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Terrains

De la statistique au terrain

Reconsidérer la vacance des logements pour agir dans les territoires ruraux en décroissance

Comment anticiper la vacance des logements et comment lutter contre ? À partir d’une étude de terrain à Montluçon, Charline Sowa et Hugo Bruyant montrent la complexité de cette question et les difficultés des élus pour y répondre.

Le logement vacant, un objet à étudier au-delà des chiffres

La vacance dans les parcs de logements n’est pas un phénomène nouveau. Pour autant, l’analyse de ce phénomène très répandu reste un exercice complexe, dont les résultats peuvent rester partiels (Arab et Miot 2021 ; Dubeaux et Miot 2023). Les données à disposition (INSEE, Fichier foncier, Lovac…) sont mouvantes et hétérogènes. Il est plus facile d’aboutir à une analyse de tendance générale qu’à une photographie complète de la situation à l’instant t [1]. Cette complexité de traitement et de suivi peut freiner, voire décourager la prise en main du sujet de la vacance et la mise en œuvre d’actions incitatives ou coercitives adaptées et efficaces, en particulier dans les territoires qui manquent de moyens humains, techniques ou financiers.

Pour pallier ces difficultés, l’État a lancé en 2021 un plan national de lutte contre les logements vacants. Il a permis la création d’une base de données spécifique sur le logement vacant (Lovac), incluant la localisation, la durée de la vacance ou encore le nom du propriétaire, et la mise en place d’un outil de suivi (Zéro Logement Vacant).

Ainsi ces outils, attendus par les collectivités, sont une réelle avancée. Ils devraient améliorer leur connaissance de la situation et faciliter le déblocage de situations sur des biens vacants de longue durée. Mais il reste primordial pour les élus d’appuyer leur lecture des données et leur usage avec des enquêtes de terrain fournissant une représentation plus complète et nuancée de la situation. L’article reviendra sur l’une de ces études, menée pour le compte de Montluçon communauté [2] en 2022.

Faire face à la vacance sur le territoire de Montluçon communauté : enjeux de la démarche

Englobant vingt et une communes, Montluçon communauté est aujourd’hui considérée comme un territoire rural, vieillissant et en décroissance urbaine avec pour centralité Montluçon, ville moyenne de 33 822 habitants. Avec une perte de 35 % de sa population depuis les années 1960, Montluçon communauté fait également face à une multiplication par 3,5 du nombre de logements vacants depuis 1968, dont un quasi-doublement ces dix dernières années. Alors que 1 816 logements vacants étaient comptabilisés en 1968, 3 970 logements étaient identifiés en 2008, pour atteindre 6 841 logements vacants en 2019 (INSEE). Le phénomène s’est donc accéléré ces dernières années et est difficile à contenir et ralentir selon les élus.

Pourtant, bien qu’identifiée comme un enjeu pour le territoire, la situation demeurait méconnue de la part des acteurs locaux, aussi bien dans ses causes, dans sa localisation ou encore dans le profil des biens vacants. Hormis les données issues de l’INSEE et les observations de terrain faites par les élus et techniciens, la réalité de la situation restait difficilement palpable avant l’étude que nous avons menée.

Figure 1. Part des logements vacants depuis plus de deux ans par commune

Source : Fichier foncier et Lovac (2021). Auteur : SOLIHA 26.

Cette étude consistait en la réalisation d’un état des lieux du logement vacant dans le parc privé, à partir duquel serait proposé un ensemble d’actions pour lutter contre le phénomène. Elle venait alimenter l’élaboration du futur Plan local d’urbanisme intercommunal valant PLH (PLUiH) et la mise en œuvre de l’outil Zéro Logement Vacant. En complément de l’analyse statistique et cartographique, les élus ont été conviés aux arpentages et à une série d’ateliers, pour alimenter le diagnostic sensible de la situation permettant de mieux comprendre l’état des logements vacants et les répercussions de la vacance sur l’environnement urbain.

Figure 2. Arpentage avec élus et techniciens

Figure 3. Un atelier avec les élus

Photos : Charline Sowa (CDHU).

De ce travail collectif, il en est ressorti : une lecture nouvelle de la localisation de la vacance, une réflexion sur sa définition, ainsi qu’un besoin d’anticiper sur un parc de logements potentiellement vacants à l’avenir.

Une vacance qui n’était pas forcément là où nous l’attendions

Alors que dans les débats récents portant sur la revitalisation des centres-bourgs ou des villes moyennes, la focale s’est principalement concentrée sur les logements vacants dans les centres urbains anciens, notre étude a démontré que malgré cette réalité, il existe une plus grande complexité concernant leur localisation. Dans le cas du territoire de Montluçon communauté, quatre dynamiques d’évolution du phénomène, dont certaines inattendues, ont été mises en évidence, avec l’expertise de terrain des élus et techniciens.

Premièrement, on observe une augmentation du nombre de logements vacants dans plusieurs communes en première couronne de Montluçon (par exemple : Domérat, Saint-Victor). Dans ces communes pourtant attractives, l’augmentation du nombre de logements neufs a accentué l’écart entre l’offre et la demande, générant une détente du parc. De plus, les logements vacants situés dans les secteurs bâtis les plus anciens sont parmi les plus difficiles à remettre sur le marché (absence de luminosité et d’extérieur, difficultés d’accès, etc.).

La deuxième dynamique relevée est la nette diminution de logements vacants en deuxième couronne (par exemple : Sainte-Thérence, Mazirat). Cette évolution met en avant une nouvelle vague de périurbanisation sur ce secteur. Les ménages ne trouvant pas de logements adaptés à leur demande et leur budget dans Montluçon ou en première couronne s’éloignent de plus en plus. Ils investissent sur des biens plus abordables en cœur de village ou dans des hameaux, nécessitant dans beaucoup de cas d’importants travaux, mais permettant aussi une sortie de vacance de nombreux biens.

Figure 4. Taux d’évolution annuel du nombre de logements vacants en % entre 2014 et 2020

Source : Observatoire des territoires, 2023.

Depuis peu, il semble se produire une augmentation de logements vacants dans les lotissements construits après 1950, en particulier dans la commune de Domérat. Les élus ont observé des évidements de rue de lotissement en l’espace de quelques mois ou années, cette rapidité s’expliquant par le vieillissement et le départ simultané d’une génération d’habitants arrivés ensemble et à un âge proche. Toutefois, à l’inverse d’autres types de bien, les maisons de lotissement avec jardin sortent plus rapidement de la vacance, car elles continuent de répondre aux aspirations de beaucoup d’acquéreurs. À moins d’héritages conflictuels, elles rentrent rarement dans une situation de vacance dure (plus de cinq ans). Cette dimension générationnelle et cyclique de la vacance dans certains types de lotissement serait sans doute un aspect à suivre et à anticiper pour le futur.

La dernière dynamique observée porte sur la multiplication et le renforcement de poches de vacance dans les secteurs plus éloignés. Ces poches correspondent à des corps de fermes isolées ou des hameaux, dont certains sont devenus des « hameaux fantômes ». La majorité des logements vacants le sont depuis dix, vingt ou trente ans, et dans de nombreux cas, font face à une dégradation avancée ou sont en ruine. Cette situation s’explique pour partie par l’histoire agricole du territoire. Le métayage a généré une implantation très diffuse des corps de ferme et des logements de journalier sur le territoire. Avec l’évolution de l’agriculture (mécanisation, remembrement foncier), le besoin en matière de logements a ainsi diminué en même temps que le nombre d’exploitations et de travailleurs agricoles. Ces biens ont donc été petit à petit abandonnés, en restant dans la majorité des cas au sein des familles d’exploitants et n’engendrant pas pour autant l’abandon des terrains agricoles attenants encore exploités.

Figure 5. Exemples de hameaux fantômes visités avec les élus

Photos et montage : Charline Sowa (CDHU).

La périurbanisation et le phénomène de décroissance démographique ont contribué à l’augmentation du nombre de logements vacants que connaît le territoire, mais les évolutions conjoncturelles ne sont pas les seules raisons. D’autres facteurs rentrent en jeu, comme le contexte géographique, l’état du parc immobilier, le coût de l’habiter ou le rapport au bien du propriétaire. Aussi bien l’attachement (ne pas se séparer d’un bien même si l’on n’y habite plus) que le détachement (ne pas se soucier de remettre un bien sur le marché) peuvent en effet conduire à la vacance. Le schéma ci-après cartographie l’ensemble des situations identifiées dans le cadre de l’étude.

Figure 6. Schéma présentant les différentes causes liées à la vacance identifiées sur le secteur de Montluçon communauté

Schéma : Charline Sowa (CDHU).

Des ruines aux logements à risque : porter une vision plus large pour mieux anticiper

Pour finir, plusieurs remarques peuvent enfin être faites sur la très forte hétérogénéité de situation sur le territoire, impliquant différentes réponses politiques.

La part non négligeable de biens vacants considérés comme obsolescents (12 % du parc de logements vacants – Lovac 2021), c’est-à-dire inoccupés depuis plus de douze ans, a été confirmée par le travail de terrain. Nous avons pu observer un nombre important de maisons se trouvant en ruine. Davantage qu’un état, la ruine est aussi à penser comme un processus (Leblanc 2010 ; Mah 2012). Si les causes de la vacance de ce type de biens sont assez classiques (propriétaire non connu, problèmes d’héritages, refus de se séparer du bien…), leur dégradation très avancée résulte aussi bien de l’absence d’entretien que d’aléas naturels et d’actes de dégradation volontaires, qui compromettent sérieusement leur retour sur le marché de l’immobilier, du fait de la lourdeur des travaux et du coût conséquent pour leur remise en état. Ce type de démarche étant marginal, des pistes seraient à imaginer dans la reconsidération de ces ruines en mine urbaine et foncière dans une logique de déconstruction, de recyclage des matériaux et de renaturation des sols.

Figure 7. Quelques exemples de ruines présentes sur le territoire

Photos et montage : Charline Sowa (CDHU).

D’autres formes d’inoccupation des logements sont remontées à travers les observations conjointes du bureau d’études et des élus sur le terrain. Nous avons confirmé l’existence de situations ambiguës non comptabilisées comme des logements déclarés vacants, mais occupés, ou des logements inoccupés depuis plusieurs années avec un état de dégradation avancée déclarés en résidence principale ou secondaire. Souvent, cette inoccupation est liée au vieillissement des propriétaires, qui sont dans beaucoup de cas incapables d’entretenir le bien, ou en structures médicalisées ne permettant pas de vendre le bien. Ces situations limitent ainsi l’action des élus.

Notre regard s’est aussi attardé sur des biens occupés, très peu rénovés ou avec une rénovation de mauvaise facture. Dans beaucoup de cas, ils sont occupés par des personnes vieillissantes ou des ménages ayant peu de moyens financiers pour effectuer les travaux nécessaires. Ainsi, ces biens occupés aujourd’hui sont potentiellement les logements vacants de demain et pourraient être la cible de politiques de rénovation prévenant une potentielle vacance future.

En conclusion, l’implication des élus dans une telle étude, au plus près des réalités du terrain et dans une approche pédagogique, est essentielle pour, d’une part éviter les représentations partiellement faussées offertes par les outils statistiques disponibles, d’autre part pour faciliter l’acceptation de la situation par les élus et les remobiliser sur le sujet.

Ainsi, l’étude a contribué à alimenter une politique en matière d’aménagement du territoire et d’habitat nouvelle pour Montluçon communauté. Elle s’est lancée dans un plan d’actions pluriannuel pour agir sur le logement vacant. De premières actions sont en cours de mise en œuvre, comme la mise en place d’un agenda de la dédensification. Mais cela a aussi conduit les élus à insister sur l’enjeu de la vacance dans la finalisation de leur PLUiH, faisant de Montluçon communauté un territoire innovant en matière de la lutte contre le logement vacant.

Bibliographie

Pour aller plus loin :

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Pour citer cet article :

Charline Sowa & Hugo Bruyant, « De la statistique au terrain. Reconsidérer la vacance des logements pour agir dans les territoires ruraux en décroissance », Métropolitiques, 15 avril 2024. URL : https://metropolitiques.eu/De-la-statistique-au-terrain.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2027

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