Alors que la thématique du logement était relativement secondaire dans les programmes du Front national, le Rassemblement national (RN) l’a récemment réinvestie fortement, profitant d’un contexte de crise aiguë, dont les gouvernements néolibéraux précédents sont en grande partie responsables [1].
Mais les propositions du RN en la matière, loin de résoudre la crise de l’accès au logement (offre très insuffisante de logements sociaux, prix élevés dans le parc privé, essor des résidences secondaires aux mains de multipropriétaires et touristification de certains espaces ruraux et littoraux ou urbains-centraux, pénurie de foncier, hausse des prix des matériaux et de l’énergie et resserrement de l’accès au crédit…), ne peuvent que l’accentuer, attisant les divisions et les inégalités dans le pays au détriment de l’ensemble de la population.
Trois grands principes gouvernent les propositions du RN en matière de logement, sur lesquels nous revenons brièvement ici afin d’en montrer les dangers.
La « préférence nationale » dans les attributions de logements sociaux : un diagnostic mensonger, une proposition inefficace et dangereuse
La repolitisation de la question du logement est notamment passée, pour le RN, par la mise en avant de sa revendication ancienne [2] d’une « préférence nationale » dans l’attribution des logements sociaux, qui se heurte pour l’instant à son inconstitutionnalité. Cette proposition s’appuie sur l’affirmation mensongère que les étrangers seraient aujourd’hui favorisés dans l’attribution des logements sociaux, au détriment des demandeurs de nationalité française. 80 % des logements sociaux sont occupés aujourd’hui par des ménages dont la personne de référence est née en France.
Si les immigrés (ménages dont la personne de référence est née à l’étranger mais qui peut être devenue française) sont très légèrement surreprésentés aujourd’hui dans les logements sociaux [3], notamment dans les parties du parc les moins bien entretenues et les moins bien situées, aux loyers les moins élevés, c’est exclusivement parce qu’ils sont aujourd’hui également surreprésentés parmi les plus pauvres de nos concitoyens. Par ailleurs, ils se résolvent à résider dans des quartiers et des immeubles dégradés, dans lesquels les ménages nationaux rechignent à se loger, comme l’ont montré les travaux sur la rénovation urbaine (Lelévrier 2010) ou sur le relogement des ménages prioritaires en vertu du Dalo (Weill 2017).
Les recherches empiriquement fondées (Bonnal, Boumahdi et Favard 2013 ; Sala Pala 2013 ; Bourgeois 2015 ; Desage 2016) montrent toutes en effet, au contraire, que les étrangers sont discriminés lors des attributions de logements sociaux, notamment les plus prisés d’entre eux, situés dans les communes résidentielles périurbaines où s’exerce une « préférence communale » dans le choix des locataires.
Dans le parc privé locatif, là aussi, nombreuses sont les études qui montrent une discrimination systématique des candidat·es étrangers – ou perçus comme tels – par les propriétaires privés ou par les agences immobilières intermédiaires (Le Gallo et al. 2019).
Autrement dit, l’instauration souhaitée d’une « préférence nationale » dans les attributions de logements stigmatiserait encore davantage les étrangers pour un problème dont ils sont victimes et non responsables. Mais elle ne ferait aussi qu’augmenter les difficultés de ces ménages, en les cantonnant dans un parc locatif privé insalubre où ils sont déjà surreprésentés, avec toutes les conséquences connues en matière d’apprentissage des enfants, de santé, etc. (Madec 2016). Ces choix ne résoudraient en rien les difficultés des ménages français, qui souffrent surtout du désinvestissement public dans le logement social et de la dérégulation du marché privé que le RN entend amplifier.
Protéger les propriétaires bailleurs et les communes riches, agiter le miroir aux alouettes de l’accession à la propriété : le parti des rentiers ?
Loin de défendre les ménages modestes français, comme ils le prétendent de manière opportuniste en contexte électoral, les quatre-vingt-huit députés du RN dans l’assemblée sortante ont pris systématiquement la défense des intérêts des multipropriétaires, dont le rôle a été central dans l’augmentation du coût du logement en France et dans les dynamiques spéculatives actuelles. Le groupe RN de l’Assemblée nationale a par exemple voté contre la proposition de loi de janvier 2024 visant à aligner la fiscalité des meublés de tourisme sur celles des locations classiques. Ce texte proposait aussi de conditionner la mise en location de ces logements à un diagnostic de performance énergétique.
Les élus du RN se positionnent également systématiquement pour une diminution des droits de succession, qui favorise très largement la transmission de l’héritage des ménages les plus aisés et réduit d’autant les recettes de l’État. Faut-il rappeler que 87 % des ménages en France transmettent moins de 100 000 euros d’héritage à leurs enfants [4] et qu’à l’inverse les 3,5 % des Français les plus riches possèdent plus de 50 % du parc locatif privé ? Seuls ces derniers seront très largement favorisés par ces mesures, au détriment de tous les autres.
Parmi les autres « cadeaux » que le RN souhaite faire aux rentiers et aux investisseurs privés, on retrouve le projet de suppression des mesures qui contraignent (même modestement) les bailleurs propriétaires de passoires énergétiques à en améliorer l’isolation, avec l’espoir de réduire les factures énergétiques de leurs locataires qui ont drastiquement augmenté ces dernières années. Tout porte donc à croire que cette proposition du RN ne peut que contrecarrer les effets sur lesdites factures de la baisse envisagée de la fiscalité sur l’énergie, un autre point de son programme, là encore, au détriment des plus précaires et de l’ensemble des locataires du parc privé (7,5 millions de ménages en 2021).
Le RN protège également avec constance l’entre-soi des plus riches, en s’opposant à l’exercice de la solidarité nationale en matière de logement. Ses représentants souhaitent démanteler la loi Solidarité Renouvellement Urbain (SRU), en exemptant les villes de moins de 75 000 habitants de toute contrainte de construction de logements sociaux. Les banlieues dorées, comme Neuilly-sur-Seine qui compte 60 000 habitants, pourront ainsi continuer à tenir les plus pauvres à distance, en toute impunité, mais plus largement une grande partie de la population française. Pour rappel, près de 70 % des ménages peuvent légitimement, compte tenu de leurs revenus, déposer une demande de logement social.
De manière plus générale, le RN entend affaiblir la part de ce parc public à faibles loyers en encourageant les bailleurs sociaux à vendre chaque année 1 % des quelque 5 millions de logements qu’ils gèrent. Or, l’ensemble des études menées sur ce type d’initiatives en France et à l’étranger (au Royaume-Uni notamment) montre que ces acquisitions ne sont pas soutenables pour bien des ménages modestes, qui ne disposent pas des moyens financiers nécessaires pour en assurer ensuite l’entretien (Le Garrec 2014). De plus, elles appauvrissent le secteur dans lequel ne demeureraient que les plus pauvres, tout en ouvrant la porte à une privatisation massive au profit de fonds d’investissement vautours aux pratiques spéculatives.
Punir les pauvres, réprimer les quartiers populaires : le choix des injustices et du désordre
Enfin, nombreuses sont les prises de position des représentants du RN en faveur de mesures répressives à l’encontre des locataires les plus pauvres, en particulier dans les quartiers populaires.
Les élus RN ont voté la loi Kasbarian-Berger du 27 juillet 2023, qui réduit les droits des locataires et souhaite accélérer drastiquement les procédures d’expulsions [5], loi dénoncée par la Défenseuse des droits et même par l’ONU (François 2023). Ils expriment régulièrement leur volonté de réduire les politiques à destination des quartiers prioritaires, alors même que ceux-ci pâtissent déjà d’un déséquilibre chronique dans la répartition des investissements publics, dans les domaines de la santé, de l’école, des transports, là aussi largement documenté par la recherche scientifique.
Les propositions récurrentes de couvre-feu pour mineurs, d’envoi des forces armées pour assurer le maintien de l’ordre, de la suppression des allocations, voire de la jouissance d’un logement aux familles de mineurs délinquants, apparaissent dès lors comme la seule réponse aux dynamiques de ségrégation et aux inégalités qui se sont accentuées dans ces quartiers, ou encore aux relations problématiques entre la police et la population (Fassin 2011 ; de Maillard et al. 2024), faute d’investissements publics et de courage politique.
Dans aucun pays, la solution répressive n’a fourni des résultats positifs de long terme, capables de « faire société », et de redonner des perspectives de vie aux habitant·es des quartiers populaires, qu’ils se situent en périphérie des grandes villes ou en zones rurales.
Autrement dit, les solutions sécuritaires et répressives du RN, non seulement ne peuvent résoudre les problématiques de violence et d’illégalismes, mais attisent les faux antagonismes, faisant courir un risque immense pour l’ordre social et la paix civile.
Une nécessaire « grande transformation » des politiques du logement pour combattre l’extrême droite
Cet inventaire non exhaustif permet de mesurer à quel point les annonces du RN se nourrissent des effets des politiques néolibérales de ces dernières années, qui ont fortement contribué à marchandiser le logement à des fins spéculatives. Les réponses de l’extrême droite amplifient ce tournant néolibéral et autoritaire, accentuant les dynamiques d’accumulation et les inégalités à l’origine de la crise actuelle.
À rebours de ces propositions éculées, auxquelles le RN ajoute une xénophobie assumée (« la préférence nationale »), les politiques du logement, comme d’autres politiques sociales, ont besoin aujourd’hui d’une « grande transformation », pour paraphraser le titre de l’ouvrage du grand économiste et anthropologue Karl Polanyi (1983).
La « grande transformation » décrit le retournement majeur qui survint en Europe après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les sociétés dévastées par la guerre mettent en place des États sociaux et affirment des droits fondamentaux, afin de rompre avec le libéralisme du XIXe siècle et son corollaire – l’explosion des inégalités – à l’origine de la montée des fascismes.
Reconstruire une politique du logement plus redistributive, solidaire, promouvoir la justice et l’égalité pour l’ensemble des citoyen·nes et l’accès à un logement digne pour toutes et tous, est le seul chemin pour refonder nos sociétés et les extirper, aujourd’hui comme il y a 100 ans, des ornières et des chimères identitaires.
Bibliographie
- Bonnal, L., Boumahdi, R. et Favard P. 2013, « Inégalités d’accès au logement social : peut-on parler de discrimination ? », Économie et statistique, n° 464-466, p. 15-33.
- Bourgeois, M. 2015. « Catégorisations et discriminations au guichet du logement social : une comparaison de deux configurations territoriales », in P.-Y. Baudot et A. Revillard (dir.), L’État des droits. Politique des droits et pratiques des institutions, Paris : Presses de Sciences Po, p. 177-210.
- De Maillard, J., Roché, S., Jardin, A., Noble, J. et Zagrodzki, M. 2024. « Déontologie et relations police-population : les attitudes des gendarmes et des policiers », Rapport pour la Défenseure des droits.
- Desage, F. 2016. « “Un peuplement de qualité”. Mise en œuvre de la loi SRU dans le périurbain résidentiel aisé et discrimination discrète », Gouvernement et action publique, vol. 5, n° 3, p. 83-112.
- Fassin, D. 2011. La Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Paris : Éditions du Seuil.
- François, C. 2023. De gré et de force. Comment l’État expulse les pauvres, Paris : La Découverte.
- Le Gallo, J., L’Horty, Y., du Parquet, L. et Petit, P. 2019. « Les discriminations dans l’accès au logement en France : un testing sur les aires métropolitaines », Économie et statistiques, n° 513, p. 27-45.
- Le Garrec, S. 2014. « Les copropriétés en difficulté dans les grands ensembles. Le cas de Clichy-Montfermeil », Espaces et sociétés, n° 156-157, p. 53-68.
- Lelévrier, C. 2010. « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou re-concentration ? », Espaces et sociétés, n° 140-141, n° 1-2, p. 59-74.
- Madec, P. 2016. « Quelle mesure du coût économique et social du mal-logement ? », Revue de l’OFCE, n° 146, p. 125-155.
- Polanyi, K. 1983. La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris : Gallimard.
- Sala Pala, V. 2013. Discriminations ethniques. Les politiques du logement social en France et au Royaume Uni, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Weill, P.-É. 2017. Sans toit ni loi ? Genèse et conditions de mise en œuvre de la loi DALO, Rennes : Presses universitaires de Rennes.