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Débats

Les maires au défi de l’exigence démocratique

Les nouveaux conseils municipaux des grandes villes n’ont été souvent choisis que par 5 à 10 % des habitants ; la démocratie locale est en berne. La maire de Cachan, ville de 30 000 habitants en proche banlieue parisienne, dit sa préoccupation et appelle à un renouveau démocratique.

La crise démocratique dans notre pays atteint des proportions inquiétantes. Maire depuis le printemps 2018, j’ai été réélue au premier tour en mars 2020 à la tête d’une équipe et d’un programme profondément renouvelés. La question démocratique était centrale dans notre programme. Car j’ai pu tirer de mes deux années de mandat le sentiment que ce sujet doit être notre priorité.

En 2018, j’avais engagé une initiative participative ayant permis une très large mobilisation des habitantes et habitants sur le devenir de la ville, qui m’avait montré à quel point il y avait à la fois une attente, mais également un besoin d’engagement positif des cachanais·es pour débattre, proposer des projets et dessiner notre avenir commun.

En tant qu’élus, nous avons une responsabilité d’agir et de faire, dans le respect des engagements pris. C’est une des conditions nécessaires de la confiance des citoyens dans l’engagement et le pouvoir de leurs représentants. Mais cela ne suffit pas. Nous avons aussi le besoin impérieux de renouer le contact avec les citoyens et de faire de la revitalisation de la démocratie un enjeu en tant que tel.

Permettre aux citoyens de parler politique

Écouter les citoyens, leur permettre de parler avec les élus mais aussi entre eux est un enjeu décisif pour au moins deux raisons.

D’abord, ils ont des choses à nous dire, à nous qui dirigeons les collectivités locales dans lesquelles ils vivent : leur façon de voir les choses est importante, que ce soit comme usagers, comme habitants, comme salariés ou comme citoyens. Trop souvent nous nous limitons à les consulter sur leurs seules « expertises d’usage » en faisant fi des regards plus vastes, des compétences et des valeurs qui les animent.

Il y a aussi un enjeu spécifique à remettre la démocratie au cœur de notre vie politique et notre contrat social. L’enjeu est de sortir de l’individualisme, y compris dans les démarches citoyennes, pour repenser nos pratiques démocratiques en ayant à l’esprit le caractère décisif des dynamiques collectives. Lutter contre le désintérêt et le désengagement civique suppose de concevoir nos démarches à partir des habitants et de leur propre expérience de la citoyenneté : leur redonner une place légitime pour permettre l’expression in vivo du « vivre ensemble » et, pour cela, surtout faire en sorte que chacun se sente autorisé à parler. Que les gens parlent est, en soi, au moins aussi important que ce qu’ils disent : ce qui se joue dans cette prise de parole, c’est notre capacité à remettre les habitants au cœur d’une histoire commune. Cela nous concerne, nous, élus, mais cela engage tout le monde : il est fondamental que les démarches démocratiques permettent autant aux citoyens de parler aux élus que de refaire vivre du collectif entre les habitants.

Qui vient ? Qui parle ? Voilà la question essentielle

Ces injonctions ouvrent trois défis pour les maires et élus qui cherchent à renouveler l’exercice démocratique.

Le premier défi concerne les publics participants : il est fondamental d’aller chercher les citoyens, notamment ceux qui ne viennent jamais. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de salles vides, de discussions uniquement techniques avec des interlocuteurs qui sont toujours et exclusivement les mêmes citoyens très engagés. Le tissu associatif, les militants sont précieux dans une ville, mais ils ne peuvent résumer à eux seuls tous les citoyens. Or nous nous retrouvons trop souvent dans un face-à-face qui n’est bon pour personne : ni pour les élus, ni pour les associations, ni pour la ville. Pourtant, cette question des publics est rarement prise au sérieux : peut-être parce qu’elle demande un travail permanent sur le terrain. Elle n’est pas explicitement débattue, comme si nous avions collectivement renoncé à cette ambition. Les dispositifs de tirage au sort ont la vertu de mettre la question de la représentativité des participants sur le devant de la scène, mais même dans ce cas, le nombre et la diversité des participants s’amenuisent trop vite d’une réunion à l’autre pour finir par toujours nous enfermer dans des cercles qui privent de parole et de représentation ceux que l’on cherche précisément à faire exister dans l’espace public.

Le deuxième défi nous concerne particulièrement, nous, élus, services et experts. Il nous faut absolument écouter ce qui nous est dit, même si nous sommes persuadés que nous savons déjà ce qu’il faut faire. Ce n’est pas facile ! Comme élu, nous sommes souvent directement interpelés dans les réunions publiques : « Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire sur ce sujet ? Madame la maire, que répondez-vous à cela ? » Il faut accepter de ne pas répondre, de sortir du tête-à-tête pour permettre que les habitants se parlent aussi entre eux et faire de chaque témoignage ou question un moment de construction collective. Une réponse, même précise, à une question particulière peut rassurer la personne concernée, mais ne contribue pas à mettre la ville en mouvement. Quand on prend le risque de laisser s’installer le vide relatif de la parole des élus, quand les citoyens s’emparent eux-mêmes du débat, alors on se donne une chance d’observer l’intelligence collective en mouvement. Il se joue alors une dynamique très différente de la litanie des demandes particulières. Les problèmes individuels n’ont pas disparu et les élus doivent y être attentifs et les régler, mais les controverses entre les citoyens et le débat d’idée dans la ville s’invitent au centre des échanges : « où on va ? qu’est-ce que l’on fait ensemble ? quel devenir pour nos quartiers ? quel avenir pour le logement et la mixité dans la ville ? », etc. À cette condition, les participants peuvent ne pas être d’accord entre eux et pourtant se retrouver pleinement dans le débat : la démocratie, ce n’est pas que tout le monde soit d’accord, c’est que tout le monde se reconnaisse dans le fait que la population a eu son mot à dire et que ce mot a pesé utilement dans le choix final. Il n’y a donc aucune concurrence à craindre entre la démocratie représentative et la démocratie participative : à l’issue de discussions de ce type, les élus ont à prendre leurs responsabilités en assumant leurs choix ; mais à la fois les raisons pour lesquelles les décisions sont prises et les espaces politiques dans lesquels elles se déploient sont bien mieux compris.

La démocratie, à quoi ça sert ? Nécessaire évaluation

Le troisième défi renvoie à l’utilité même des démarches démocratiques. La façon dont les mots de chacun ont, ou non, pesé dans les décisions, la façon dont nous, élus, les traduisons dans les projets, tout ceci est décisif. Or, ce n’est jamais simple, car la mobilisation citoyenne s’épuise vite et ses effets sur les processus de décisions administratifs sont plus évanescents encore. Dans les démarches participatives, le plus difficile est ainsi de ne pas se satisfaire d’avoir un public large et diversifié au début, mais de suivre et vérifier que cette diversité se maintienne tout au long des travaux : souvent, on se réjouit d’avoir cinquante participants assez représentatifs au début, mais on oublie de dire qu’à la fin, les décisions ont été prises par les seuls cinq citoyens les plus impliqués, ceux qui sont restés intéressés aux discussions quand les experts ont repris le pouvoir – et cette capture démocratique arrive souvent très vite dans les projets. Il y a donc une question de poursuite de l’effort de mobilisation. Il y a aussi une question de mutation de l’administration communale et intercommunale qui, souvent, ferait bien volontiers l’économie de tout ce temps passé à discuter alors que chacun est pressé par le calendrier des procédures légales et le rythme des travaux à engager. Accepter de donner du temps au temps n’est pas naturel pour les experts et les services. Pour les élus non plus : nous sommes élus pour six ans, cela peut sembler long mais, à l’échelle des projets urbains, c’est très court. Entre le temps pour imaginer et identifier précisément les besoins, formuler les projets, dérouler les autorisations administratives, mettre en chantier et livrer, les années passent très vite. Et pourtant, il faut que l’on accepte de laisser ce temps : les projets démocratiquement construits sont meilleurs pour la ville et pour les habitants.

La parole ouvre des perspectives : ne pas s’enfermer dans les compétences de solutions

Ces défis renvoient tous au même diagnostic : dans une ville comme à l’échelle d’un pays : la démocratie se nourrit des chemins que l’on parcourt ensemble.

Les débats eux-mêmes contribuent à faire évoluer les représentations et les avis de chacun, participants comme dirigeants, pourvu que les échanges soient ouverts, sincères, que tous les points de vue puissent s’exprimer à égalité. Des convergences s’esquissent qui n’existaient pas avant la discussion, simplement parce que les points de vue n’avaient pas été partagés dans toute leur profondeur.

Veiller à cette respiration démocratique permet aussi d’approcher différemment le pouvoir des maires. Il est souvent question de nos pertes de compétences ou de moyens. C’est un fait. Un autre fait est que, par la discussion avec les habitants et la co-construction, avec eux, de points de vue partagés sur l’avenir de nos communes, nous installons des rapports de force avec les interlocuteurs publics ou privés de la ville. Construire nos positions sur la base de démarches démocratiques puissantes donne plus de crédit à nos points de vue. Les promoteurs, l’État, les grands opérateurs urbains ne se comportent pas, ensuite, de la même manière dans les discussions qu’ils ont avec nous, les élus. La politique consiste précisément à construire ces rapports de force et à les inviter autour de la table pour donner plus de poids à la parole des citoyens. La question de la démocratie dépasse ainsi le sujet très institutionnel des périmètres et compétences de chacun : elle renvoie au pouvoir dont chaque habitant dispose sur son avenir et sur celui de l’endroit où il vit.

Cachan est une ville de proche couronne soumise à une intense pression immobilière. Nous sommes régulièrement confrontés à des habitants qui nous renvoient à notre impuissance supposée. Traiter démocratiquement de ces sujets est impératif si l’on ne veut pas alimenter le sentiment que le marché est plus fort et que la politique et les élus ne servent à rien. Cela suppose de multiplier les temps de dialogue et de permettre que la parole de chacun soit entendue : proposer un dialogue public entre les citoyens et les promoteurs, comme nous l’avons fait pour construire la charte des promoteurs, inscrire ces échanges dans une vision stratégique de l’avenir de la ville, comme nous avons commencé à le faire avec « Parlons ensemble de Cachan [1] », parvenir aussi à instaurer un dialogue à égalité entre Paris et sa banlieue...

La politique et le marché

Comme élus, nous avons le devoir de tendre la main à nos concitoyens et aux maires des communes voisines afin de créer les espaces dans lesquels les habitants pourront mesurer la confiance que nous, élus, avons dans leur intelligence collective. C’est une question de souveraineté qui trouve des échos à toutes les échelles. Comme maires, nous avons ainsi un rôle décisif dans la reconstruction de nos démocraties. Nous sommes en première ligne pour accompagner le cheminement de l’intérêt général et la capacité de chacun à y contribuer : tisser les liens entre le public et le privé, entre les différentes associations, entre les citoyens et les dirigeants, entre les villes centres et leurs périphéries, etc.

Relever ces défis demande beaucoup d’énergie, d’engagement et d’exigence. Mais l’enjeu est historique : il s’agit de nous montrer à la hauteur du besoin de renouveau démocratique.

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Pour citer cet article :

Hélène de Comarmond, « Les maires au défi de l’exigence démocratique », Métropolitiques, 5 octobre 2020. URL : https://metropolitiques.eu/Les-maires-au-defi-de-l-exigence-democratique.html

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