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Les jeunes et la voiture, un désir contrarié ?

En comparant plusieurs vagues d’une enquête sur les déplacements, Yoann Demoli interroge la désaffection supposée des jeunes pour l’automobile. Il insiste sur le poids des contraintes, notamment budgétaires, qui pèsent sur la jeunesse et tendent à différer l’accès à la voiture individuelle.

« Les jeunes et la voiture, ce n’est plus l’amour fou » (Les Échos, septembre 2016). « Cette jeunesse qui ne veut plus rouler en voiture » (Le Monde, septembre 2015). De nombreux articles de presse font état d’une désaffection nouvelle des jeunes pour l’automobile, laquelle aurait suscité par contraste, au sein des générations précédentes, un vif enthousiasme. Cette hypothèse d’un effet de génération dans le rapport à l’automobile (que l’on peut formuler ainsi : « les jeunes d’aujourd’hui auraient un moindre engouement pour la voiture que les jeunes d’hier ») se doit pourtant d’être discutée, d’abord pour l’attester empiriquement, mais aussi pour l’interpréter théoriquement.

En s’appuyant sur l’exploitation de quatre vagues d’enquêtes « nationales transports », représentatives de la population française et réalisées auprès d’environ 10 000 ménages en 1974, 1981, 1993 et 2008, ainsi que sur l’exploitation de l’Enquête ménages déplacements Nantes/Loire-Atlantique (2015, environ 6 000 ménages), cet article propose de discuter ces assertions en étudiant plusieurs facettes du rapport à l’automobile : la détention du permis de conduire, la possession d’une voiture, ainsi que le rapport subjectif à la conduite et à la voiture.

Il cherche aussi à clarifier le sens à donner à ces évolutions. Une partie de la presse, avec d’autres observateurs académiques, envisage le moindre engouement des jeunes pour la voiture en termes de valeurs : les jeunes générations auraient rompu avec le matérialisme et seraient davantage intéressées par l’usage que par la possession. Elles s’approprieraient les nouvelles technologies pour délaisser les anciennes, qui seraient peu à peu réévaluées au point de devenir, dans certains cas, un problème public. En bref, la voiture serait délaissée par les plus jeunes, qui ont grandi dans un monde où rouler est devenu dangereux, polluant et coûteux. Un monde où la voiture n’est plus cet incontournable objet du désir qu’ont connu leurs aînés. En accord avec les analyses qui insistent sur les contraintes que le contexte de la course aux diplômes (Duru-Bellat 2006) et de transition plus longue et chaotique vers l’âge adulte (Van de Velde 2008) imposent à la jeunesse, cet article propose une lecture alternative et décrit, sur le temps long, trois aspects du rapport à l’automobile des jeunes gens, en les comparant aux autres classes d’âge. Les données que nous présentons ici permettront de montrer que la jeunesse est loin d’avoir abandonné le volant, mais que le calendrier de l’accès individuel à l’automobile s’est modifié.

Un calendrier différé


La figure 1 présente le taux de détention du permis de conduire pour sept tranches d’âge à quatre dates distinctes (1974, 1981, 1993 et 2008). Deux phénomènes saillants se démarquent : d’une part, l’essor continu du taux de détention des jeunes gens, venant irriguer, année après année, les classes d’âge en conducteurs ; de l’autre, le changement morphologique de la structure par âge des conducteurs.

Le taux de détention du permis de conduire a connu un accroissement très élevé auprès des plus jeunes : alors que les 18‑20 ans étaient 19 % à détenir le papier rose en 1973, ils étaient exactement 50 % en 2008. Au cours de cette période, on n’assiste donc pas à une désaffection du permis de conduire, mais au contraire à sa diffusion massive parmi les plus jeunes. La décennie 1970, durant laquelle les jeunes cohortes du baby boom accèdent massivement au volant (Demoli 2015a), a vu un essor particulièrement élevé du taux de détention pour cette tranche d’âge, alors que les autres décennies montrent un mouvement de croissance de moindre ampleur.

L’ensemble de la période montre aussi une modification morphologique de la détention du permis par âge : ainsi, le pic du taux de détention, ou sa saturation, correspondait assez clairement aux tranches d’âge situées entre 26 et 34 ans pour les trois premières dates d’observation. Pour chaque période, le taux de détention le plus élevé s’observait pour les 26‑34 ans. Mais une légère modification était lisible en 2008 : les taux les plus élevés s’observaient également pour les 35‑44 ans. Cela signifie que le permis s’obtient, pour une partie (certes faible) des classes d’âge, assez tardivement.

Figure 1. Taux de détention du permis de conduire selon la classe d’âge en population générale en 1973, 1981, 1993 et 2008
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Sources : Enquête sur les transports 1973‑1974, Enquête sur les transports 1981‑1982, Enquête transports et communications 1993‑1994, Enquête nationale transports et déplacements 2007‑2008.
Champ : individus de 18 ans et plus.
Lecture : en 1973, sur 100 individus âgés de 18 à 20 ans, 19 ont le permis de conduire.

Les figures 2a et 2b contrastent les taux de détention du permis de conduire selon les sexes par tranche d’âge. Chez les hommes âgés de moins de 30 ans, les taux de détention ont atteint leur maximum pour l’année 1981 – hormis pour les 18‑20 ans pour lesquels cette acmé eut lieu en 1993, probablement en raison de l’arrêt de la conscription obligatoire entre les deux dates (Herpin et Mansuy 1995). À partir de 1981, les taux de détention sont un peu moins élevés pour les moins de 30 ans en 1993, ainsi qu’en 2008. On remarque un déplacement des maxima de taux de détention aux âges plus élevés, la tranche 30‑34 ans comptant le plus grand nombre de titulaires du permis. Autrement dit, le mouvement de baisse des taux de détention chez les jeunes est déjà ancien, puisqu’il remonte aux années 1980. Ce mouvement reste relativement ténu et transitoire puisque, dans les dernières années, les trentenaires connaissent des taux de détention très semblables d’une date à l’autre. L’analyse de la distribution du taux de détention par âge chez les femmes montre des effets contrastés. D’une part, les jeunes femmes ont connu une très forte croissance de l’obtention du permis aux plus jeunes âges (alors que 16 % des jeunes femmes obtenaient leur permis avant 20 ans en 1981, elles étaient 47 % dans ce cas en 2008). D’autre part, comme chez les jeunes hommes âgés de 20 à 29 ans, les taux de détention sont très similaires depuis 1981 pour cette tranche d’âge. Dresser le constat d’une moindre obtention du permis de conduire apparaît, dans ce contexte, pour le moins audacieux : pour les hommes, la baisse, très ténue, dissimule un rattrapage à la trentaine, tandis que les femmes poursuivent leur accès à la conduite automobile.

Figure 2a. Taux de détention du permis de conduire selon la classe d’âge chez les hommes en 1973, 1981, 1993 et 2008
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Sources : Enquête sur les transports 1973‑1974, Enquête sur les transports 1981‑1982, Enquête transports et communications 1993‑1994, Enquête nationale transports et déplacements 2007‑2008.
Champ : hommes de 18 ans et plus.
Lecture : en 1973, sur 100 hommes âgés de 18 à 20 ans, 22 ont le permis de conduire.

Figure 2b. Taux de détention du permis de conduire selon la classe d’âge chez les femmes en 1973, 1981, 1993 et 2008
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Sources : Enquête sur les transports 1973‑1974, Enquête sur les transports 1981‑1982, Enquête transports et communications 1993‑1994, Enquête nationale transports et déplacements 2007‑2008.
Champ : femmes de 18 ans et plus.
Lecture : en 1973, sur 100 femmes âgés de 18 à 20 ans, 16 ont le permis de conduire.

La densité du lieu de résidence, déterminant classique du taux de détention du permis de conduire qui décroît en fonction de la taille des agglomérations (Roux 2012), a connu des évolutions notables, particulièrement pour les classes d’âge les plus jeunes. Si les jeunes gens ont de moins en moins souvent le permis dans les zones les plus denses, les jeunes ruraux continuent a contrario à avoir des taux de détention élevés. En 1973, dans les zones rurales, 31 % des 18‑20 ans obtenaient leur permis. C’était le cas de 65 % d’entre eux en 2008. À la même date, pour les 21‑25 ans, ce taux atteignait même 90 %. Toutefois, pour les zones les plus denses, les taux de détention sont bien plus bas. Ainsi, si 48 % des 21‑25 ans avaient obtenu leur permis en région parisienne en 1973, ce taux atteignait 63 % en 2008. Cette évolution contrastée selon le lieu de résidence s’explique par les aménités en transports en commun offertes par la région parisienne, mais elle se comprend également comme le fruit de la contrainte, dans une zone où le permis de conduire est comparativement plus onéreux. En outre, un effet de structure est à mettre en lumière : davantage que les ruraux, les Franciliens sont souvent des étudiants, qui, à la différence des jeunes actifs des campagnes, ne sont pas contraints à prendre le volant chaque jour. Ce facteur retarde pour certains l’accès au permis de conduire, lorsque les ressources parentales n’ont pas soutenu son obtention rapide (Guillot et al. 2012).

Au cours des 40 dernières années, on a pu observer une massification de la détention du permis de conduire, particulièrement soutenue pour les jeunes femmes. On s’aperçoit toutefois d’un décalage de l’âge d’accès au permis pour les jeunes vivant dans les zones les plus denses.

Le poids des contraintes économiques


Si l’obtention du permis de conduire semble fortement influencée par le contexte familial (Masclet 2002 ; Guillot et al. 2012), il est possible que les jeunes gens soient plus réticents à s’équiper, une fois autonomes, d’un véhicule. Les évolutions du taux de motorisation par âge sont indiquées dans la figure 3, qui présente le taux de motorisation selon l’âge de la personne de référence du ménage. Le graphique montre clairement que pour les classes les plus jeunes (de 18 à 35 ans), les taux de motorisation stagnent, bien que pour les plus de 25 ans ils atteignent des niveaux assez élevés depuis les années 1980. Les autres classes d’âge, en particulier les seniors, ont connu une forte hausse de la motorisation. Un autre indicateur que le seul taux de motorisation est toutefois nécessaire pour mieux comprendre de telles dynamiques : en effet, au sein d’un ménage motorisé, si deux de ses membres ont le permis, mais qu’un seul dispose d’un véhicule, l’accès au volant est bien différencié. On a dès lors défini l’accès au volant comme le fait d’être conducteur principal d’un véhicule, pour mieux comprendre l’accès à l’automobile individuelle (Demoli 2015b). La distribution de cet indicateur par classe d’âge montre bien une tendance à la diminution de l’accès au volant pour les plus jeunes classes d’âge. Parmi l’ensemble des titulaires du permis âgés de moins de 20 ans, 17 % avaient accès en 2008 à une voiture dont ils étaient le conducteur principal. Ce taux était de 41 % pour les 21‑25 ans, contre plus de 61 % pour les plus de 35 ans.

Figure 3. Taux de motorisation selon l’âge de la personne de référence du ménage en 1973, 1981, 1993 et 2008
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Sources : Enquête sur les transports 1973‑1974, Enquête sur les transports 1981‑1982, Enquête transports et communications 1993‑1994, Enquête nationale transports et déplacements 2007‑2008.
Champ : ensemble des ménages.
Lecture : en 1973, sur 100 ménages dont la personne de référence a entre 18 et 20 ans, 21 possèdent au moins une voiture.

Faut-il rappeler que les jeunes sont fortement contraints dans leur équipement automobile et leurs usages de la voiture, tant d’un point de vue du cycle de vie que du point de vue générationnel ? D’un point de vue du cycle de vie, il est évident que les jeunes classes d’âge doivent avant tout se former au permis, qui a un coût non négligeable – même s’il est, pour certains, pris en charge par la parentèle élargie (Masclet 2002). La jeunesse a également besoin de se former, de s’équiper quand elle s’installe dans un logement indépendant (Herpin et Michel 2012), tandis qu’elle paie un lourd tribut au renchérissement des logements (Bugeja 2010). L’accès à la voiture étant souvent conditionné par le revenu, l’allongement de la durée de transition vers la vie active retarde l’accès au volant. Une autre variable déterminante se dissimule donc derrière la causalité qui relie un ensemble de valeurs à l’abandon de la voiture : l’accès à l’emploi. Ces fortes contraintes invitent à nuancer les effets d’éventuelles valeurs « post-matérialistes » qui décourageraient la prise de volant. Dans un ordre d’idées proche, ce n’est pas parce que les jeunes sont moins souvent propriétaires que leur attachement à la propriété du logement est moindre, mais parce qu’ils n’en ont pas les moyens (Chauvel 1998) !

À cet accès (relativement) moindre à la possession d’une voiture pour les plus jeunes classes d’âge s’ajoute le fait qu’il est moins fréquent pour eux que pour leurs aînés de se doter d’un équipement neuf. En 1981, l’âge moyen d’un acquéreur de véhicule neuf était de 41,7 ans contre 44,7 ans en 1993 et presque 50 ans en 2008. La faible part des véhicules neufs dans l’équipement des plus jeunes s’explique en raison du poids des contraintes – et non comme une désaffection de l’achat de première main. Le prix du véhicule neuf le plus vendu en termes de salaire moyen depuis les années 1970 montre un renchérissement notable : 7,5 salaires moyens en 1975 contre plus de 11 en 2005 (Jullien et Pardi 2013). Plus largement, le poids budgétaire de l’automobile est particulièrement prégnant (Demoli 2015b), alors même que l’entrée dans la vie active demande des investissements lourds, notamment en termes de formation.

Aimer conduire : les attitudes à l’égard de l’automobile


Les jeunes font-ils preuve d’un moindre engouement que leurs aînés pour l’automobile ? Si les enquêtes nationales transports sont chiches en information concernant les attitudes et les représentations liées aux différents modes de transport (hormis une variable sur l’appréciation de la conduite), l’enquête ménages déplacements réalisée en Loire-Atlantique en 2015 peut nous informer sur les valeurs attachées à l’automobile par classe d’âge.

Il est en effet possible que les jeunes gens, loin d’avoir un goût pour la conduite, y soient poussés par des contraintes géographiques et temporelles. Pour répondre à cet enjeu, nous disposons, dans l’enquête nationale transports et déplacements de 2008, des réponses des enquêtés à la question suivante : « Aimez-vous conduire une voiture ? » Les options possibles étaient « Oui », « Non » ou « Ni oui ni non ». La distribution par âge du goût pour la conduite apparaît assez surprenante et ne corrobore absolument pas l’hypothèse d’une désaffection des jeunes gens à cet égard. Si, en population générale, 76 % des titulaires du permis B affirmaient aimer conduire, ils étaient 91 % entre 18 et 20 ans et 86 % entre 21 et 25 ans, contre 73 % et 72 % pour les 45‑60 ans et les plus de 60 ans. Autrement dit, tandis que la baisse de la détention du permis reste très ténue pour les plus jeunes, les détenteurs du papier rose issus des mêmes classes d’âge disent apprécier, plus que leurs aînés, la conduite.

Figure 4. Fréquence d’individus d’accord avec différentes affirmations selon la classe d’âge en 2015
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Source : Enquête ménages et déplacements Nantes/Loire-Atlantique 2015.
Champ : individus de 18 ans et plus.
Lecture : sur 100 personnes âgées de 18 à 20 ans, 57 sont d’accord avec l’affirmation « Il faut continuer à construire des parkings ».

Pour l’enquête Nantes/Loire-Atlantique, une personne a été sélectionnée aléatoirement au sein de chaque ménage pour répondre à des questions relatives aux attitudes à l’égard des modes de transports. La figure 4 donne les pourcentages d’individus qui se sentent d’accord, successivement, avec la série d’affirmations suivantes : « Il faut continuer à construire des parkings » ; « Le vélo, c’est l’avenir » ; « Limiter la voiture gêne l’activité économique » ; « Il faut continuer à développer des transports en commun » ; « Il faut réprimer plus sévèrement le stationnement interdit ». De façon notable, la plupart de ces affirmations trouvent un écho favorable, quelle que soit la classe d’âge interrogée. En particulier, le besoin du parking et – paradoxalement – le développement des transports en commun (TC) recueillent une large majorité d’avis favorables. Si le vélo est moins plébiscité à mesure que l’âge croît, son usage reste très favorablement accueilli. Deux affirmations connaissent une distribution des réponses selon un gradient opposé de l’âge : les plus âgés tendent à souscrire aux énoncés les plus répressifs, et sont plus enclins à voir dans la limitation de la circulation routière une gêne au développement économique. Qu’en conclure ? Si la majorité des individus interrogés restent favorables à l’usage de l’automobile, ils sont en même temps sensibles au développement des altermobilités, toutes classes d’âge confondues.

Figure 5. Fréquence de qualification de la voiture par différents adjectifs mélioratifs

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Source : Enquête ménages et déplacements Nantes/Loire-Atlantique 2015.
Champ : individus de 18 ans et plus.
Lecture : sur 100 personnes âgées de 18 à 20 ans, 33 jugent la voiture rapide.

Figure 6. Fréquence de qualification de la voiture par différents adjectifs dépréciatifs
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Source : Enquête ménages et déplacements Nantes/Loire-Atlantique 2015.
Champ : individus de 18 ans et plus.
Lecture : sur 100 personnes âgées de 18 à 20 ans, 43 jugent la voiture polluante.

Ces représentations peuvent être explorées plus avant. On a demandé aux individus d’associer trois adjectifs à différents modes de transports (voiture, vélo et transports en commun) parmi une liste préétablie. Les figures 5 et 6 indiquent respectivement la fréquence d’apparition de termes mélioratifs et dépréciatifs pour les classes d’âge définies plus haut. Sans aucun doute, la voiture apparaît, quelle que soit la classe d’âge interrogée, comme un mode de transport avant tout pratique et rapide. Ainsi, 58 % des 21‑25 ans et 57 % des plus de 60 ans qualifient la voiture de « pratique ». Les classes d’âge divergent quant à leur appréciation de l’automobile comme « vitale » : c’est le cas de 10 % des 18‑20 ans contre 29 % des plus de 60 ans. Toutefois, l’autonomie permise par l’automobile est citée par l’ensemble des personnes interrogées – même si les plus âgés en font plus souvent état. A contrario, il est surprenant de constater que les enquêtés sont peu nombreux à déprécier l’usage de la voiture. La qualification de la voiture comme « dangereuse », « contraignante » et « stressante » reste très minoritaire. Seule la dimension polluante de la voiture est souvent citée, et ce d’autant plus que les enquêtés sont jeunes. Autrement dit, l’automobile n’est pas dépréciée par les plus jeunes ; plus vraisemblablement, les coûts externes de l’automobile sont bien intégrés par l’ensemble des classes d’âge (avec une sensibilité plus importante concernant la pollution pour les plus jeunes), mais coexistent avec des représentations positives de l’automobile, tandis qu’une part non négligeable et plus âgée des personnes interrogées la tiennent pour un engin vital et menant sur la route de l’autonomie.

Une jeunesse sur le bord de la route ?


Depuis les années 1970, la diffusion de l’automobile se poursuit de façon massive auprès des femmes, comme chez les plus jeunes. Le permis de conduire reste tout à fait banalisé parmi les jeunes classes d’âge (davantage que le baccalauréat, détenu par 60 % des jeunes gens en 2008), malgré des reports du passage de l’examen d’obtention pour une fraction de la jeunesse estudiantine et citadine.

Si les taux de possession d’un véhicule restent faibles par rapport aux autres classes d’âge, c’est plutôt la conséquence d’un report de la pleine entrée dans l’âge adulte que d’une désaffection. Si les plus jeunes sont surreprésentés dans les altermobilités, c’est moins qu’ils se détournent de l’automobile qu’un effet des nombreuses contraintes économiques qu’ils subissent. En effet, la conduite automobile reste particulièrement appréciée et valorisée par les plus jeunes – davantage que par leurs aînés. Autrement dit, il semble bien exister un effet de génération dans le rapport à la voiture des plus jeunes : il est vrai que les jeunes gens d’aujourd’hui ont des pratiques liées à l’automobile différentes de celles de leurs aînés. Mais l’interprétation de ce phénomène en termes de désaffection pour l’automobile apparaît, si ce n’est abusive, au moins rapide. Si la jeunesse retarde l’accès au permis et l’achat d’une voiture, ce n’est pas que le besoin ou l’envie d’automobile aient disparu, mais simplement qu’elle attend sur le bord de la route des conditions plus favorables.

Bibliographie

  • Bugeja, F. 2010. Contrainte budgétaire du logement, stratification sociale et mode de consommation. Étude comparative France et Royaume-Uni (1980‑2005), thèse de doctorat en sociologie, Institut d’études politiques de Paris.
  • Chauvel, L. 1998. Le Destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle, Paris : Presses universitaires de France.
  • Demoli, Y. 2015a. Automobile et stratification sociale. Diffusion, caractéristiques et coûts de l’équipement automobile en France depuis les années 1980, thèse de doctorat en sociologie, Institut d’études politiques de Paris.
  • Demoli, Y. 2015b. « The Social Stratification of the Costs of Motoring in France (1984–2006) », International Journal of Automotive Technology and Management, vol. 15, n° 3, p. 311‑328.
  • Duru-Bellat, M. 2006. L’Inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Paris : Seuil.
  • Guillot, M., Robineau, D. et Rieg, M. 2012. Les Déterminants sociaux du permis de conduire. Permanences et mutations, mémoire de statistique appliquée sous la direction de Yoann Demoli, École nationale de la statistique et de l’administration économique.
  • Herpin, N. et Mansuy, M. 1995. « Le rôle du service national dans l’insertion des jeunes », Économie et Statistique, vol. 283‑284, p. 81‑95.
  • Herpin, N. et Michel, C. 2012. « Avec le passage à la retraite, le ménage restructure ses dépenses de consommation », France, portrait social, Paris : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), p. 121‑136.
  • Jullien, B. et Pardi, T. 2013. « In the Name of the Consumer : The Social Construction of Innovation in the European Automobile Industry and its Political Consequences », European Review of Industrial Economics and Policy, n° 3.
  • Masclet, O. 2002. « Passer le permis de conduire : la fin de l’adolescence », Agora Débats/Jeunesse, vol. 26, n° 2, p. 46‑58.
  • Roux, S. 2012. « La diffusion du permis de conduire en France », Recherche transports sécurité, vol. 28, n° 110‑111, p. 154‑166.
  • Van de Velde, C. 2008. Devenir adulte. Sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Paris : Presses universitaires de France.

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Pour citer cet article :

Yoann Demoli, « Les jeunes et la voiture, un désir contrarié ? », Métropolitiques, 9 octobre 2017. URL : https://metropolitiques.eu/Les-jeunes-et-la-voiture-un-desir-contrarie.html

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