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Débats

Les « Grandes Gares » : des projets adaptés aux villes moyennes ?

La transformation des gares et leur intégration à la ville sont-elles réservées aux métropoles ? En analysant les objectifs, les acteurs et les moyens des projets de réaménagement de gares dans les villes moyennes, Émilie Roudier offre une lecture originale des enjeux et des contraintes de l’action publique locale dans ce type de villes.

Selon Fabienne Keller, sénatrice du Bas-Rhin et auteure d’un rapport sur la gare contemporaine (Keller 2009), la « Grande Gare », envisagée à la fois comme un pôle d’échanges multimodal et une centralité commerciale et urbaine, ne serait pas seulement réservée aux seules métropoles : « La Grande Gare, c’est aussi pour la ville moyenne. […] Il n’y a pas de gares plus importantes qu’une autre, toutes sont le point d’entrée vers le réseau de transport » (DIACT 2009, p. 28).

Certes, les métropoles constituent, depuis les années 2000, les terrains privilégiés pour les opérations d’aménagement de grande ampleur menées dans et autour des gares (comme à Paris, Lyon, Marseille ou Lille), mobilisant des budgets de plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d’euros (Terrin 2011), et donnant lieu à des réalisations spectaculaires. Cependant, les villes moyennes [1], qui occupent une position intermédiaire entre ces métropoles et les petits centres urbains locaux (Santamaria 2012), se lancent également dans ce type de projets. Peuvent-elles toutefois prétendre aux mêmes ambitions et aux mêmes aménagements ? Les projets de « Grande Gare » en ville moyenne se bornent-ils à reproduire, de manière plus modeste, ceux des métropoles ?

À l’interface entre le monde professionnel et le monde académique, ces questionnements ont fait l’objet d’un mémoire de master 2 recherche, réalisé en parallèle à l’élaboration de projets de pôles d’échanges au sein d’un bureau d’études [2].

Des gares plus petites, à l’image des villes moyennes

Longtemps envisagées comme des objets autonomes coupés de leur environnement urbain (Barre et Menerault 2001), les gares sont désormais considérées, bien au-delà de leur fonction d’infrastructure de transport, comme des nœuds de l’intermodalité, des objets urbains à fort potentiel et plus largement des leviers de développement territorial (Delage 2013).

Alors qu’aucun programme dédié n’a été mis en œuvre à l’échelle nationale, de nombreux projets de réaménagement de gares et/ou de quartiers de gares ont été réalisés, ou sont à l’étude, depuis une quinzaine d’années sur l’ensemble du territoire (Terrin 2011). Si les opérations réalisées dans les gares parisiennes et dans les grandes métropoles régionales ont été les plus médiatisées et les plus étudiées [3], de nombreux projets sont aussi lancés dans des villes moyennes [4], dans des contextes territoriaux bien différents.

En effet, en comparaison avec les gares métropolitaines, les gares centrales des villes moyennes présentent certaines caractéristiques singulières : un moindre trafic ferroviaire, assuré dans une large mesure par les trains express régionaux (TER) et les Intercités ; des flux de voyageurs modestes ; un tissu urbain souvent décousu et diffus autour de la gare ; mais, en contrepartie, des opportunités foncières plus importantes. L’emprise du bâtiment est également plus limitée, bien loin des centres commerciaux intégrés des grandes gares parisiennes (Saint-Lazare) ou lyonnaises (Part-Dieu).

Des projets entre duplication et différenciation

Moins imposantes et moins fréquentées, les gares des villes moyennes font pourtant l’objet d’opérations de réaménagement qui affichent des ambitions peu ou prou similaires à celles des métropoles. On retrouve ainsi, d’un projet à l’autre, des référentiels et des objectifs d’aménagement communs (Terrin 2011) : développer l’intermodalité, c’est-à-dire l’utilisation enchaînée de plusieurs modes de transport au sein d’un même déplacement, en améliorant l’accès aux différents modes, ainsi que les trajets de correspondance (rapprochement de la gare routière et de la gare ferroviaire, création de stationnements dédiés aux vélos) ; désenclaver la gare et améliorer son intégration dans son environnement urbain à différentes échelles (aménagement de passerelles de franchissement, mise en œuvre d’un partage de la voirie plus équilibré entre les différents modes, établissement de nouveaux plans de circulations) ; contribuer au renouvellement urbain des espaces et des friches ferroviaires (construction de logements, de bureaux, d’équipements culturels) ; enfin, plus généralement, améliorer l’accessibilité de la ville et donc son attractivité, notamment au plan économique.

Toutefois, une observation fine du contenu des projets montre que ceux-ci se déclinent différemment dans les villes moyennes. Les aménagements en faveur de l’intermodalité autour de la gare offrent une illustration emblématique de ces décalages. Dans les villes moyennes, en effet, la densité des réseaux, les flux et les pratiques de mobilités ne sont pas les mêmes que dans les métropoles. En particulier, l’usage de la voiture particulière y est largement privilégié, alors que l’offre de transports collectifs est souvent modeste et peu utilisée (CERTU 2011 ; GART 2015). Aussi, les pratiques intermodales sont moins développées et davantage portées vers l’utilisation de modes individuels (voiture, vélo) et du train. De cette façon, les actions menées dans les villes moyennes se concentrent plus sur la création d’offres favorables à l’émergence de pratiques intermodales en lien avec l’automobile (emplacement et dimensionnement des parkings notamment) que sur l’optimisation d’une intermodalité préexistante, traditionnellement structurée dans les métropoles autour d’un mode de transport collectif lourd et capacitaire, de type métro ou tramway.

De même, les jeux d’acteurs impliqués dans les projets de gares de villes moyennes sont à la fois semblables et différents de ceux des métropoles. Si les parties prenantes sont souvent les mêmes du fait de leurs champs de compétences (région, département, intercommunalité, ville, SNCF) et/ou de leurs propriétés foncières (SNCF, RFF, État), le montage et la gestion de projet diffèrent sensiblement. De fait, l’ingénierie territoriale dans les transports est relativement peu développée dans les collectivités locales des villes moyennes : nombre d’entre elles se confrontent pour la première fois à un projet de gare et/ou de quartier de gare. Cette situation confère un rôle plus important, d’une part, à la région, qui, en participant à l’ensemble de ces projets menés sur son territoire, fait souvent bénéficier les collectivités de ses retours d’expérience ; d’autre part, à l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO), chargée d’accompagner la collectivité porteuse du projet et de jouer le rôle d’intermédiaire avec les démarches opérationnelles.

Enfin, la question financière ne se pose pas dans les mêmes termes dans les villes moyennes et dans les métropoles. Les projets de réaménagements de gares et de leurs abords font l’objet de budgets conséquents, généralement de l’ordre de plusieurs millions d’euros, même pour les plus petites opérations. Si les conventions de financement sont toujours multi-partenariales, les parts de l’intercommunalité et de la ville sont presque toujours plus élevées en ville moyenne. Or, ces collectivités locales sont confrontées à de fortes contraintes financières (FVM 2013) : elles sont touchées au premier chef par la baisse des dotations territoriales de l’État (GART 2015) et par l’orientation plus générale des politiques publiques vers les métropoles. Ces moindres capacités de financement influent directement sur les contenus des projets comme sur l’avancée de la phase de réalisation.

Entre opportunités territoriales et contraintes financières : le réaménagement de la gare de Saintes

Le projet de réaménagement de la gare de Saintes, sous-préfecture de la Charente-Maritime (avec 26 000 habitants dans la commune et quelque 60 000 habitants dans son agglomération), illustre bien ces singularités. En proposant des liaisons vers La Rochelle, Niort, Angoulême, Royan et Bordeaux, cette gare constitue une étoile ferroviaire stratégique pour la région Poitou-Charentes, ainsi qu’un pôle d’emploi important à l’échelle locale [5]. Ses 66 trains par jour, essentiellement des TER et une dizaine d’Intercités, transportent 1 300 voyageurs quotidiennement [6].

Figure 1 : Le bâtiment voyageurs de la gare de Saintes

© Émilie Roudier, 2014.

En 2011, la ville de Saintes a lancé des études pour le réaménagement de sa gare et de son quartier, motivée à la fois par des dysfonctionnements d’usages (déficit d’offre de stationnement, problèmes de circulation aux abords de la gare, faible multimodalité) et des opportunités foncières (terrains appartenant à la SNCF potentiellement mutables). Les objectifs étaient de revaloriser cette véritable porte d’entrée de la ville par l’amélioration des conditions d’intermodalité ; de favoriser le renouvellement urbain du quartier de gare ; et de faire de la fonction d’étoile ferroviaire régionale un levier de d’attractivité économique [7]. L’amélioration des liens entre la gare – excentrée à l’est du tissu urbain communal et située au bout d’une rue en impasse – et la ville était aussi un axe de travail privilégié.

À Saintes, le manque d’ingénierie territoriale a été comblé par l’existence d’un réseau de villes formé avec Cognac : en l’absence de personnes dédiées au sujet des transports à la municipalité, Saintes a fait appel au directeur de ce réseau, qui a une longue expérience en la matière, afin de conduire la maîtrise d’ouvrage des études au nom de la ville.

Figure 2 : Nouveaux aménagements aux abords immédiats de la gare de Saintes

© Émilie Roudier, 2014.

Toutefois, quatre ans après la fin des études, seuls les aménagements liés à l’intermodalité aux abords immédiats de la gare ont été réalisés. Un parking de 200 places et une aire de stationnement pour les deux-roues ont été aménagés. Le stationnement automobile a été réglementé, tandis que les accès piétons ont été sécurisés et qu’une station d’autopartage a été inaugurée. La suite des travaux est alors au point mort [8]. Dans un contexte marqué par les fortes contraintes financières de la municipalité [9], l’absence de consensus sur le montage financier entre la ville et d’une part la SNCF, d’autre part la région, concernant à la fois l’achat de terrains pour l’aménagement du nouveau quartier et l’octroi de subventions, freine considérablement l’avancée du projet.

Des opérations complexes à mettre en œuvre

Finalement, les réaménagements de gares et des quartiers de gares dans les villes moyennes ne sont pas nécessairement une duplication des projets métropolitains, du fait de la spécificité des contextes territoriaux, des pratiques de mobilité et des marges de manœuvre de l’action publique locale. Ces projets en ville moyenne n’en sont pas moins complexes à traiter pour les professionnels de l’aménagement et des transports : il s’agit, en effet, de prendre en compte les besoins et les souhaits des différents acteurs, dans un contexte marqué par de fortes contraintes financières et une attractivité plus limitée des gares.

Ces différences invitent ainsi à décentrer le regard sur ces opérations d’aménagement, trop souvent associées aux seules métropoles, et plus généralement à questionner les enjeux et limites de l’action publique locale en ville moyenne.

Bibliographie

  • Barre, A. et Menerault, P. (dir.). 2001. Gares et quartiers de gare : signes et marges, Arcueil : Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS).
  • Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques (CERTU). 2011. La Mobilité dans les villes moyennes : exploitation des enquêtes déplacements 2000‑2010, Lyon : Éditions du CERTU, coll. « Dossiers ».
  • Commerçon, N. 1999. « Entre métropoles et pays, les villes moyennes des plaines de la Saône », in Commerçon, N. et George, P. (dir.), Villes de transition, Paris : Anthropos.
  • Delage, A. 2013. La gare, assurance métropolitaine de la ville post-industrielle. Le retournement de valeur dans les projets urbains de quartiers de gare à Saint-Étienne–Châteaucreux (France) et Liège–Guillemins (Belgique), thèse de doctorat en géographie et urbanisme, université Lyon‑2.
  • Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT). 2009. « Transports et accessibilité des villes moyennes : de l’interrégional aux quartiers de gare », Actes de la Rencontre nationale « 20 villes moyennes témoins », Le Puy‑en‑Velay, 11 septembre.
  • Fédération des villes moyennes (FVM). 2013. « Finances des villes moyennes », Observatoire des finances et de la fiscalité des villes moyennes.
  • Groupement des autorités responsables de transport (GART). 2015. Mobilité et villes moyennes. États des lieux et perspectives, Paris : GART, coll. « Études ».
  • Keller, F. 2009. Rapport ministériel sur la gare contemporaine, Paris : La Documentation française.
  • Santamaria, F. 2012. « Les villes moyennes françaises et leur rôle en matière d’aménagement du territoire : vers de nouvelles perspectives ? », Norois, n° 223, p. 13‑30.
  • Terrin, J.-J. (dir.). 2011. Gares et dynamiques urbaines. Les enjeux de la grande vitesse, Marseille : Parenthèses, coll. « La ville en train de se faire ».

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Pour citer cet article :

Émilie Roudier, « Les « Grandes Gares » : des projets adaptés aux villes moyennes ? », Métropolitiques, 14 décembre 2015. URL : https://metropolitiques.eu/Les-Grandes-Gares-des-projets.html

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