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Débats

Un droit au changement et à la diversité

Poursuivant le débat sur le droit à la mobilité initié dans la revue par Jean-Pierre Orfeuil et Jacques Lévy, Vincent Kaufmann critique la réduction de la mobilité à la seule question du franchissement de l’espace. Au contraire, dans la société actuelle, le droit à la mobilité pose les questions plus fondamentales du rapport à l’altérité et de la capacité à se réaliser.

Les mots sont parfois trompeurs : que signifie véritablement le droit à la mobilité dans des sociétés contemporaines qui se caractérisent par une déconnexion croissante entre la quantité de kilomètres que l’on parcourt et la diversité d’expériences et découvertes que l’on fait dans sa vie ? Dans ce contexte, peut-on encore considérer qu’il s’agit prosaïquement du droit de se déplacer dans l’espace quand on veut, où l’on veut, comme on le souhaite ? Utiliser les transports rapides est de plus en plus une obligation de l’insertion sociale et professionnelle et n’est pas l’expression, ni même l’exercice d’un droit à la mobilité. J’aimerais ici poursuivre le débat amorcé par Jean-Pierre Orfeuil et Jacques Lévy [1] en défendant l’idée que le droit à la mobilité n’est pas synonyme de droit aux transports, mais qu’il s’agit d’abord d’un droit à la transformation de soi, un droit à se réaliser dans le sens de la capacité à réaliser ses projets de vie et à maîtriser son rapport au monde et aux autres. Dans ce sens plus fondamental, il s’agit d’un droit qui relève de l’égalité des chances.

Dans les sociétés occidentales contemporaines, le droit à la mobilité ne renvoie plus essentiellement au franchissement de l’espace, la question du droit à la mobilité nécessite de considérer la mobilité comme renvoyant aussi et plus fondamentalement au changement. Pour de nombreux penseurs de la mobilité, franchir l’espace implique nécessairement un changement de rôle ou d’état. Or, dans le monde occidental contemporain, cet automatisme tend à disparaître. Il est courant de se déplacer vite et loin sans changer de rôle et sans être véritablement confronté à l’altérité sociale ou spatiale.

Avec le déploiement des grands réseaux de transports, puis des systèmes de télécommunication, la friction de la distance s’est estompée et les territoires s’homogénéisent. Villes et campagnes s’agencent dans la multitude de déclinaisons d’un monde urbain. Dans ce contexte, se déplacer n’offre plus la garantie d’un changement et des chercheurs prédisent depuis une décennie déjà la fin du tourisme.

Historiquement, se déplacer au loin – pour migrer ou voyager – signifiait faire l’expérience enrichissante ou traumatisante de l’altérité dans la grande ville ou de l’exotisme du pays lointain. Le déplacement était mobilité dans la mesure où il impliquait la confrontation à de l’inconnu, entraînant parfois une véritable transformation existentielle de soi. Toutefois, de nos jours, aller loin n’entraîne plus forcément une coupure nette avec son lieu d’origine, sa famille, son milieu, grâce en particulier aux communications à distance mais aussi à la vitesse des déplacements. Ainsi, on peut désormais travailler loin de son domicile sans devoir recourir à un mouvement de déracinement, puis de ré-enracinement caractéristique des migrations.

Dans ce sens, la vitesse permise par les transports et les moyens de communication entraîne la sédentarité plus que la mobilité [2]. Nombreux sont ceux qui utilisent l’efficacité du déplacement automobile pour éviter de devoir déménager suite à un changement de travail, ou pour se sédentariser dans une zone périurbaine lointaine mais bien accessible par la route. En d’autres termes, il s’agit de se déplacer en étant le moins mobile possible, c’est-à-dire en changeant le moins possible de choses dans sa vie.

De fait, les personnes qui se déplacent le plus vite et le plus loin au quotidien (que ce soit entre des métropoles ou entre des espaces centraux et périurbains, qu’il s’agisse de déplacements pour des motifs liés au travail ou à la famille), sont généralement prises dans un univers de contraintes qui pèsent lourdement sur elles et ne le font pas par choix. Tellement même que certains, épuisés par ces exigences, revendiquent un droit à la proximité et à la lenteur [3]. Ainsi par exemple, en Suisse, nous avons pu observer dans une recherche récente qu’environ un quart des familles aspire à une insertion sociale marquée par davantage de proximité. Le droit à la mobilité a deux facettes et ne doit pas se résumer à la normativité de la recherche de vitesse maximum. Il renvoie à la vitesse et à la lenteur, à la proximité et à la distance.

Le droit à la mobilité est un droit à la diversité, un droit à la découverte, un droit à la réalisation de soi. Paradoxalement, celui-ci est battu en brèche par l’hégémonie du transport rapide et de la communication immédiate, qui s’imposent de plus en plus comme des figures obligées de l’insertion sociale et professionnelle, qui pousse à franchir l’espace en minimisant les changements que cela implique dans sa vie en étant pendulaire de longue distance plutôt qu’en déménageant par exemple.

Plus que l’accès généralisé aux infrastructures de transports rapides, le droit à la mobilité renvoie à la liberté de déployer des modes de vie aux inscriptions spatiales très diversifiées et des projets de vie singuliers. En fin de compte, il s’agit d’un libre arbitre en matière de définition et de vécu d’une mobilité – d’un équilibre entre déplacement et changement –, permettant de s’assurer une bonne qualité de vie.

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Pour citer cet article :

Vincent Kaufmann, « Un droit au changement et à la diversité », Métropolitiques, 16 novembre 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Un-droit-au-changement-et-a-la.html

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