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Terrains

Au nom de l’attractivité métropolitaine

Sacrifices et rituels du renouvellement urbain par grand projet

Comparant deux projets de renouvellement urbain à Lille et Hambourg, Clément Barbier montre que la mise en scène de l’attractivité par les pouvoirs locaux contraste avec leur impuissance à attirer entreprises et nouveaux habitants, cette politique n’étant par ailleurs pas sans effets sur les espaces populaires concernés.


Dossier : Le mythe de la métropole attractive

Depuis le début des années 1990 en Europe, l’injonction à promouvoir « l’attractivité des territoires » semble s’être généralisée à tous les niveaux de gouvernement. Dans plusieurs agglomérations, dont celles de Lille (France) et de Hambourg (Allemagne), l’affirmation de la « promotion de l’attractivité » comme nouvel impératif des politiques publiques marque un tournant de l’histoire du développement des « quartiers défavorisés ». Face au constat de l’échec des politiques de géographie prioritaire censées résoudre ce « problème des quartiers », cet objectif de développement social local a en effet été progressivement intégré à une stratégie de croissance et de rayonnement international des métropoles.

C’est cette métamorphose que j’entreprends de questionner ici en retraçant l’histoire des grands projets de renouvellement urbain que sont la ZAC de l’Union dans le nord-est de l’agglomération lilloise et « l’exposition internationale d’architecture » à Hambourg (Internationale Bauaustellung (IBA) Hamburg). Alors que l’enquête [1] met en lumière l’incapacité des pouvoirs locaux à orienter les décisions d’implantation des entreprises et les choix d’installation des ménages, la pérennité de ces politiques d’attractivité apparaît tout à fait énigmatique. À quoi et qui servent les projets métropolitains de promotion de l’attractivité ? Comment les professionnels du développement territorial font-elles et ils face aux situations d’impuissance et aux contradictions auxquelles elles et ils sont confrontés ?

L’IBA Hamburg et la ZAC de l’Union : deux projets incomparables ?

La Zone d’aménagement concerté de l’Union vise depuis 2007 à développer un périmètre de 80 hectares anciennement industriel situé au carrefour des communes de Roubaix, Tourcoing et Wattrelos au nord-est de l’agglomération lilloise. Au lancement officiel du projet, le secteur est un immense terrain réduit à l’état de friche à l’issue d’une procédure d’acquisition-démolition portée par l’Établissement public foncier du Nord-Pas-de-Calais (Barbier 2019a). Le schéma directeur prévoit l’implantation d’entreprises issues de « filières d’excellence » – textiles innovants, image et tertiaire supérieur – prévoyant à terme 4 000 emplois, la construction d’un écoquartier destiné à accueillir 3 000 habitants ainsi que l’aménagement d’un parc urbain et d’une école. Régulièrement remanié, le projet se heurte à un marché de l’immobilier atone sur un secteur géographique fortement stigmatisé où les implantations d’activités économiques et la commercialisation des logements se sont faites avec grande difficulté, laissant aujourd’hui encore vacantes les parcelles du cœur de la zone.

L’IBA Hamburg est un projet de renouvellement urbain impulsé en 2007 sur l’île de Wilhelmsburg, située sur l’Elbe dans la partie méridionale de l’agglomération de Hambourg. L’« exposition internationale d’architecture » a pour ambition de développer, à l’échelle d’un périmètre total de 35 km2, une série d’opérations exemplaires, classées en trois grands volets thématiques. « Metrozone », le premier d’entre eux, vise à requalifier une série de « délaissés urbains » avec plusieurs programmes de logements n’impliquant de fait pas d’évictions directes d’entreprises ou d’habitants. Le deuxième, « Kosmopolis », porte la création d’équipements scolaires et de centres sociaux valorisant la « multiculturalité ». Le troisième volet, autour de la « ville dans le changement climatique », promeut une architecture basse consommation et la construction d’infrastructures de production d’énergie renouvelable. Portés par l’afflux massif de capitaux sur le marché de l’immobilier hambourgeois, les programmes de logements en accession à la propriété réalisés par des promoteurs et investisseurs privés ont participé d’une transformation rapide du centre de l’île, en lien avec la rénovation de la gare de S-Bahn (train de banlieue) et l’aménagement d’un vaste parc lauréat de « l’exposition internationale des jardins » – Internationale Gartenschau.

Alors que ces deux dispositifs peuvent paraître à première vue difficilement comparables, il ressort de l’analyse croisée de leurs trajectoires deux convergences paradoxales autour de cet objectif commun de faire de « quartiers à problèmes » les emblèmes de « l’attractivité métropolitaine ».

Invoquer l’attractivité pour disqualifier l’existant

Le flou qui entoure les discours sur la promotion du rayonnement international des métropoles n’empêche pas les techniciens et experts du développement local de se référer à cet impératif de renouveau des territoires pour désigner, souvent de manière indirecte et euphémisée, les entreprises et habitants qui n’ont plus leur place dans les quartiers à requalifier. Lors de la conception du projet d’IBA, le fait que l’essentiel du foncier de l’île de Wilhelmsburg soit en possession de la ville-Land de Hambourg, comme le poids des mobilisations habitantes constituées autour du « droit à la ville », ont contribué à ce que la production du foncier nécessaire aux opérations d’aménagement se fasse sans éviction. Pour autant, l’analyse des rapports d’expertise ayant contribué à la définition des objectifs de transformation du peuplement de l’île met au jour la manière dont la surreprésentation statistique des classes populaires, notamment issues de l’immigration, a été construite en problème que l’attraction d’investissements immobiliers avait pour but de résoudre. La présence d’industries liées aux activités portuaires est également identifiée comme un obstacle à la valorisation foncière de Wilhelmsburg. En développant une offre résidentielle de plus haut standing, l’IBA contribue à la hausse importante des prix de l’immobilier et fait disparaître un des derniers espaces habitables abordables de l’agglomération de Hambourg, où le marché connaît une tension drastique depuis la fin des années 2000. L’éviction des classes populaires et des activités industrielles jugées incompatibles avec les nouvelles fonctions résidentielles prêtées à l’île de l’Elbe se fait alors de manière différée, dans les années qui suivent la fin officielle du projet.

La relégation des populations et entreprises perçues comme non conformes à la vocation métropolitaine du site se joue de manière beaucoup plus directe et anticipée à l’Union. Lors de l’élaboration du projet, les archives des cabinets d’études sollicités permettent de retracer l’opération de tri symbolique qui est alors engagée. Ainsi, l’invocation des populations et activités économiques qu’il s’agirait d’attirer participe en premier lieu de la stigmatisation et de la marginalisation de celles qui occupent le territoire de projet. Le flou qui entoure les désignations des cibles de cette politique d’attractivité – « entreprises innovantes », « créatifs » et « familles » – contraste dans ce cas avec la précision avec laquelle petites industries, commerces de proximité, habitantes et habitants sont identifiés comme n’ayant plus leur place sur le « site d’excellence métropolitain » projeté sur cet espace intercommunal. Ces activités économiques et ces populations sont donc enjointes à quitter la zone de l’Union, progressivement mise en friche au gré des rachats et démolitions successifs. Alors qu’à Wilhelmsburg, les porteurs de l’IBA ont surtout contourné les dynamiques participatives engagées au cours de la décennie 1990 avec les programmes de « développement social des quartiers », les technocrates en charge de l’action foncière en amont du projet de l’Union amorcent une vaste opération de production du déclin économique et urbain. De fait, l’éviction des populations et entreprises jugées indésirables et incompatibles avec la vocation métropolitaine du site est menée au nom de la promotion de l’attractivité (Barbier 2019a).

En situation d’impuissance, l’attractivité mise en scène

La seconde convergence identifiée entre l’IBA et l’Union concerne la manière dont l’attractivité est invoquée au fil de la mise en œuvre de ces projets. Par-delà les éléments qui distinguent les contextes dans lesquels sont déployées ces politiques de renouvellement urbain, on retrouve chez les différents chargés d’opérations des tentatives analogues de conjurer leur incapacité à orienter les décisions d’investissements de leurs partenaires privés. Même à Hambourg, où l’économie de l’immobilier connaît une croissance historique au moment du lancement du projet, les premiers investissements privés ne sont glanés que grâce au concours direct des élus recourant aux promoteurs locaux les plus étroitement liés à la municipalité et au prix d’une mise à disposition (quasi) gracieuse du foncier. Sur la zone de l’Union, les rares implantations d’entreprises et la participation d’un unique promoteur à la réalisation de logements sont le fait exclusif des relations interpersonnelles nouées entre patrons et élus locaux. Ces tractations donnent d’ailleurs fréquemment lieu à des contreparties, notamment en ce qui concerne l’accès au foncier sur d’autres secteurs plus prisés de l’agglomération lilloise.

Dans ces situations où les salariés des deux sociétés d’aménagement sont dans l’incapacité de peser sur les mécanismes de marché, leur mission de promotion de l’attractivité métropolitaine les conduit à multiplier les efforts de communication autour du volontarisme des pouvoirs publics en la matière. Les événements organisés localement pour valoriser publiquement les liens entre patrons et acteurs publics – comme les salons dédiés à l’immobilier ou à certaines filières économiques – sont les théâtres privilégiés de ces mises en scène. Alors que l’on retrouve dans ces foires de multiples discours à la gloire du rayonnement international des territoires, les échanges s’y font, de l’aveu des premiers concernés, entre professionnels du développement territorial issus d’une même localité. Au fil des quatre ans d’enquête, pas un ou une des chargés de projet n’a par ailleurs suggéré qu’il puisse s’agir d’espaces utiles à l’obtention du concours de partenaires privés.

L’observation du travail des chargés de projets et des réunions où elles et ils œuvrent à la mise en place de chaque opération d’aménagement et de développement économique a par ailleurs permis d’assister à des scènes surprenantes. À l’Union en particulier, alors que le projet s’enlisait depuis plusieurs années, les salariés de la société d’aménagement et de l’agence de promotion internationale de la métropole, parmi les plus critiques en coulisses vis-à-vis des contradictions et du flou qui entoure les objectifs du projet, ont pu se retrouver en situation de se réapproprier des procédés discursifs analogues à ceux qu’ils avaient ouvertement dénoncés par le passé lors d’échanges moins exposés. Alors qu’ils convenaient régulièrement du caractère à la fois trop imprécis et contraignant des « filières d’excellence », notamment autour des textiles innovants et de l’image, les chargés de projets une fois rassemblés en réunion de crise, alors organisée sous l’égide du directeur de l’agence, ont apporté leur soutien à un remaniement du projet autour d’une notion encore plus inconsistante – le « lifestyle » – et du souhait de faire de « trois axes : le sport, les loisirs et les écrans » les « vecteurs de changement de la société » (Barbier 2019b).

Le gâchis des politiques de promotion de l’attractivité

Par-delà les divergences qui subsistent entre ces deux projets de renouvellement urbain, on retrouve à l’IBA Hamburg et à l’Union deux manières analogues de gérer les contradictions des politiques d’attractivité. Aussi impuissants qu’ils soient à infléchir les décisions d’investissement et les choix d’installation des ménages solvables et des entreprises à haute valeur ajoutée, les projets de promotion de l’attractivité métropolitaine sont en mesure de peser, parfois bien lourdement, sur le destin des villes et de leurs habitants. Entre la relégation des populations et activités économiques jugées indignes de la vocation d’excellence que l’on souhaite à certains « quartiers défavorisés » et la mise en scène d’une capacité fantasmée des pouvoirs locaux à faire rayonner les villes à l’international, bien des sacrifices et des performances rituelles sont commis au nom de l’attractivité.

Dans les agglomérations qui disposent comme Hambourg d’un foncier fortement convoité, ces politiques peuvent accélérer le changement d’image et la hausse des prix de l’immobilier des quartiers qu’elles visent à développer. Véritables symboles de l’engagement des élus pour la reconversion de leur territoire, elles servent à cette occasion les rentes des propriétaires et les profits des promoteurs privés tout en contribuant à augmenter les entrées fiscales des gouvernements locaux. Mais bien souvent, et en particulier dans les espaces urbains plus stigmatisés comme à Roubaix et Tourcoing, le renouvellement urbain mené au nom de l’attractivité se traduit surtout par un gâchis de fonds publics et la destruction d’espaces populaires.

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Pour citer cet article :

Clément Barbier, « Au nom de l’attractivité métropolitaine. Sacrifices et rituels du renouvellement urbain par grand projet », Métropolitiques, 14 février 2022. URL : https://metropolitiques.eu/Au-nom-de-l-attractivite-metropolitaine.html

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