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À Nantes, un ensemble immobilier conçu par son promoteur comme une « résidence participative », avec de nombreux espaces partagés (toit-terrasse, salles communes...) © S. Dinh, 2022.
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Le(s) marché(s) de la promotion résidentielle participative

Les démarches dites « participatives » cherchant à intégrer les habitant·es à la production et à la gestion immobilière se multiplient chez les promoteurs. Sonia Dinh montre comment, via une participation plus ou moins ambitieuse, la valeur d’usage du logement est intégrée aux processus de production et de vente immobilières.


Dossier : Logement : extensions et restrictions du marché

Professionnels centraux de la production résidentielle, les promoteurs immobiliers construisent et vendent des produits-logements sur plan. Des travaux récents documentent leurs logiques d’extension marchande à travers le développement d’activités annexes – aménagement (Citron 2016), gestion (Peynichou 2020), ou encore de nouveaux produits – logements sociaux en VEFA HLM (Hincker Jourdheuil 2019) ou résidences services (Neagu 2020 ; Trouillard 2014). Alors que l’impératif participatif est une des injonctions contemporaines de la production urbaine et résidentielle (Bacqué et Carriou 2012 ; Demoulin 2016), certains promoteurs développent des projets résidentiels dits « participatifs », qui intègrent les futurs habitant·es au processus de production et à la gestion de l’opération immobilière, selon des modalités variées. Dans cet article, je montre que ces projets constituent de nouvelles niches de marché pour les promoteurs et participent à une extension de la marchandisation autour de la valeur d’usage du logement et de l’immeuble. Démarche de personnalisation du logement, missions d’accompagnement de la conception et de la gestion des espaces communs résidentiels ou encore missions d’animation et activation des relations de voisinage : ce sont autant de prestations de services, financées par les promoteurs et réalisées par une ingénierie professionnelle, qui matérialisent une marchandisation autour de la valeur d’usage du logement.

Cet article s’appuie sur l’analyse d’offres immobilières dites « participatives », développées récemment à Nantes et à La Rochelle, en grande partie dans des contextes de secteur d’aménagement public. Dans ces deux villes politiquement ancrées à gauche depuis plusieurs décennies, la participation citoyenne et habitante occupe une place importante dans les politiques publiques locales, y compris au service de stratégies de marketing urbain, reconnues par une multiplicité de labellisations nationales (Béal 2017 ; Mazeaud 2022). Les commandes publiques élaborées par les collectivités et les aménageurs traduisent cet impératif participatif à l’échelle du projet immobilier et contribuent à la qualification d’offres immobilières distinctives (Coulondre 2017).

À partir d’entretiens auprès de promoteurs concernés aux profils variés [1], il s’agit de décrire ces produits immobiliers « participatifs » et de comprendre les stratégies et pratiques professionnelles à l’œuvre. Les entretiens sont complétés par une analyse d’éléments communicationnels (sites internet professionnels, littérature grise) et les brochures de vente des programmes.

Des offres immobilières « participatives » d’abord au service d’une logique de distinction vis-à-vis de l’action publique locale et de futurs acquéreurs

Pour tous les promoteurs étudiés, le développement d’offres immobilières participatives répond d’abord aux commandes publiques à Nantes et à La Rochelle. En effet, une majorité des projets immobiliers décrits sont localisés au sein de projets d’aménagement, encadrés par l’action publique locale. Dans des villes marquées par une hausse des prix immobiliers, une forte croissance démographique et une politique de singularisation du développement urbain, les rapports action publique locale et promoteurs sont étroits (Pollard 2018) : les stratégies de distinction des promoteurs immobiliers sont élaborées en miroir de cette forte régulation politique. Dans le cadre de réponses à appels d’offres publics, les dispositifs participatifs en particulier sont des signaux visibles, où l’objectif est de valoriser l’image de l’entreprise de promotion et de se distinguer pour accéder aux emprises foncières vendues.

Développer ce type de programmes permet aux entreprises de promotion étudiées de répondre aux attentes des élus locaux en matière de peuplement – attirer des propriétaires occupants et des familles dans ces quartiers centraux et ainsi, de diversifier leurs cibles de clientèle. Entre standing et catégories intermédiaires accédant à la propriété, les promoteurs visent des ménages intéressés par la dimension participative, mais réticents à une implication prolongée et incertaine dans un projet d’habitat participatif. Les promoteurs cherchent à les rassurer en mettant en exergue une conduite maîtrisée et professionnelle du projet – notamment en termes de calendrier. Produire du logement collectif neuf autrement est un discours récurrent, à rebours des critiques de standardisation et de piètre qualité du logement de la promotion.

Ces projets immobiliers participatifs sont donc produits au gré des opportunités politiques locales, mais aussi des pistes stratégiques de développement pour les entreprises de promotion, dans une logique de distinction auprès des décideurs publics et des potentiels acquéreurs.

Quand certains promoteurs se saisissent de l’habitat participatif comme démarche alternative de production du logement

Parmi les offres dites participatives déployées, plusieurs configurations se dégagent. À Nantes et à La Rochelle, de petits promoteurs locaux développent des programmes qu’ils qualifient explicitement de projets « d’habitat participatif ». Défini dans la littérature académique comme une « démarche citoyenne qui permet à un groupe d’habitants de s’associer en vue de produire du logement et des espaces mutualisés », et ce dans la production (montage, programmation, conception et construction) puis la gestion de l’immeuble (Biau et D’Orazio 2022), l’habitat participatif connaît une institutionnalisation progressive (Devaux 2015), comme le montre l’émergence de projets portés par des collectivités ou des bailleurs sociaux (Carriou 2014 ; Servain 2020) et plus récemment par des promoteurs privés (Biau et D’Orazio 2022 ; D’Orazio 2017) – ne relevant donc pas d’une initiative habitante. Les promoteurs étudiés mobilisent dans les supports de communication une rhétorique similaire à celle de projets habitants. « Habiter autrement, former les futurs habitants à la gouvernance de leur futur lieu de vie » figurent ainsi parmi les ambitions d’un projet à La Rochelle, à l’initiative d’un groupement composé d’une coopérative spécialisée dans l’accession sociale à la propriété, d’un promoteur coopératif d’envergure régionale et d’un bailleur local [2]. Outre la communication déployée, les promoteurs revendiquant des produits « d’habitat participatif » mettent en place une méthode de conception et d’association des futurs habitants et proposent des espaces communs résidentiels, directement inspirés de l’habitat participatif. Pour cela, ils déploient des démarches dites « participatives » dès l’amont et tout au long du projet immobilier : constitution d’un groupe à partir d’un appel à manifestation d’intérêt ; réunions de rencontre et de présentation du projet ; ateliers de travail afin d’élaborer collectivement une charte des valeurs puis de programmer les futurs espaces partagés [3] ; co-conception des plans de chaque logement privé ; définition du fonctionnement et de la gouvernance de la résidence.

Les promoteurs impliqués se caractérisent par leur taille réduite en termes de logements produits annuellement et de nombre de salariés et par un territoire d’intervention limité à l’échelle urbaine ou régionale [4]. Certains micro-promoteurs se spécialisent dans ce type de projets et défendent un modèle alternatif de production résidentielle. D’autres y consacrent une part seulement de leur production, dans une logique de diversification des produits et des clientèles visées. Ainsi, pour des entreprises de promotion spécialisées dans l’accession sociale à la propriété, ce modèle de logement collectif rejoindrait leurs « valeurs [5] » et permet de qualifier les produits en collectif et situés dans les centres urbains, par rapport au reste de leur offre immobilière dédiée aux maisons individuelles. Enfin, un des promoteurs étudiés n’a produit qu’un projet dit « d’habitat participatif », dans une visée d’expérimentation, au même titre que la construction en bois ou l’intégration de panneaux solaires dans ses programmes.

Ces projets immobiliers nécessitent systématiquement un accompagnement professionnel. Des intermédiaires qualifiés « d’assistants à maîtrise d’usage » (AMU) sont financés par le promoteur pour suivre le projet pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Dans le cas du projet rochelais d’habitat participatif mentionné précédemment, deux accompagnatrices sont responsables de la constitution du « groupe noyau », de l’élaboration de d’une charte collective, mais aussi du suivi de la « co-conception » des logements avec les ménages intéressés via la tenue de nombreux ateliers. Financées par le groupement de promoteurs, elles sont une interface entre les commanditaires et les futurs habitants.

Quand des promoteurs (re)composent des dispositifs de l’habitat participatif « à la carte »

Pour d’autres promoteurs, seuls certains espaces et méthodes caractéristiques de l’habitat participatif sont intégrés aux produits résidentiels proposés. Ces entreprises de promotion sont de plus grande taille et interviennent à l’échelle régionale ou nationale [6]. Elles ne généralisent pas le recours à des techniques participatives mais élaborent des offres ponctuelles, étroitement dépendantes des conditions de production. Les offres participatives qui en résultent combinent des procédés variés, spatiaux et méthodologiques, dont la présence et le degré d’ambition évoluent selon les moyens financiers alloués par le promoteur. Un programme immobilier à Nantes, développé par un grand promoteur national, comprend par exemple plusieurs espaces partagés – buanderie, chambres d’amis et atelier de bricolage, sans que la programmation n’ait été pensée avec les futurs habitants. Dans le cas d’un projet rochelais d’un autre grand promoteur national, c’est la co-conception des plans de logement individuel qui est mise en avant, ce qui permet de valoriser un produit logement personnalisé auprès de l’acquéreur et d’optimiser au mieux l’offre immobilière à la demande pour le promoteur.

À Nantes, dans un programme qualifié de « résidence collaborative », la démarche de programmation avec les futurs habitants ne porte finalement que sur une surface commune délimitée, qui concentre les discussions et incarne l’ambition participative initiale. Dans ces différentes opérations immobilières, des prestataires privés accompagnent les processus en proposant des missions « à la carte », qui dépendent du montant alloué par les promoteurs. Le prestataire privé qui accompagne la « résidence collaborative » nantaise déploie ainsi dix-huit ateliers, rencontres et événements, et qualifie son intervention de mission de « maîtrise d’usage », grâce à un « panel usager » pour animer « une communauté habitante ». Ces offres génèrent un marché de prestation de services autour de la gestion immobilière et de l’animation, auquel se greffent des consultants ou accompagnateurs professionnels, qui étendent leurs activités existantes.

Ainsi, si « l’habitat participatif », tel que défini précédemment mais aussi inscrit juridiquement dans la loi ALUR en 2014, est considéré comme un horizon normatif par certains des promoteurs étudiés, ses caractéristiques sont décomposées et recomposées en offres participatives multiples, que les promoteurs proposent ici « à la carte ». Il en résulte des projets hybrides, dans lesquels l’habitat participatif est un élément parmi d’autres d’une diversification des produits et modes d’accession au logement.

Cet article montre les ambiguïtés de ces résidences dites participatives produites par la promotion immobilière. Répondant à une logique de différenciation des promoteurs dans des contextes de production concurrentiels à Nantes et à La Rochelle, ces offres participatives sont produites par des promoteurs variés. Ces projets présentés comme participatifs concourent au développement de nouvelles niches de marchés : ce sont de nouveaux produits, pour capter une cible de clientèle diversifiée et investir de nouveaux marchés. Ils s’accompagnent d’une mise en marché autour de la valeur d’usage du logement et de l’immeuble, dans le processus de conception mais aussi la gestion du logement collectif. L’intermédiation professionnelle nécessaire et les outils d’accompagnement dédiés illustrent le développement de marchés de services, à la croisée entre logement et participation et un potentiel continuum de marchandisation résidentielle, de la production en amont à la gestion en aval.

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Sonia Dinh, « Le(s) marché(s) de la promotion résidentielle participative », Métropolitiques, 27 janvier 2025. URL : https://metropolitiques.eu/Le-s-marche-s-de-la-promotion-residentielle-participative.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2123

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Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

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