne s’agissait donc pas de définir des systèmes de gouvernance, de préciser un pourcentage de logements sociaux ou d’encadrer certains modes de transport. L’expertise citoyenne est souvent convoquée, aujourd’hui, sur des sujets prédéfinis : on choisit des thèmes, un objectif, et on demande aux gens de contribuer au sein de ce cadre… Ce n’était pas du tout l’esprit des débats sur la loi SRU. Le titre lui-même de la démarche, « Habiter, se déplacer, vivre la ville », avait d’ailleurs été l’objet d’une discussion assez longue.

Fabien Desage : Par rapport aux années 1970 où il avait eu beaucoup de luttes urbaines plus directes, on a l’impression que, avec cette démarche, c’est aussi le début de ce que certains universitaires ont qualifié d’« impératif délibératif » : l’administration enjoint des citoyens à participer…

Francis Rol-Tanguy : Il y a eu des manifestations à l’époque mais plutôt à tonalité sociale, notamment dans le secteur des transports. Après, il y avait déjà un début de décrochage du politique par rapport aux citoyens.

Laurent Sablic : Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’explosions dans une société qu’elle n’est pas explosive pour autant. Il faut réécouter le discours de Jean-Claude Gayssot au Cirque d’Hiver : après avoir entendu les citoyens, en conclusion, il pointait un système de ségrégation s’aggravant, une crise urbaine larvée avec des centres-villes menacés d’asphyxie et des villes dans lesquelles on ne vit plus bien. Cette tension n’était pas exprimée par des luttes mais elle existait dans l’opinion avant 2005 et la révolte des quartiers populaires. En fait, quand les pouvoirs publics sont capables d’entendre les citoyens et de déceler les tensions avant qu’elles n’explosent, s’ils se donnent les moyens d’organiser les controverses dans l’opinion, alors il est possible d’organiser des dynamiques vertueuses.

Concernant l’impératif délibératif, je peux simplement rappeler que, au départ, les administrations n’étaient pas très enclines à aller écouter les habitants. Il a fallu créer une expérience commune pour que cet intérêt chemine.

Fabien Desage : La question du rapport entre l’État, les administrations et les élus locaux est centrale dans la loi SRU. Qu’est-ce qui se joue à ce moment-là ?

Francis Rol-Tanguy : La loi SRU est célèbre pour son article 55 [obligation d’atteindre 20 % minimum de logements sociaux, ndlr] qui comporte des éléments de recentralisation mais elle-même contient aussi des mesures de décentralisation importantes : c’est la loi SRU qui a décentralisé les grandes compétences des régions et aussi porté la transformation des POS [4] en PLU [5] ou des SDAU [6] en SCOT [7]. Au-delà du symbole du changement de nom, le fait qu’avec les PLU aient été créés les PADD (programmes d’aménagement et de développement durable), c’est pour donner une dimension politique à ces documents. Naturellement, à la fin, il faut prendre des mesures techniques et dire ce qui est constructible ou pas, mais l’idée issue des débats préalables, c’est qu’un document comme celui-là, vis-à-vis de la population, doit d’abord exposer la politique de long terme de la municipalité qui l’adopte. C’est clairement un produit de la démarche préalable et je pense même que, sans elle, nous n’aurions pas fait ces modifications substantielles.

La volonté d’organiser ces débats avant la rédaction de la loi est elle-même partie de l’idée que si l’on voulait parler de la civilisation de la ville, il fallait le faire depuis le terrain, avec un certain nombre de grands maires, pour pouvoir dialoguer avec eux et leurs habitants. Ils ont été choisis en essayant de trouver un équilibre politique, géographique, et puis il fallait aussi qu’ils soient représentatifs de différents types de villes. Les six débats n’ont d’ailleurs pas été conduits tous de la même manière : Pierre Mauroy à Lille, Raymond Barre à Lyon, Jean-Pierre Fourcade à Dijon ou Jean-Paul Alduy à Perpignan… chaque maire avait sa personnalité.

Laurent Sablic : Je ne voudrais pas ramener la discussion à des questions de méthode mais il y a un lien direct entre la méthodologie retenue et le contenu qui a été produit. Les débats ont permis d’établir publiquement que la parole des habitants était une parole stratégique. Pour certains participants, cela a été une forme de révélation. J’ai assisté à un des débats aux côtés de Jean-Louis Guigou, à l’époque patron de la DATAR, et il disait : « Je ne savais pas qu’un gardien d’immeuble maghrébin de Chenôve [ville de la banlieue de Dijon, ndlr] pouvait résumer en trois phrases ce que la pensée de mes équipes et des chercheurs ont produit depuis 30 ans sur les questions de mixité, de construction ou d’aménagement urbain. » Si j’en reviens au PADD, on voit d’un seul coup que la pensée des gens est une pensée stratégique et qu’ils sont disponibles et intéressés pour discuter d’une vision politique de leur ville. Malheureusement, ces documents ont vite été récupérés par la technostructure.

Figure 2. Captures d’écran des débats et de l’enquête qualitative réalisée en amont de ces débats

Sources : films de la restitution des échanges tenue à l’issue des débats en présence des experts et ministres mandatés et de l’enquête qualitative audiovisuelle réalisée en amont des débats décentralisés – agence Grand Public/YouTube.

Fabien Desage : Avec le recul, teniez-vous assez compte, dans cette loi, que la ville est le produit d’intérêts qui ne sont pas toujours conciliables ? La loi intégrait-elle cette dimension éminemment politique ?

Francis Rol-Tanguy : Le droit, en général, sanctionne des positions qui, à un moment donné, sont, si ce n’est consensuelles, du moins largement majoritaires. La loi, ce n’est pas le lieu de l’innovation par excellence. L’innovation, elle naît ailleurs et la loi finit par la reprendre quand l’innovation s’est imposée. Une fois que vous êtes élu ou installé dans un fauteuil ministériel, que vous le vouliez ou pas, vous n’êtes capables de retranscrire que ce qui, quelque part, a déjà une capacité majoritaire dans le pays…

Après, qu’il y ait des intérêts contradictoires dans la ville, c’est une évidence. L’article 55 dit bien quelque chose. Mais lui aussi est le produit d’intérêts divergents. La démarche dont nous venons de parler s’inscrit dans une évolution de fond qui a commencé dans les années 1990 avec la loi d’orientation pour la ville, etc. Au bout d’un moment, les questions qu’elle porte deviennent le fait majoritaire. Cela ne veut pas dire que cela imposait naturellement les décisions que nous avons prises : pour toutes les raisons que l’on vient d’énoncer, cela n’allait pas de soi de se rendre compte que le pays était mûr ni de créer l’espace politique pour concrétiser ces avancées.

Fabien Desage : C’est une loi qui a marqué et marque encore le paysage normatif français en matière d’aménagement et d’urbanisme mais qui, finalement, ne semble pas avoir fait école dans la manière dont sont élaborées les lois depuis. Comment l’expliquez-vous ?

Francis Rol-Tanguy : Ce constat est juste. D’ailleurs, ce qui s’est passé au Cirque d’Hiver, au moment de la conclusion du débat est en soi symbolique et annonciateur : Lionel Jospin, Premier ministre, est simplement venu faire un discours à la fin quand l’idée de départ était qu’il assiste au débat et participe aux échanges avec le panel issu des six débats préalables. On avait même envisagé une retransmission télévisée en direct afin que le travail effectué prenne un sens politique puissant, associant tous les éléments de la démarche, que ce soit les habitants, les élus de droite et de gauche, les experts, etc. Là, on s’est heurtés à un peu d’indécision du Premier ministre mais, surtout, à une opposition claire des communicants de Matignon, considérant que le Premier ministre ne pouvait pas se prêter à ce genre de jeux.

Cet épisode apparemment anecdotique prend un éclairage tout autre au vu de la campagne présidentielle de 2002. Il annonce aussi un peu la suite si l’on songe que le communicant de Matignon à l’époque s’appelait Manuel Valls…

En même temps, il ne faut pas non plus isoler la loi SRU : c’est quand même juste après qu’est créée la Commission nationale du débat public et, malgré tous ses défauts, elle a apporté quelque chose en la matière. Mais ce qui a été fait au moment de la loi SRU était plutôt innovant, probant même, et cela n’a pas été réitéré.

Laurent Sablic : Pour ma part, je dirais que cette démarche a fait des petits ailleurs. Pas dans l’appareil d’État, pas dans les ministères, mais aujourd’hui il y a beaucoup d’endroits où se construisent des projets sur ce mode, avec une part donnée aux habitants, associant de l’expertise, et rendant possible des projets dans les territoires ou les entreprises.

Après, il est vrai qu’au niveau de l’État il n’existe pas de culture ni d’analyse de la parole des citoyens ni un crédit pour ce qu’elle peut apporter. Le Grand Débat national en est un symbole : alors que pendant la démarche de la loi SRU les propos des habitants étaient analysés en direct et alimentaient les réflexions politiques des cabinets ministériels, le même travail n’a pas été mené au printemps 2019.

Pour la loi SRU, il y a aussi un portage personnel et politique de Jean-Claude Gayssot : peut-être que la politique n’est plus capable de tels profils, un ancien cheminot devenu ministre d’État avec des compétences très larges, ni quelqu’un qui, au sein des cabinets, a suffisamment d’espace pour assumer à un moment de prendre un risque et de faire prendre un risque à son ministre.

Francis Rol-Tanguy : La réussite dont on parle autour de SRU et de sa préparation est en effet une parfaite illustration de comment peut bien fonctionner la rotule politique–haute administration. C’est clair qu’on ne retrouve pas ce cas de figure aujourd’hui. Dans les cinq ans du quinquennat Hollande, j’ai plutôt eu des engueulades avec certains de mes collègues directeurs de cabinets parce que je n’ai jamais considéré, dans mes fonctions, qu’il suffisait de dire « le politique a parlé ».
Et puis le fossé se creuse entre les Français et les politiques…

Fabien Desage : Dans un entretien pour Métropolitiques, Pierre Mansat critique l’incapacité des acteurs publics à traiter les inégalités et la ségrégation socio-spatiale, en particulier dans la région parisienne… N’est-ce pas une autre limite persistante de la loi SRU ?

Francis Rol-Tanguy : Ces questions d’inégalités territoriales, de ségrégations, etc., je n’ai jamais pensé que c’était d’abord des questions d’urbanisme, d’habitat ou de mobilité. Je ne dis pas que ces dimensions-là n’en font pas partie, naturellement. Mais il y a des dynamiques beaucoup plus puissantes pour expliquer, contrecarrer ou perpétuer les inégalités : les dynamiques économiques et de chômage, la question des ressources des collectivités… Les domaines touchés par la loi SRU étaient évidemment concernés mais le problème se pense à une autre échelle.

Laurent Sablic : Concernant la loi SRU elle-même, elle change quand même la donne en installant la question dans l’espace démocratique. Dans certains des territoires dans lesquels nous travaillons aujourd’hui, la loi SRU n’est pas juste un levier législatif donné à un maire pour imposer un contingent de logement social, même à ceux qui sont défavorables. Du fait de la loi, les aménageurs sont amenés mettre le sujet des logements sociaux en débat avec la population. Sans la loi SRU, la question ne se poserait même pas.

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Pour citer cet article :

Francis Rol-Tanguy & Laurent Sablic, « Loi SRU : quand l’implication citoyenne permet une loi audacieuse », Métropolitiques, 10 mai 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Loi-SRU-quand-l-implication-citoyenne-permet-une-loi-audacieuse.html

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