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Le PCF entre ancrage local et déclin national : le cas d’Échirolles

Enregistrant un déclin continu de ses scores aux présidentielles depuis une trentaine d’années, le PCF compte pourtant de nombreux élus locaux disposant d’un solide ancrage territorial. Une enquête dans la banlieue rouge de Grenoble permet de comprendre les raisons de ce paradoxe apparent.


Dossier : Les territoires du vote

Séparés de moins d’un an, deux résultats électoraux récents semblent montrer l’existence d’un paradoxe électoral à Échirolles (Isère) : lors des élections législatives de 2007, le candidat du PCF (Parti communiste français) rassemble 4 % des suffrages exprimés, alors qu’en mars 2008 les élections municipales sont remportées dès le premier tour par la liste conduite par le maire communiste sortant, à 57 % des suffrages exprimés [1]. L’existence d’un « électorat communiste » semble ainsi questionnée par ce décalage entre les scrutins nationaux et municipaux. Comment expliquer un tel écart ? Y a-t-il des logiques différenciées qui sous-tendent les votes en fonction des enjeux des différentes consultations électorales, et notamment de l’échelon territorial concerné ?

L’étude du cas presque idéal-typique d’Échirolles, commune de la banlieue rouge grenobloise, révèle différentes logiques qui sous-tendent les orientations des votes lors des scrutins nationaux et municipaux. Elle conduit à intégrer l’ancrage local des municipalités communistes comme facteur explicatif des votes lors des scrutins locaux.

Succès locaux, revers nationaux : les scores électoraux divergents des communistes

L’analyse des résultats des premiers tours des élections présidentielles et municipales montre le décalage grandissant des scores réalisés par les candidats locaux et nationaux du PCF, entre effondrement national et maintien municipal. Dans le jeu politique national, le déclin du PCF semble inexorable : après avoir dépassé 25 % des suffrages aux élections législatives sous la IVe République, le score du PCF passe de 21,3 % des suffrages exprimés à l’élection présidentielle de 1969 à 15,5 % en 1981, pour atteindre moins de 2 % en 2007. À Échirolles, le vote communiste aux élections présidentielles se maintient toutefois à un niveau plus élevé qu’en moyenne nationale : de 1981 jusqu’à 2007, les candidats communistes y réalisent environ le double de leur score national. Le déclin est néanmoins visible, comme l’est la percée relative des votes en faveur des extrêmes – Front national et partis d’extrême gauche – entre 1988 et 2002 [2].

En regard de ces évolutions, la stabilité du PCF aux élections municipales à Échirolles est remarquable : depuis la Libération, la mairie est administrée par le PCF, puis par des listes d’union de gauche menées par le parti, avec de larges majorités obtenues dès le premier tour. En outre, malgré un enracinement variable du vote communiste dans les différents quartiers de la ville, la tendance est sensiblement identique partout avec un fort déclin de ce vote au niveau national et un maintien au niveau municipal.

Résultats aux élections présidentielles à Échirolles (1981-2007)
Note : Résultats du premier tour en pourcentage des suffrages exprimés.

Cette évolution doit, en partie, être rapportée à l’histoire de la commune et à l’évolution de son peuplement : lorsque la ville était constituée de quartiers ouvriers et de l’ancien village, les communistes dominaient très largement les scrutins. Puis leurs résultats se sont étiolés au fur et à mesure du développement urbain et de la construction des quartiers résidentiels, des grands ensembles et de nouvelles usines [3]. Suite au déclin de la population de la ville sous l’effet de la crise industrielle à partir des années 1980, des projets de réaménagement urbain et de construction immobilière ont été menés dans les années 1990, qui ont permis d’attirer de nouvelles populations, tendant à réduire la composante ouvrière de la ville, avec notamment la création d’un nouveau centre-ville. Toutefois, si les classes populaires perdent du terrain dans la composition de la population locale [4], elles restent très présentes dans la ville, avec 26 % d’ouvriers et 31 % d’employés dans la population active en 2006 [5] ; en outre, le taux de chômage atteint alors 14 %, et certains quartiers comptent jusqu’à 30 % d’immigrés. Les évolutions de la démographie et de la composition de la ville combinent plusieurs phénomènes structurants de la société française – net déclin du monde ouvrier, augmentation du chômage et embourgeoisement de certains quartiers – qui ne sont pas sans répercussions sur le vote.

Enfin, dernière pièce de l’ordre politique local échirollois, les conflits internes au PCF entraînent une crise politique qui aboutit, lors des législatives de 2007, à la perte de la circonscription par les communistes. Le maire communiste d’Échirolles, héritier politique du précédent député (par ailleurs ancien maire de la ville), désapprouve alors la désignation comme candidat du maire communiste d’une ville voisine par la section locale du PCF et présente une candidature dissidente. Ce conflit cause l’éclatement des votes communistes, contribuant ainsi à la victoire du candidat socialiste. La répartition des suffrages à Échirolles entre les deux candidats témoigne alors du poids de l’ancrage local du parti : le maire de la commune recueille 32 % des suffrages exprimés, le candidat « officiel » du PCF seulement 4 %. Dans cette configuration, le vote pour un candidat ancien adhérent du PCF s’apparente plus à la reconnaissance d’une équipe en place et de sa gestion des affaires municipales qu’à un vote de conviction ou de soutien, confirmant l’idée d’une personnalisation croissante de la vie politique municipale (Le Bart 2003).

L’hypothèse d’un vote d’adhésion aux idéaux communistes, qui serait appuyé sur l’affiliation partisane et sur la structuration de l’espace politique local par le parti, semble donc largement remise en cause à Échirolles. Néanmoins, les travaux sur les banlieues rouges (Fourcaut 1986) avaient déjà montré que la constitution des fiefs électoraux du PCF reposait avant tout sur le dynamisme de l’action municipale, tournée vers la redistribution des ressources, plus que sur l’adhésion à l’idéologie communiste. Quels sont les fondements sur lesquels repose l’ordre politique local échirollois qui permettent d’éclairer la géométrie variable des résultats des candidats nationaux et locaux du PCF ?

Les déterminants locaux des votes en faveur des élus communistes

Les discours des habitants d’Échirolles [6], que ces derniers soient sympathisants communistes ou non, reflètent les logiques distinctes lors des scrutins nationaux et municipaux. L’hypothèse du réalisme des électeurs, qui voteraient « utile » lors des élections présidentielles, conscients de la faiblesse du parti, et exprimeraient leur attachement partisan aux élections municipales, pourrait être une explication du décalage entre les scores nationaux et locaux du PCF. Mais les propos des électeurs mettent en évidence une configuration toute autre. En effet, la candidate communiste à l’élection présidentielle de 2007 est moins desservie par la concurrence du PS que par son manque de crédibilité aux yeux des électeurs rencontrés. Ainsi, Marie-George Buffet peine à se positionner parmi les « petits candidats », étant fréquemment devancée par les autres candidats d’extrême-gauche. Cette difficulté à mobiliser les électeurs repose largement sur l’image négative d’un parti devenu, pour les enquêtés, « anachronique », n’ayant pas su se moderniser et se dégager des structures pesantes du passé. Même parmi les électeurs sensiblement ancrés à gauche, le discours communiste ne séduit plus : ce discours semble trop focalisé sur les problèmes sociaux, loin des « réalités » économiques. Ainsi, lors des scrutins d’enjeu national, le vote communiste s’apparente à un vote de militants et de sympathisants fortement convaincus, et donc fortement restreint. On sait, en effet, que les relais locaux du parti se sont effrités au cours des années 1980 et 1990 dans de nombreuses villes communistes sous les effets conjugués de la professionnalisation des élus, des transformations de la sociabilité locale et de la précarisation de fractions croissantes des classes populaires (Mischi 2002 ; Masclet 2006).

Inversement, à l’échelle municipale, Échirolles reste une ville « communiste », d’abord par sa gestion municipale, régulièrement évoquée dans les discours des habitants enquêtés, qu’ils soient plus ou moins familiers de cette action, qu’ils l’apprécient ou la critiquent. Les habitants dressent tout d’abord le portrait d’une action publique communiste qui se caractérise par une action intensive et volontariste dans les domaines scolaires, sociaux et culturels. Ils caractérisent aussi l’action municipale par la volonté de la mairie de mettre en place de dispositifs d’écoute ou de participation des habitants sur les projets d’urbanisme comme sur la vie quotidienne des quartiers. Ces marqueurs politiques ont également leurs revers : une forte pression fiscale, une action « trop » sociale, qui gagnerait à être ouverte aux classes moyennes et, enfin, un usage de « façade » des dispositifs de concertation pour satisfaire à la « figure imposée » de la démocratie participative sont autant de critiques formulées par certains habitants, malgré une satisfaction générale vis-à-vis du volontarisme municipal.

Parallèlement aux marqueurs politiques, clairement associés par les habitants enquêtés à l’action publique municipale, l’identification à une image positive de la ville est aussi importante. Alors qu’Échirolles est le plus souvent définie par ses « quartiers sensibles » dans la presse locale et parfois nationale, la réputation « d’insécurité » de la ville est largement décrite par les habitants comme « exagérée » : au contraire, la ville peut constituer un cadre de vie agréable, enrichi notamment par la grande diversité sociale et la pluralité des origines migratoires de la population, les principaux aspects négatifs relevant de nuisances liées à l’urbanisation croissante de la ville et celles liées aux incivilités des « jeunes ». Le soutien de la mairie à la « diversité culturelle », rendu visible notamment par le journal municipal, est régulièrement cité par les habitants comme un outil de transmission d’une image multiculturelle ; de la même façon, plusieurs parents reviennent sur la diversité des origines sociales dans les écoles, perçue comme positive pour les enfants. Au final, les habitants enquêtés valorisent la gestion municipale communiste, très largement mobilisée lorsqu’ils expliquent leur soutien aux listes de gauche dirigées par le PCF lors des élections municipales.

En conclusion, bien que l’offre partisane du PCF ne fasse plus sens pour une large majorité des électeurs lors des consultations nationales, les élus issus de ce parti conservent un ancrage indéniable dans des communes lui étant historiquement acquises, où nombre d’habitants leur accordent encore leur confiance pour la gestion des affaires locales et la « défense » de l’image de la ville. Le cas d’Échirolles, l’un des territoires d’attache du PCF, reflète ces processus. Le communisme municipal a toujours mêlé des déterminants partisans et un ancrage local lié à l’action des municipalités. L’implantation politique des équipes municipales communistes repose sur la combinaison d’éléments concrets, vécus au quotidien, et sur le soutien apporté à une gestion municipale, débouchant parfois sur l’affiliation partisane d’une partie des habitants. Mais cet ordre politique local, visible à Échirolles, ne constitue, cependant, plus un relais suffisant pour favoriser ensuite, au sein de ce territoire, les responsables nationaux du PCF lors des présidentielles. À l’heure d’une nationalisation et d’une présidentialisation accrue de la vie politique française, la compréhension des ordres politiques locaux permet ainsi d’enrichir l’appréhension des logiques du vote.

Bibliographie

  • Braconnier, C. et Dormagen, J.-Y. 2007. La démocratie de l’abstention : aux origines de la démobilisation en milieu populaire, Paris : Gallimard.
  • Fourcaut, A. 1986. Bobigny, banlieue rouge, Paris : Presses de la Fondation nationale de sciences politiques.
  • Fourcaut, A. (dir.). 1992. Banlieue rouge 1920-1960. Années Thorez, années Gabin : archétype du populaire, banc d’essai des modernités, Paris : Autrement.
  • Le Bart, C. 2003. Les Maires. Sociologie d’un rôle, Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
  • Masclet, O. 2006. La gauche et les cités : enquête sur un rendez-vous manqué, Paris : La Dispute.
  • Mischi, J. 2002. Structuration et désagrégation du communisme français. 1920-2002 : usages sociaux du parti et travail partisan en milieu populaire, Paris : EHESS.
  • Mischi, J. 2007. « Pour une histoire sociale du déclin du PCF », in Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris : Presses de Sciences Po, p. 61-101.
  • Mischi, J. 2010. Servir la classe ouvrière : sociabilités militantes au PCF, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
  • Nez, H. et Talpin, J. 2010. « Généalogies de la démocratie participative en banlieue rouge : un renouvellement du communisme municipal en trompe-l’œil ? », Genèses, vol. 2, n° 79, p. 97-115.
  • Perrineau, P. et Ysmal, C. (dir.) 1995. Le vote de crise : l’élection présidentielle de 1995, Paris : Presses de Sciences Po.
  • Platone, F. et Rey, H. 1996. « Le FN en terre communiste », in Mayer et Perrineau (dir.), Le Front national à découvert, Paris : Presses de Sciences Po, p. 268–283.

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Pour citer cet article :

Jessica Sainty, « Le PCF entre ancrage local et déclin national : le cas d’Échirolles », Métropolitiques, 18 avril 2012. URL : https://metropolitiques.eu/Le-PCF-entre-ancrage-local-et-declin-national-le-cas-d-Echirolles.html

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