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Le projet partenarial d’aménagement : vers une reconfiguration des rapports entre État et collectivités locales ?

La répartition des compétences en matière d’aménagement entre l’Etat et les collectivités peut s’avérer préjudiciable aux projets. En regard, le Projet partenarial d’aménagement traduit une volonté de coopération. François Déalle-Facquez et Matilin Le Meur interrogent ses apports à l’aune du cas de Marseille.

Depuis les premières lois de décentralisation, État et collectivités composent avec un nuancier subtil de partage des compétences d’aménagement, a priori marqué par une autonomie de plus en plus importante du local à l’égard du national. La période récente n’a pas manqué d’y ajouter, sous l’impulsion du législateur [1], de nouveaux dispositifs de contractualisation multipartite [2]. Instauré par la loi ELAN, le Projet partenarial d’aménagement (PPA) apparaît comme le plus ambitieux et novateur : à l’initiative d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et de l’État, il traduit la volonté contractuelle d’engager une démarche partenariale de projet et d’en définir le cadre opérationnel. Son périmètre instaure un régime juridique dérogatoire, facilitant la mise en œuvre d’opérations d’ampleur et renforçant l’ingénierie et la mobilisation des acteurs publics. Il promet ainsi une horizontalisation de la chaîne de l’aménagement en encourageant la congruence entre différentes échelles d’interventions et en conférant une ampleur stratégique à une grande diversité d’acteurs, d’actions, de projets, etc. En 2023, une trentaine de contrats sont signés autour d’enjeux et d’échelles variés.

À l’aune des questionnements liés à la mise en œuvre du PPA du centre-ville de Marseille, à laquelle participe Acadie [3], cet article propose une première lecture des apports de ce dispositif inédit dans le panel des outils à disposition des acteurs publics : à quelles conditions son déploiement s’avère pertinent pour répondre aux enjeux posés par des contextes complexes et faire émerger de nouveaux référentiels d’aménagement ?

Une première promesse du PPA tient à son cadre de gouvernance, dont l’agencement reste à la main des collectivités locales : ce modèle contractuel est rare, tant dans l’étendue des territoires pouvant s’en saisir que dans sa collégialité. Ses signataires (l’État et ses agences, les collectivités ou même encore des acteurs privés) s’engagent dans une démarche dont ils posent les jalons calendaires, leurs degrés d’investissement respectifs et l’appareillage normatif d’exception souhaité dans l’exercice des compétences et les outils mobilisés. Il offre, pour les acteurs publics et privés qu’il associe, un dispositif propice à l’inter-institutionnalité (Arab, Idt et Lefeuvre 2015) et au dépassement des hiatus de compétences ou de fonctionnement en silos.

Contrat intégrateur, le PPA confère également à ses signataires la possibilité de dépasser une approche du projet strictement délimitée par des périmètres. Car, tout en délimitant ses propres contours et instaurant d’éventuels outils d’intervention complémentaires (comme la Grande opération d’urbanisme), le PPA réinterroge les modalités de conduite du projet et son articulation avec le droit de l’urbanisme. Adossé à la force normative robuste d’un outil d’aménagement d’État, le PPA permet également d’instaurer un registre itératif dans la conduite opérationnelle du projet, suivant une logique de plan guide (Lucan 2012), inédite pour un tel dispositif réglementaire. Il demeure donc malgré tout un outil soumis à l’épreuve du projet et dont l’apport intrinsèque ne pourrait être évalué qu’en regard de la juste mobilisation locale.

Réinterroger les pratiques locales de l’aménagement : la mise en œuvre du PPA dans le centre-ville de Marseille

Recouvrant près de 1 000 hectares et concernant plus de 200 000 habitants (voir carte ci-dessous), le PPA de Marseille se distingue par l’ampleur de son périmètre et de ses défis : signé en 2019, au lendemain des effondrements tragiques de la rue d’Aubagne, il devient l’outil de lutte contre l’habitat indigne au sein du centre-ville. Il vise en outre à définir un horizon stratégique territorial intégrant les questions d’espaces publics, d’équipement, de mobilités, de développement économique, etc.

Cartographie : ACAM, juin 2019.

Par cet outil, État et collectivités entendent tenir la promesse d’un travail partenarial dans un cadre géopolitique local peu propice : « mal née », l’institution métropolitaine manque de légitimité et de capacité d’action stratégique (Douay 2013). Le PPA doit ainsi être en mesure de pallier tout en ménageant les prérogatives municipales, amoindries par ses défaillances multiples, notamment en termes de politiques de l’habitat [4]. L’État place ainsi les collectivités en responsabilité : s’il est au cœur de la gouvernance et garantit la majorité de l’investissement via ses agences, son rôle est moindre en comparaison de sa tradition tutélaire, telle qu’elle se traduit dans l’Opération d’intérêt national (OIN) Euroméditerranée, par exemple. L’horizon stratégique du PPA dépasse de fait la simple résolution des enjeux de son contrat, pour viser une ambition plus large d’un travail inter-institutionnel pérenne. Il apparaît comme un outil transitoire au service d’un changement des référentiels locaux d’action publique.

Le PPA a certes permis d’engager d’importants moyens, notamment dans la création d’une Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLAIN), mobilisée pour le renouvellement de 2 500 logements. Mais cette mesure, conduite à marche forcée, demeure anecdotique face à l’ampleur des besoins – 800 arrêtés de périls d’immeubles et 40 000 logements considérés comme indignes à l’échelle communale – et à la complexité du contexte. C’est ici la capacité de transversalité du PPA, de mise en résonance des périmètres, des politiques publiques et des logiques de marchés, qui semble en mesure d’engager, sur le long terme, l’ensemble des acteurs fédérés autour du constat initial d’urgence.

Outil du temps long, le PPA se heurte aux divers temps électoraux : celui de l’État d’une part qui, pour dépasser la défiance locale vis-à-vis de ses cadres d’intervention (l’OIN hier, le PPA aujourd’hui), semble leur préférer une série de contractualisations bilatérales avec le plan « Marseille en grand ». Celui de la Ville et de la Métropole d’autre part, qui peinent à dépasser leurs antagonismes politiques pour mener à bien le travail inter-institutionnel nécessaire. Malgré la mobilisation d’une importante ingénierie technique dans la structuration du dispositif, les réponses qu’il peut apporter aux difficultés de l’action publique en matière d’aménagement et le constat d’urgence partagé par l’ensemble des acteurs signataires, le PPA marseillais peine encore, plus de quatre ans après sa signature, à pleinement convaincre et mobiliser [5].

Le PPA ou l’opportunité d’un nouveau dialogue institutionnel en matière d’aménagement

Bien que nous manquions de recul sur la mise en œuvre des PPA à l’échelle nationale, la singularité de cet outil offre à certaines conditions une opportunité de dépassement des difficultés dans la conduite locale des politiques d’aménagement.

Plus encore que d’autres outils ou qu’une énième démarche itérative, le contrat de PPA doit créer les conditions d’une expression autant stratégique qu’opérationnelle du projet : le PPA doit demeurer, tout au long de sa validité, un référentiel technique institutionnel ainsi qu’un espace d’organisation du débat politique local en matière d’aménagement. Ses instances, ses modalités d’animation, ses documents contractuels, etc. doivent être construits dans cette double finalité. En somme, la plus-value de cet outil vaut autant, si ce n’est plus, par la démarche qu’il installe et la capacité des acteurs à se l’approprier que par ses déclinaisons opérationnelles directes.

Le PPA ne doit donc pas être envisagé comme un métaprojet, qui viendrait supplanter ou amalgamer d’autres démarches antérieures, mais plutôt comme un dispositif permettant de réinterroger et compléter l’action publique dans le contexte considéré (périmètres de projets urbains, politiques publiques sectorielles, programmation de projets publics ou privés, etc.). Si cette démarche semble venir ajouter de la complexité à des situations déjà critiques, elle est également une opportunité unique de dépasser des situations dysfonctionnelles de court-termisme, de vision en silos ou de simple antagonisme local.

Enfin, le PPA permet aux acteurs publics de se saisir d’une large diversité de projets (renouvellement urbain à Roubaix ou Marseille, gestion des aléas climatiques à Saint-Jean-de-Luz, reconfiguration d’une infrastructure routière en Essonne ou encore reconstruction du centre-ville au Teil, suite à une catastrophe naturelle) et de s’appuyer sur leurs effets d’entraînement, au-delà des distinctions entre périmètres d’exception et droit commun ou entre porteur de projet public et privé. Il impose une porosité des cadres de production urbaine tout en encadrant contractuellement les modes d’action de chacun. Les outils d’aménagement s’enrichissent ainsi d’un dispositif normatif qui, même s’il ne peut complètement initier des formes alternatives de production urbaine, crée les possibilités d’un projet synergétique au service de situations complexes (D’Arienzo et Younès 2018).

Un outil témoin de nouvelles mutations de l’État en tant qu’aménageur du territoire

Après avoir analysé sa recomposition à la fin du XXe siècle (Duran et Thoenig 1996 ; Béhar et Estèbe 1999), puis délaissé en partie son analyse pour se tourner vers les acteurs émergeant du régime de gouvernance urbaine (Jouve et Lefèvre 1999 ; Le Galès 2003), le champ scientifique réinvestit progressivement l’analyse des postures de l’État en tant qu’acteur de la gouvernance urbaine (Epstein 2008, 2015). Dès lors, peu d’outils conduisent autant que le PPA à réinterroger la place de l’État dans ces outils d’aménagement : elle révèle une posture étatique néo-aménagiste, plus mature et consciente des limites des modalités d’aménagement du territoire issues de la décentralisation.

Admettant pleinement un urbanisme négocié, le contenu hybride des PPA est aussi pour l’ensemble des acteurs un processus de gestion réflexive de leur pratique de l’aménagement. Pour l’État, il constitue un vecteur de circulation des modèles, en mesure d’accompagner à l’échelle nationale une mutation des référentiels d’aménagement. Il dessine ainsi une nouvelle figure d’un État-animateur qui s’inscrit dans un réétalonnage de l’action aménagiste de l’État à travers la décentralisation (Brenner 2009). Avec le PPA, l’État entend assurer un meilleur partage des compétences avec les collectivités et incarner une posture mesurée, entre interventionnisme aménagiste et pilotage à distance. Il lui assure contractuellement, à condition de s’en donner les moyens, le maintien d’une structure décentralisée tout en concédant en partie aux velléités différenciatrices des collectivités. Le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre au long cours de cet instrument « traceur de changement [6] » paraissent fondamentaux.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

François Déalle-Facquez & Matilin Le Meur, « Le projet partenarial d’aménagement : vers une reconfiguration des rapports entre État et collectivités locales ? », Métropolitiques, 15 février 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Le-projet-partenarial-d-amenagement-vers-une-reconfiguration-des-rapports-entre.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2002

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Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

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