Dossier : Les nouvelles politiques du logement
Le contrôle – ou, plus exactement, l’encadrement – des loyers est à la mode [1], comme solution aux maux des loyers trop chers. Il faut préciser d’emblée que ces notions ne sont pas exactement les mêmes. Celle de contrôle est très large et porte sur l’ensemble des prix de location. Il y a toutefois de grandes différences entre un blocage pur et simple et des augmentations contrôlées. Par encadrement, on désigne plutôt des règles relatives aux loyers de relocation. Ces nuances ne sont pas sans importance, car l’abondante littérature sur le lien entre contrôle des loyers et investissement insiste sur le fait que l’état du droit locatif (rapport bailleurs-locataires) et les spécificités du contrôle mis en place ont une grande importance sur les effets de ces politiques.
Les débats généraux sur une politique de contrôle des loyers n’ont donc aucun sens s’ils n’analysent pas les dispositions particulières du mécanisme discuté. C’est ce qu’évoque notamment l’article de Blair Jenkins (2009) qui distingue deux types de contrôle des loyers :
- le premier concerne les seuls baux en cours : il a des effets néfastes, car il provoque une baisse de la mobilité professionnelle (Arnott 1997) et parce qu’il donne plus de pouvoirs aux locataires qu’aux propriétaires dans la fixation des prix (Knight 1950) ;
- le second intègre, en plus des baux en cours, les baux à la relocation (Lind 2001) et il est encore difficile d’en mesurer l’effet (Arnott 1995).
Des études unanimes sur les effets néfastes de l’encadrement des loyers
Il reste que, loin de répondre au souci de faciliter l’accès au logement des plus démunis, ces politiques créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Les effets pervers de la réglementation des loyers ont fait l’objet de nombreuses analyses.
Au plan économique, la principale critique porte sur la chute des rendements locatifs qu’elle provoque. Une étude aux États-Unis (Block 2008) montrait que 29 % des logements étaient détériorés dans les villes ou États qui appliquaient le contrôle des loyers, contre 8 % dans ceux qui ne le pratiquaient pas. À New York, Tucker estime que, du fait du contrôle des loyers, 30 000 logements par an ont été abandonnés de 1972 à 1982 (Block 2008) : les investisseurs potentiels ont en effet eu peur que le contrôle des loyers ne devienne trop exigeant et se sont donc retirés du marché.
De nombreux travaux (Rydell et al. 1981 ; Anon. 1987 ; Lett 1976) ont également établi que l’encadrement des loyers conduisait à une perte inévitable de qualité du fait d’un sous-entretien [2]. En France, la chute du rendement net, après charges, serait la principale cause du sous-investissement dans les biens immeubles et de la chute de la construction pendant la période de l’entre-deux-guerres. Louis Henry (1950), en 1949, estimait le retard accumulé à 3,9 millions de logements neufs et les besoins de renouvellement à 3,5 millions.
Encadrement des loyers et rentabilité immobilière
L’article de Loïc Bonneval récemment publié dans Métropolitiques s’efforce pourtant de relativiser les critiques largement développées contre cette politique. L’intérêt de l’article réside dans l’exposé des résultats du suivi longitudinal de la gestion d’un échantillon de soixante-quatre immeubles lyonnais pendant plus de cinquante ans.
À partir de l’exemple historique de Lyon, le point central de la thèse est que le contrôle des loyers n’a pas empêché, par le passé, la rentabilité de l’investissement locatif. L’enquête « ne confirm[e] pas cette théorie de la chute du rendement immobilier. On observe au contraire que les rendements nets sont restés élevés, car les prix des immeubles se sont ajustés à ceux des loyers ». Ces résultats confirment, selon l’auteur, l’assez bonne résistance du placement immobilier sur longue période, contrairement à l’idée répandue d’un effondrement de la rentabilité immobilière sous les effets du contrôle des loyers. Il en déduit la nécessité de relativiser l’impact du contrôle des loyers sur le sous-investissement, sans autre précision sur la nature du lien à faire entre les deux variables rentabilité-investissement. Il relativise néanmoins son propos en se référant au contexte historique. Une telle position nous paraît pour le moins surprenante.
On notera, en premier lieu, que tirer des conclusions d’un cas particulier est toujours aléatoire. En effet, le cas lyonnais dans l’entre-deux guerres peut ne pas être représentatif de ce qui s’est passé à l’échelle nationale ni valoir pour d’autres périodes. L’auteur prend d’ailleurs la précaution d’indiquer que le résultat vaut pour une période historique déterminée (entre-deux-guerres).
Nous avons tenté l’exercice en utilisant les données extraites des travaux de Pierre Villa, qui a reconstitué des séries de prix de logements et de loyers depuis respectivement 1890 et 1896 et jusqu’à 1939. Il y a des différences importantes avec le travail de Loïc Bonneval : d’abord, la période n’est pas la même puisque nos données n’incluent pas la guerre ni la reconstruction (1939-1948). Ensuite, il s’agit de données macroéconomiques : les moyennes des prix des logements et des loyers.
Que nous apportent ces données ? Sur la période 1896-1914, les prix des logements et des loyers auraient augmenté grosso modo du même ordre de grandeur (respectivement + 19,0 % et + 11,2 %). Sur la période 1914-1939 [3] (pendant laquelle les loyers furent fortement encadrés), en revanche, les prix des logements auraient progressé largement plus rapidement que les loyers (respectivement + 885,6 % et + 326,2 %). En calant le taux de rendement brut (prix/loyer) sur une hypothèse de 7 % [4] en 1896 et en appliquant les variations de prix et de loyers exposées précédemment, le taux de rendement brut s’établirait, en moyenne, à 6,8 % sur la période 1896-1914, soit un niveau très proche de celui donné par M. Bonneval (7,0 %).
Les histoires divergent par contre radicalement après la Première Guerre mondiale : les séries de Pierre Villa font apparaître un taux brut de 4,7 % sur la période 1914-1939, bien loin de celui observé dans le cas lyonnais sur la période 1914-1948 (6,5 %). Certes, la période de comparaison n’est pas tout à fait la même puisque les séries utilisées pour Lyon courent jusqu’en 1948. Elles incluent donc l’effondrement des prix et la crise du logement de l’après-guerre qui a vu la rentabilité du logement se dégrader encore plus. Cela laisse penser qu’en 1948 le taux brut serait bien inférieur à 4,7 % si la série de Pierre Villa allait jusque là. Il semblerait donc, au vu des données de Pierre Villa, que la rentabilité ait bien diminué pendant la période de contrôle des loyers, contrairement à ce qu’observe Loïc Bonneval à Lyon.
Encadrement des loyers, investissement immobilier et entretien des immeubles
En second lieu, il est important de revenir sur le lien entre le calcul des rendements (pour lequel il convient de rester prudent, du fait de la fragilité des données de loyer sur longue période) et la décision d’investissement. Il y a pour le moins un chaînon manquant qui n’est pas explicité par l’auteur. Du coup, au lieu de répondre à la question : « le contrôle des loyers empêche-t-il l’investissement dans l’immobilier ? », il répond plutôt à celle-ci : « le contrôle des loyers a-t-il dégradé la rentabilité apparente du placement immobilier ? ».
Le maintien des rendements donnés par l’auteur s’est certainement fait au prix d’un sous-entretien massif et chronique. Les propriétaires, en n’entretenant pas leurs biens, ont d’une certaine façon vécu sur la bête. Une durée de vie de 50 ans correspond à un amortissement linéaire de 2 % par an, soit à peu près le tiers de la rentabilité nette sur la période 1915-1948, calculée par l’auteur. La longue vie des immeubles, leur immobilité, permet, pour un bien donné, un sous-investissement chronique. L’état du parc locatif en 1948 en France, tous les auteurs l’attestent, était catastrophique (Clanché et Fribourg 1998). Cela doit être nuancé, comme l’affirment Kutty (1996) et Olsen (1988), parce que le recul de l’investissement pour le bailleur peut être compensé par l’auto-entretien du locataire (Moon et Stotsky 1993). On trouve toutefois que tous les contrôles de loyers, incluant les baux à la relocation, ont pour effet de réduire l’entretien (Albon et Stafford 1990 ; Glaeser 2002 ; Navarro 1985 ; Ho 1992 ; Turner et Malpezzi 2003 ; Ault et Saba 1990).
Au final, s’il y a débat sur l’importance et le volume de désengagement, toutes les études montrent bien l’existence d’une relation sans ambiguïtés. On ne peut alors que s’étonner de l’écart qu’il y a entre le jugement des économistes sur les effets négatifs du contrôle des loyers et le déni de ces analyses par une très large fraction des politiques. Cela est problématique, y compris si les propositions ne vont pas à leur terme : la littérature anglo-saxonne met l’accent sur le fait que les investisseurs se trouvent souvent piégés par les promesses de l’autorité qui instaure le contrôle. Ainsi, à New York, l’État est revenu trois fois sur sa promesse de ne pas appliquer le contrôle aux logements neufs ou reloués après vacance (Ho 1992). À l’occasion, fut créé le terme de « recapture » pour caractériser ce non respect des engagements et l’extension du contrôle des loyers à des logements explicitement exclus du champ pendant une certaine période. Comment, dans ces conditions, croire que ces paroles (sans même parler des actes) restent sans répercussions ? C’est cela qui est en jeu en France lorsque l’on évoque l’idée de soumettre les loyers de relocation aux mêmes règles que les baux en cours, voire de faire de même avec ceux des logements neufs !
Pour poursuivre le débat sur le contrôle des loyers, voir aussi :
- « Le contrôle des loyers empêche-t-il l’investissement dans l’immobilier ? », Loïc Bonneval, 12 octobre 2011
- « Encadrer les loyers pour réguler le marché locatif », Christian Nicol, 20 janvier 2012
- « Le modèle allemand de régulation des loyers est-il transposable en France ? », Bernard Vorms, 2 avril 2012
- « Régulation des loyers : y a-t-il une recette miracle ? », Jean Bosvieux, 25 mai 2012
- « Comment New York « stabilise » les loyers privés », Jean-Pierre Schaefer, 4 juin 2012
- « Stratégies patrimoniales et contrôle des loyers. Une approche historique », Ingrid Nappi‑Choulet, 11 octobre 2013
- « Le locatif privé à New York. Entre économie de marché et régulation municipale », Jean-Pierre Schaefer, 28 octobre 2013
Bibliographie
- Anon. 1987. New York City Housing and Vacancy Survey – Series IA.
- Albon, R. P. et Stafford, D. C. 1990. « Rent control and housing maintenance », Urban Studies, vol. 27, n° 3, p. 233-240.
- Arnott, R. 1995. « Time for Revisionism on Rent Control ? », The Journal of Economic Perspectives, vol. 9, n° 1, p. 99-120.
- Arnott, R. 1997. « Rent Control », Boston College Working Papers in Economics, n° 391.
- Ault, R. et Saba R. 1990. « The economic effects of long-term rent control : the case of New York », Journal of Real Estate Finance and Economics, vol. 3, n° 1, p. 25-41.
- Block, W. 2008. « Rent Control », The Concise Encyclopedia of Economics, Library of Economics and Liberty. Consulté le 12 décembre 2011.
- Clanché, F. et Fribourg, A.-M. 1998. « Grandes évolutions du parc et des ménages depuis 1950 », in Segaud, M., Bonvalet, C. et Brun, J. (dir.), Logement et habitat : l’état des savoirs, Paris : La Découverte.
- Glaeser, E.L. 2002. « Does Rent Control Reduce Segregation ? », Harvard Institute of Economic Research discussion paper, n° 1985.
- Henry, L. 1950. « Perspectives relatives aux besoins en logement », Population, n° 3, cité par Bosvieux, J. 1998. « Besoins et demande de logements », in Segaud, M., Bonvalet, C. et Brun J. (dir.), Logement et habitat : l’état des savoirs, Paris : La Découverte.
- Ho, L. S. 1992. « Rent Control : Its Rationale and Effects », Urban Studies, vol. 29, n° 7, p. 1183-1190.
- Jenkins, B. 2009. « Rent Control : Do Economists Agree ? », Econ Journal Watch, vol. 6, n° 1, janvier, p. 73-112.
- Knight, F.H. 1950. « The Role of Principles in Economics and Politics », American Economic Review, vol. 41, n° 1, p. 1-29.
- Kutty, N. K. 1996. « The impact of rent control on housing maintenance : a dynamic analysis incorporating European and North America rent regulation », Housing Studies, vol. 11, n° 1, p. 69-89.
- Lett, M. 1976. Rent Control : Concepts, Realities and Mechanisms, Center for Urban Policy Research, Piscataway : Rutgers University.
- Lind, H. 2001. « Rent Regulation : A Conceptual and Comparative Analysis », European Journal of Housing Policy, vol. 1, n° 1, p. 41-57.
- Moon, C.-G. et Stotsky, J. G. 1993. « The Effect of Rent Control on Housing Quality Change : A Longitudinal Analysis », The Journal of Political Economy, vol. 101, n° 6, p. 1114-1148.
- Navarro, P. 1985. « Rent Control in Cambridge, Massachusetts », Public Interest, vol. 78, n° 4, p. 83-100.
- Olsen, E. O. 1988. « What do economists know about the effect of rent control on housing maintenance ? », Journal of Real Estate Finance and Economics, vol. 1, n° 3, p. 295-307.
- Rydell, C. P. et al. 1981. The Impact of Rent Control on the Los Angeles Housing Market, Report N-1747-LA, Santa Monica : The Rand Corporation et United States Bureau of the Census, Housing Division.
- Turner, B. et Malpezzi, S. 2003. « A Review of Empirical Evidence on the Costs and Benefits of Rent Control », Swedish Economic Policy Review, vol. 10, n° 1, p. 11-56.