Fondée à l’occasion des élections européennes de 2009, l’alliance du Front de gauche s’est lancée pour la première fois dans la bataille des élections municipales en mars dernier. Si les précédentes élections européennes, régionales et cantonales ont semblé enrayer le déclin électoral du Parti communiste français, les élections législatives du printemps 2012 ont, en revanche, affaibli les positions du Front de gauche. Le score relativement élevé obtenu par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle (11,1 % des suffrages exprimés) n’a pas eu l’effet escompté sur les scrutins suivants. Le nombre de députés communistes et apparentés est ainsi passé de dix huit élus lors de la précédente mandature à une dizaine, le plus souvent en raison d’une nette progression du Parti socialiste. Près de deux ans après cette double échéance nationale, les élections municipales permettent d’observer l’insuccès électoral de cette coalition, fragilisée par des logiques d’alliance qui restent dépendantes des configurations politiques locales.
Les limites d’une coalition nationale
À la veille des élections municipales, pas moins de neuf composantes formaient la coalition du Front de gauche : Parti communiste français (PCF), Parti de gauche (PG), Gauche unitaire (GU), Fédération pour une alternative sociale et écologique (FASE), République et socialisme, Convergences et alternative, Parti communiste des ouvriers de France (PCOF), Gauche anticapitaliste (GA), et enfin les Alternatifs. Dans cette nébuleuse de formations, pour la plupart de petite taille, l’essentiel du mouvement est porté par le PCF, qui compte le plus d’élus (troisième organisation partisane avec ses 10 000 élus – essentiellement des conseillers municipaux) et de militants (revendication d’environ 130 000 adhérents), et dont la notoriété politique est la plus forte. Initié à l’origine par le PCF et le PG dans une logique de partenariat électoral, le Front de gauche a progressivement été rejoint par différentes organisations aux traditions et aux ambitions politiques parfois contrastées, comme en témoigne la difficulté rencontrée par nombre d’analystes de définir précisément l’identité de ce mouvement, classé à « la gauche de la gauche ».
En 2014, selon le capital politique et la vision stratégique des différentes composantes du Front de gauche, les alliances électorales se sont considérablement différenciées, à l’image des prises de position divergentes opposant la direction du PCF à la figure médiatique du co-président du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon. C’est donc bien plus à partir des différentes configurations politiques locales qu’autour d’une stratégie unifiée que les alliances électorales ont été scellées, ou non, dès le premier tour avec le Parti socialiste (PS) ou Europe Écologie – Les Verts (EELV). De ce point de vue, force est de reconnaître que, dans l’ensemble, les maires sortants communistes se sont montrés soucieux de maintenir leur lien avec le PS afin de préserver, autant que possible, leurs positions.
Cette alliance PCF–PS aux élections municipales s’inscrit dans la tradition de l’Union de la gauche, amorcée dans les années 1960 et qui reste une référence largement plébiscitée, surtout auprès des élus. De fait, dans la moitié des villes de plus de 20 000 habitants, l’alliance entre le PCF et le PS a prévalu au détriment d’une candidature du seul Front de gauche. Cette situation s’est notamment retrouvée à Paris et à Grenoble, avec des issues contrastées dans ces deux villes. Si dans la capitale le PCF a rapidement fait le choix d’apporter son soutien à Anne Hidalgo, à Grenoble en, revanche, son association au Parti socialiste n’a pas permis d’éviter l’alternance à gauche au profit d’une liste emmenée par EELV avec le soutien du Parti de gauche et de plusieurs autres composantes du Front de gauche. Dans cette ville, où le mouvement écologiste présente depuis longtemps une affinité assumée avec la gauche radicale [1], le PCF a donc préféré se réengager auprès du maire socialiste sortant, qui s’était associé avec le Modem en 2008. La mise en parallèle du cas parisien et du cas grenoblois montre à quel point les principales composantes du Front de gauche peuvent se diviser, selon qu’elles optent pour l’incarnation d’une alternative à gauche ou, au contraire, qu’elles privilégient la continuité, sous l’ombre suffisamment protectrice du Parti socialiste.
Entendant demeurer un parti d’élus, le PCF n’a que timidement adhéré au cours de la campagne à la position tribunitienne de Jean-Luc Mélenchon, visant à faire de ces élections une plate-forme d’opposition au gouvernement socialiste. Ce tropisme structurel du PCF vers son allié socialiste et la prise de distance conjointe à l’égard du Front de gauche se sont d’ailleurs accentués au second tour, dans la perspective de conserver le plus grand nombre de municipalités. Au demeurant, notons que si, la plupart du temps, le Parti socialiste a soutenu dès le premier tour les équipes communistes sortantes, il a pu dans certaines communes tenter de lui porter l’estocade, en dépit d’un contexte qui lui était particulièrement défavorable. L’initiative en revient à des sections locales socialistes motivées par des résultats encourageants obtenus lors des dernières élections législatives. Du côté du PCF, les revers électoraux essuyés lors des cinq dernières échéances municipales ont fini par avoir raison de tout esprit de conquête. À la veille du scrutin, ils ont nourri, au contraire, des attitudes privilégiant la continuité, dans la perspective de conserver les 27 villes à direction communiste de plus de 30 000 habitants [2] et les 186 villes de plus de 3 500 habitants.
La poursuite du reflux
Au sortir de ces élections, on peut dire que, loin d’être en mesure de mobiliser un vote d’alternative au gouvernement socialiste, les villes détenues par le PCF ont, elles aussi, été confrontée à une progression de la droite, sortie victorieuse dans plusieurs municipalités à direction communiste [3]. Au lendemain du second tour, L’Humanité tempérait cet échec en comparant ces résultats avec ceux qu’avait essuyé le PCF lors des précédents scrutins [4]. Il n’en reste pas moins que, au niveau national, le déclin communiste se confirme, quelles que soient les régions et la taille des communes.
Ainsi, le Front de gauche ne détient plus désormais que 22 villes de plus de 30 000 habitants [5]. Plus globalement, dans les villes de plus de 3 500 habitants, le PCF compte désormais 134 mairies, soit une cinquantaine de moins qu’en 2008. Les très rares (re)conquêtes sont loin de compenser des pertes importantes, majoritairement au profit de la droite, comme à Aubagne. Le reflux est particulièrement visible dans les départements où le PCF est historiquement le plus présent. Les deux départements du Nord–Pas-de-Calais perdent à eux seuls quatorze mairies communistes.
La situation de l’ancienne banlieue rouge est symptomatique de la « vague bleue » qui n’a pas épargné les territoires communistes. Certes, deux anciens fiefs perdus en 2008, Aubervilliers et Montreuil, reviennent dans le giron communiste après une mandature exercé par le PS et EELV. Mais dans le même temps, dans ce département de la Seine-Saint-Denis, autrefois bastion du communisme municipal, le PCF perd cinq villes – et, parmi elles, des villes emblématiques comme Saint-Ouen ou Bobigny, siège de la préfecture. Au total, dans le « 93 », le PCF administre désormais 300 000 habitants de moins qu’en 2008. Dans le Val-de-Marne, la droite remporte trois villes communistes, dont Villejuif, pourtant détenue depuis 1925 et où Georges Marchais fut député jusqu’en 1997. C’est aussi dans ce département que s’observe le mieux la très grande variabilité des alliances électorales conclues par EELV. Dans la majorité des cas, le parti écologiste a intégré les listes d’union de la gauche menée par le PCF, comme à Ivry-sur-Seine où le PS s’est alors trouvé sans allié de poids pour livrer une véritable concurrence au parti en place. Mais dans quatre villes communistes du département, en l’absence d’une liste menée par le Parti socialiste, c’est EELV qui affrontait au premier tour celle du Front de gauche.
C’est paradoxalement dans le département des Hauts-de-Seine, là où il ne restait au PCF plus que quatre villes, que ces dernières ont le mieux résisté, au bénéfice d’une liste d’union incluant le PS. À Nanterre, Gennevilliers, Bagneux ou Malakoff, il n’aura fallu qu’un seul tour pour que la majorité sortante soit réélue, le plus souvent avec un score largement supérieur à la moitié des suffrages exprimés. Un des principaux facteurs de la reconduite des équipes communistes tient donc bel et bien aux négociations interpartisanes qui se décident en amont du scrutin et qui permettent non seulement de tenir en lisière les ambitions électorales des partenaires/concurrents de gauche, mais aussi de faire plus facilement barrage à la droite lorsque la conjoncture nationale est défavorable (Bué 2009).
Au final, alors même que le PCF avait décidé en 2012 de ne pas participer au gouvernement, il a malgré tout subi le désaveu général adressé à l’ensemble de la gauche. Lorsque la conjoncture nationale était plutôt favorable à la gauche, c’était le plus souvent le Parti socialiste qui grignotait « l’archipel communiste », pour reprendre la judicieuse métaphore de Roger Martelli (2008). En 2014, à la faveur d’un contexte national favorable, la droite grignote à son tour ce qu’il reste des « villes rouges ». Au sein de la coalition FG, les trois maires réunis – au moins un temps – sous l’étiquette de la Fédération pour une alternative sociale et écologique ont été réélus, même si le second tour fut parfois très serré, comme à Saint-Denis [6]. C’est ainsi que quelques responsables communistes parviennent à maintenir leur influence sur certaines intercommunalités, comme Patrick Braouezec autour de Plaine Commune, deuxième plus importante communauté d’agglomération en Île-de-France en termes d’habitants, où la reconquête d’Aubervilliers est venue compenser la perte de Saint-Ouen.
Dans un contexte de réforme administrative, où les municipalités communistes de la première couronne craignent que le projet de métropole du Grand Paris ne vienne leur soustraire l’essentiel de leurs prérogatives, le transfert des principales compétences des communes à des intercommunalités permet d’activer des ressources matérielles et humaines en vue de maintenir une certaine influence politique (Bué et Desage 2013). En effet, c’est à cette nouvelle échelle que se construit et se diffuse un nouveau modèle de gestion des territoires. Tandis que le pouvoir municipal communiste avait fondé sa légitimité politique à l’intérieur des frontières géographiques et symboliques de la commune, ce déplacement d’échelle vient supplanter l’ancien modèle de politisation des populations résidentes, mais sans toutefois parvenir à résorber la désaffiliation sociopolitique qui affecte les milieux populaires.
Deux principaux résultats se dégagent de cette analyse. En premier lieu, ces élections municipales ont mis au jour toute l’ambiguïté du PCF dans sa participation au Front de gauche. En effet, afin de préserver un de ses principaux atouts – à savoir son réseau d’élus locaux – ce parti a conclu des alliances à géométrie variable, mettant potentiellement à mal la cohérence d’un projet politique d’envergure nationale porté par le Front de gauche. Alors que les négociations en vue de la constitution des listes aux élections européennes du printemps dernier ont connu, elles aussi, des difficultés et donné finalement lieu à un résultat national décevant (6,3 % des suffrages), en 2015 les prochains scrutins régionaux et départementaux seront une nouvelle occasion d’apprécier l’évolution du positionnement et de l’influence du PCF et, plus globalement, du Front de gauche. En second lieu, ces résultats électoraux s’inscrivent dans un processus de « départisanisation » du soutien en faveur des équipes communistes et apparentés (Mischi 2002). En effet, la résistance des bastions se fonde bien plus souvent sur une action politique locale – quelquefois très personnalisée – que sur la reconnaissance d’une étiquette partisane. Mais sous l’effet de la progression de l’abstention et du recours aux alliances d’appareils, cette logique de ressourcement par le local (Bellanger et Mischi 2013) pourrait, elle aussi, finir pas s’épuiser.
Bibliographie
- Bellanger, Emmanuel et Mischi, Julian (dir.). 2013. Les Territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Paris : Armand Colin.
- Braconnier, Céline et Dormagen, Jean-Yves. 2014. « Ce que s’abstenir veut dire », Le Monde diplomatique, mai, p. 1 et p. 4.
- Bué, Nicolas. 2009. « Les accords de coalition dans une municipalité d’union de la gauche. Contribution à l’étude de la régulation des rapports coalitionnnels », Politix, vol. 22, n° 88, p. 105‑131.
- Bué, Nicolas et Desage, Fabien. 2013. « Les élus communistes et l’intercommunalité : chronique d’un “ralliement” non annoncé », in Bellanger, Emmanuel et Mischi, Julian (dir.), Les Territoires du communisme. Élus locaux, politiques publiques et sociabilités militantes, Paris : Armand Colin, p. 223‑246.
- Descamps, Philippe. 2014. « Promesse d’un écosocialisme municipal ? “Le Rouge et le Vert” s’écrit à Grenoble », Le Monde diplomatique, mai, p. 4.
- Martelli, Roger. 2008. L’Archipel communiste. Une histoire électorale du PCF, Paris : La Dispute.
- Mischi, Julian. 2002, « La recomposition identitaire du PCF. Modernisation du parti et dépolitisation du lien partisan », Communisme, n° 72‑73, p. 71‑99.