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L’attachement à l’école des familles sans logement à l’épreuve de l’instabilité résidentielle

Vivre en hôtel social peut représenter une épreuve pour les familles qui y sont logées. Depuis quelques années, la dégradation des conditions d’hébergement est d’autant plus marquée pour les enfants qui partagent le sort de leur famille. Si aller à l’école représente pour eux un ultime ancrage à un quotidien ordinaire, le texte d’Erwan Le Méner et Nicolas Oppenchaim montre qu’il n’est pas aisé pour ces enfants de pouvoir être scolarisé et que, pour eux comme pour leurs familles, « l’école est un point fixe » dans une vie marquée par l’instabilité résidentielle.

Dossier : Les vulnérabilités résidentielles en questions

Les familles constituent une part croissante et méconnue de la population sans domicile (Guyavarch et al. 2014). En Île-de-France, 17 662 enfants de moins de 13 ans, dont un tiers âgés de 6 à 12 ans [1], vivent aujourd’hui avec leurs parents dans des structures d’hébergement, principalement dans des hôtels sociaux payés par l’État ou le conseil départemental. La pauvreté de ces enfants peut être traitée sous deux angles (Guyavarch et al. 2014) : celui de la faiblesse des ressources matérielles, et d’une forte vulnérabilité résidentielle. Cette vulnérabilité renvoie aussi bien à des conditions d’hébergement dégradées qu’à une importante instabilité résidentielle, touchant plus particulièrement les enfants hébergés en hôtel et ceux pour qui l’absence de logement est relativement récente [2].

Nous avions constaté au cours d’une enquête de terrain de longue durée et d’enquêtes par entretiens que cette instabilité résidentielle renforçait l’ancrage quotidien autour de l’école, aussi bien pour les enfants que pour les parents (Le Méner et Oppenchaim 2015). Les enfants sont ainsi extrêmement attachés à l’école. Ils y ont la plupart de leurs copains et des amitiés qui durent davantage que celles nouées au sein de leur structure d’hébergement. Ils y ont des confidents, camarades ou enseignants. Ils y trouvent des espaces d’apprentissages et de découverte, en classe, à la bibliothèque ou encore au gré des sorties scolaires. Traités à certains égards comme des adultes dans leur centre ou leur hôtel, ils apprécient d’être considérés à l’école comme des enfants ordinaires (Le Méner 2015).

Si l’école joue un rôle de point fixe pour les enfants sans logement, y accéder n’est pas toujours aisé. Ainsi, nous montrerons dans cet article les conséquences néfastes de l’instabilité résidentielle sur l’accès des enfants à l’école. Nous verrons qu’elle explique en partie l’absence de scolarisation d’un certain nombre d’entre eux. Plus largement, elle suppose bien souvent une scolarisation en dehors de la commune de résidence. Cette disjonction entre lieux de résidence et lieux de scolarisation n’est pas sans répercussions sur les apprentissages des enfants et l’organisation familiale, en particulier sur la gestion des déplacements domicile–école. Si l’enquête (cf. encadré ci-dessous) confirme l’importance de l’école pour les enfants, elle permet aussi de mesurer les contrecoups de l’investissement familial autour de la scolarisation, en particulier pour des enfants fortement mobiles ou éloignés de leur établissement scolaire.

La non-scolarisation et l’instabilité résidentielle

Les enfants sans logement vivent dans des ménages pauvres monétairement [3], qui se caractérisent par leur forte instabilité résidentielle et l’absence de maîtrise de la localisation géographique des hébergements (Le Méner et Oppenchaim 2012 ; Guyavarch et al. 2014). Début 2013, 10,2 % des enfants sans logement âgés de 6 à 12 ans ne sont pas scolarisés. Cette valeur atteint même trois points de plus pour les enfants habitant en hôtel social, qui représentent près des trois quarts des enfants sans logement. Tous ces enfants déclarent vouloir retourner à l’école. À titre de comparaison, on estime qu’environ 1 % des enfants sont exclus de l’enseignement primaire en France (UNESCO 2014).

La non-scolarisation des enfants hébergés est associée à l’instabilité résidentielle. Ainsi, 21,1 % des enfants qui ont déménagé plus d’une fois durant les douze derniers mois ne sont pas scolarisés, contre 9,6 % de ceux qui ont déménagé une fois, et 3,9 % des enfants n’ayant pas déménagé. Ces données doivent être manipulées avec précaution, en raison des faibles effectifs concernés et des caractéristiques de l’instabilité résidentielle, variable selon les fournisseurs d’hébergement mais globalement décroissante au fur et à mesure de la durée d’hébergement (Guyavarch et al. 2014). La non-scolarisation tend à diminuer avec la stabilité résidentielle, quoiqu’elle demeure à un niveau élevé : ainsi, 3,3 % des enfants vivant depuis plus de six mois dans le même hébergement ne sont pas scolarisés. L’effet de l’instabilité résidentielle sur l’absence de scolarisation est ainsi fortement lié à une arrivée récente dans le système d’hébergement des personnes sans logement, et plus largement en France. Ainsi, les enfants dont les parents sont arrivés en France il y a moins d’un an sont 29,8 % à ne pas être scolarisés et ceux dont les parents sont arrivés il y a entre un et deux ans sont 16 % dans ce cas. À l’inverse, 4,4 % des enfants dont les parents sont arrivés en France il y a plus de deux ans ne sont pas scolarisés, chiffre qui reste néanmoins considérable.

Au final, l’absence de scolarisation d’une partie importante des enfants sans logement semble donc être le résultat de quatre variables interdépendantes : des déménagements trop fréquents, qui compliquent les démarches d’inscription (quatre familles sur dix apportent cette explication) ; des difficultés linguistiques et la non-connaissance des démarches d’inscription (c’est l’explication fournie par deux parents sur cinq et un enfant sur dix) ; des difficultés d’inscription liées à l’absence de domiciliation (près d’un quart des familles avancent cette explication, notamment celles qui vivaient dans un campement avant d’être pris en charge) ; enfin, le refus de certaines communes d’accueillir les enfants, lorsqu’elles n’ont pas les capacités financières de faire face à un afflux de nouveaux inscrits (explication avancée par une famille sur dix). Notons à cet égard que, sur les quinze enfants non scolarisés de notre échantillon brut, trois ne savent pas pourquoi ils ne vont pas à l’école.

Aller à l’école loin de chez soi

Pour les enfants scolarisés rencontrés, l’école est bien souvent éloignée du lieu d’hébergement de leurs parents. Deux enfants sur dix scolarisés le sont en dehors de leur commune de résidence. À titre de comparaison, seuls 13,5 % des enfants franciliens âgés de 6 à 12 ans ne sont pas scolarisés dans leur commune d’après l’Enquête globale transport de 2010 (OMNIL 2012) [4]. Ce décalage est d’autant plus fort que les familles déménagent : 27,6 % des familles ayant déménagé dans l’année ont un enfant scolarisé en dehors de leur commune, contre 13,3 % des familles n’ayant pas déménagé. Lorsque l’on demande aux parents la raison de la scolarisation en dehors de la commune de résidence, ressort principalement la volonté de ne pas perturber la scolarité de l’enfant, en imposant un changement d’école qui ne réponde pas à une stabilisation résidentielle. Les parents s’efforcent, comme nous l’avons vu dans des enquêtes qualitatives, de préserver la scolarisation de leurs enfants des à-coups du système d’hébergement. L’école constitue même un pivot dans la vie quotidienne et la socialisation des enfants (Le Méner et Oppenchaim 2015). Néanmoins, l’investissement dans l’école face à la privation de logement et à l’instabilité résidentielle n’est pas sans conséquences sur le plan des apprentissages et de l’organisation de la vie quotidienne.

À l’école de l’endurance

Les enfants sans logement se réveillent en moyenne à 7 h 10. L’heure de lever est cependant très variable selon les enfants, en fonction notamment de la localisation de l’école. Ainsi, 32,4 % des enfants scolarisés en dehors de leur commune se lèvent avant 6 heures en semaine, contre 1,7 % de ceux qui sont scolarisés dans leur commune. Inversement, 13 % de ceux scolarisés en dehors de leur commune se lèvent après 7 heures, contre 45 % de ceux qui sont scolarisés dans leur commune. Logiquement, les enfants scolarisés dans une autre commune ont des temps de sommeil moins importants : un quart d’entre eux dorment moins de neuf heures par nuit contre 3,5 % des enfants scolarisés dans leur commune.

Le découplage entre l’école et l’hébergement se lit également dans l’utilisation plus fréquente des transports en commun, notamment du bus, par rapport aux enfants franciliens de leur âge (OMNIL 2012). Pour aller à l’école, 22,4 % des enfants sans logement empruntent le bus (5,1 % en moyenne pour les enfants franciliens), 8,9 % le métro (0,8 % pour les enfants franciliens) et 5,4 % le RER ou le train (0,4 % pour les autres enfants). À l’inverse, l’usage de la voiture est quasi exceptionnel (il ne concerne que 2 % d’entre eux, alors que près d’un quart des enfants franciliens y a recours). Si la marche est la principale façon se rendre à l’école (pour 66,9 % des enfants sans logement), elle concerne bien moins les enfants exposés à l’instabilité résidentielle. Ceux-ci se rendent avant tout à l’école en transports en commun : 75,2 % des enfants n’ayant pas déménagé dans l’année se rendent à pied à l’école, 54,2 % parmi ceux qui ont déménagé au moins une fois. Globalement, le temps de trajet pour aller à l’école est élevé : 17,9 % des enfants sans logement mettent plus d’une demi-heure pour se rendre en classe, contre 3,9 % chez les enfants franciliens âgés de 6 à 12 ans (OMNIL 2012). Les enfants sans logement scolarisés dans une autre commune que celle où ils résident sont 77,1 % dans ce cas. Il n’est pas étonnant, alors, que les retards à l’école soient courants : plus d’un tiers des enfants disent arriver après le début de la classe au moins une fois par semaine (37,2 % pour ceux qui ne sont pas scolarisés dans leur commune de résidence). Ce découplage entre l’école et l’hébergement n’est probablement pas sans incidence sur les apprentissages des enfants : si un tiers des parents dont les enfants sont scolarisés dans leur commune de résidence estiment qu’ils ont des difficultés à l’école, 54,1 % de ceux scolarisés en dehors partagent cette évaluation.

Si les enfants et leurs parents sans logement tiennent l’école pour un point fixe, dans un moment de leur vie soumis à d’imprévisibles à-coups, ils s’exposent néanmoins aux conséquences de l’instabilité résidentielle et d’un possible éloignement entre lieu de résidence et école. Cette tension a été notée dans des travaux de sciences sociales menés à l’étranger auprès de familles sans logement (Keogh et al. 2006 ; Kirkman et al. 2010 ; Masten et al. 2014). Ses effets prennent différentes formes : non-scolarisation, allongement et complication des trajets entre le domicile et l’établissement scolaire, ou encore retards à l’école. À ces effets s’ajoutent des conditions d’habitation peu favorables aux apprentissages, comme l’étroitesse et le partage de la chambre, ou encore l’absence en général, du moins en hôtel social, de lieu dédié aux devoirs. Cette conjonction de conditions d’hébergement dégradées et d’une forte instabilité résidentielle ne se répercute pas seulement sur le rapport à l’école des enfants sans logement. Elle configure également leurs relations de sociabilité là où ils habitent et dans leur quartier, et comporte des effets importants sur leur santé (Guyavarch et al. 2014).

Quelques mots sur l’enquête

Nous nous appuyons ici, à titre principal, sur une enquête quantitative de sciences sociales et d’épidémiologie portant sur un échantillon aléatoire de 801 familles, hébergées en centre d’hébergement d’urgence, en centre d’hébergement et de réinsertion sociale, en centre d’accueil pour demandeurs d’asile ou en hôtel social, en Île-de-France [5]. Entre janvier et mai 2013, un parent et un enfant de chaque famille ont été interrogés. En particulier, un sous-échantillon de 228 enfants de 6 à 12 ans, c’est-à-dire scolarisables dans le primaire, s’est vu administrer un questionnaire direct d’une trentaine de minutes. Celui-ci s’intéressait notamment aux relations amicales des enfants, à leur vie à l’hôtel et aux alentours de l’établissement, ainsi qu’à leur rapport à l’école. Les parents étaient également interrogés sur les pratiques scolaires et extrascolaires de leurs enfants, ainsi que sur leur trajectoire résidentielle.

Bibliographie

  • Fijalkow, Y. 2013. « Crises et mal-logement : réflexions sur la notion de vulnérabilité résidentielle », Politiques sociales et familiales, n° 114, p. 31‑38.
  • Guyavarch, E., Le Méner, E. et Vandentorren, S. (dir.). 2014. Rapport d’enquête ENFAMS. Enfants et familles sans logement en Île-de-France, Paris : Observatoire du Samu social de Paris, octobre.
  • Keogh, A. F., Halpenny, A. M. et Gilligan, R. 2006. « Educational issues for children and young people in families living in emergency accommodation. An Irish perspective », Children and Society, vol. 20, n° 5, p. 360‑375.
  • Kirkman, M., Keys, D., Bodzak, D. et Turner, A. 2010. « “Are we moving again this week ?” Children’s experiences of homelessness in Victoria, Australia », Social Science & Medicine, vol. 70, n° 7, p. 994‑1001.
  • Le Méner, E. 2015. « Vivre à l’hôtel quand on est un enfant », Métropolitiques, 17 avril.
  • Le Méner, E. et Oppenchaim, N. 2012. « The temporary accommodation of homeless families in Île-de-France : between social emergency and immigration management », European Journal of Homelessness, vol. 6, n° 1, aôut, p. 83‑103.
  • Le Méner, E. et Oppenchaim, N. 2015. « Pouvoir aller à l’école. La vulnérabilité résidentielle d’enfants vivant en hôtel social », Les Annales de la recherche urbaine, n° 110 [à parâitre].
  • Masten, A. S., Cutuli, J. J., Herbers, J. E., Hinz, E., Obradović, J. et Wenzel, A. J. 2014. « Academic risk and resilience in the context of homelessness », Child Development Perspectives, vol. 8, n° 4, p. 201‑206.
  • Observatoire de la mobilité en Île-de-France (OMNIL). 2012. Enquête globale transport 2010, Paris : Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF), Direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Île-de-France (DRIEA) et Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-ÎdF).
  • UNESCO. 2014. Enseigner et apprendre : atteindre la qualité pour tous, Paris : Éditions UNESCO.

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Pour citer cet article :

Erwan Le Méner & Nicolas Oppenchaim, « L’attachement à l’école des familles sans logement à l’épreuve de l’instabilité résidentielle », Métropolitiques, 15 juin 2015. URL : https://metropolitiques.eu/L-attachement-a-l-ecole-des-familles-sans-logement-a-l-epreuve-de-l-instabilite.html

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