L’ouvrage qui accompagne l’exposition passionnante Circuler. Quand nos mouvements façonnent la ville permet de poser les enjeux divers et paradoxaux des questions contemporaines de mobilités au moyen de recours choisis et pertinents à l’histoire du phénomène urbain. Trop souvent, jusqu’à une période récente, l’appréhension intellectuelle de celui-ci a été cloisonnée ou limitée à des approches fonctionnelles traditionnelles.
L’avantage du parcours muséographique par rapport au catalogue est évidemment d’offrir des sensations et des synesthésies que le papier, malgré la richesse des écrits, est bien en peine de retranscrire. En effet, par-delà l’académisme nécessaire et respecté, au fil des dix chapitres du livre, par l’équipe d’auteurs rassemblée autour de Jean-Marie Duthilleul, la visite à pied de l’exposition offre des trouvailles de mise en condition très heureuses car la mobilité est une expérience totale qui transcende largement les approches modales. Pour commencer par la fin de la promenade édifiante suggérée par les concepteurs de l’exposition, les pensées du visiteur en passe de quitter les lieux peuvent être rassemblées sur des passages piétons imaginaires censés restituer l’environnement sonore de villes très diverses. Paris, Tokyo mais aussi Dakar – et pour l’auteur de ces lignes qui en revenait juste, l’effet de réel s’avéra saisissant de véracité ! Ce dernier goût laissé par l’exposition n’est pas le moins suggestif.
Sur le fond, la présentation vise à interroger les questionnements pascaliens fondamentaux sur l’inanité du mouvement, le « changement de paradigme » survenu il y a deux siècles environ dans l’univers du transport bouleversé par la « révolution industrielle ». Sur le papier, les éclairages conjugués de Bruno Marzloff, Antoine Picon, Georges Amar, Paul Andreu, Vincent Kaufmann, Jean-Pierre Orfeuil, Bertrand Lemoine, François Laisney, Marc Wiel, Ariella Masboungi, Jean Viard, Simone Roux, Maurice Culot et Francis Beaucire permettent de réévaluer les éléments de l’équation nécessairement renouvelée du « toujours plus » : plus vite, plus loin et plus souvent. La société sous contraintes environnementale et énergétique du début du XXIe siècle n’a plus grand chose à voir avec celle en expansion rapide d’il y a deux siècles. L’éclatement des questionnements métropolitains, la fragilité des écosystèmes des mobilités de grande ampleur sont également bien rendus par l’étude des infrastructures immobiles indispensables à la mobilité, comme dans le chapitre 6, consacré à « la poétique des aérogares, nouveaux lieux de l’ailleurs ».
Le propos principal est de témoigner sur la façon dont, désormais, le temps dédié aux transports et aux mouvements peut n’être plus seulement subi, mais également optimisé, avec comme ligne d’horizon l’usage globalisé des ressources numériques. Pour attester cette « nouvelle ère de la dialectique du mobile et de l’immobile qui façonne la ville » (p. 21), remarquons que l’optimisme est plutôt de mise dans les neuf tableaux proposés. Tandis qu’une lecture pessimiste aurait relevé le chaos généralisé vers lequel, selon les plus pessimistes, fonceraient nos sociétés énergivores et irresponsables, l’exposition offre un regard nettement plus positif. L’affiche de l’exposition, choisie également pour la couverture du catalogue, l’atteste : le rafraîchissement opéré par Guillaume Lebigre de la célèbre utopie circulatoire urbaine d’Harvey Wiley Corbett (« La ville future ») composée en 1913 témoigne d’une harmonie possible, bien éloignée des spectres enfumés de Metropolis ou du nihilisme préoccupant et dévoreur d’espaces produit, par exemple, par l’étalement urbain aux États-Unis tel que peut le saisir un photographe comme Alex MacLean. L’espace jeu pour les enfants – patronné par la société Lego avec des mosaïques offertes à la créativité des tout-petits – ajoute, d’ailleurs, à cette légèreté voulue par le maître d’œuvre de l’exposition, ingénieur et architecte conseil des futures gares radieuses d’urbanité désirées par la SNCF.
Heureux ou malheureux, il n’en reste pas moins que le futur de nos mouvements en ressort comme une création possible et surtout une interrogation désormais reconnue comme légitime et inévitable : la mobilité n’a rien d’une fatalité. Les hommes la produisent de façon certes complexe, mais s’ils en sont dépendants, c’est maintenant en connaissance de cause. Dans ce même ordre d’idées et d’objectifs, la concomitance de cette exposition avec celle, aux ambitions pédagogiques comparables, consacrée de façon permanente aux Transports et [aux] hommes par la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette inaugurée à l’automne 2011, mérite d’être relevée. Relevons un point positif supplémentaire en faveur de Chaillot : l’abondance des points de repos, de recul et de contemplation ayant largement recours aux images animées dans les absidioles de la nef d’exposition, courbe comme un quai de gare, permet de voir à travers des extraits de fictions et documentaires, souvent très attendus – mais qui, s’ils avaient été absents, auraient manqué aux initiés –, comment se réordonnancent les modes de transports, de nos jours bien plus complémentaires que rivaux.
Pour conclure, toujours sur le sentiment de mise en abyme généralisée que suggère cette exposition au cœur de Paris, le lecteur se souviendra qu’il y a quelques mois, dans les mêmes salles ou presque, ont été exposés les résultats de la consultation des architectes sur le Grand Paris. Dans l’effet de persistance rétinienne et de brouhaha médiatique suggéré par la réutilisation des mêmes lieux, on se prend donc à rêver en montant le dernier escalier à un avenir aussi conscient et ordonné pour la métropole parisienne…