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Débats

À cinq ans des Jeux, l’oubli de la Seine-Saint-Denis

À cinq ans de l’organisation des Jeux olympiques par Paris, de nombreux équipements sont en cours de construction dans un périmètre restreint au cœur de la Seine-Saint-Denis. Deux géographes, membres du Comité de vigilance des JO 2024 à Saint-Denis, s’interrogent sur la place réellement accordée aux populations résidentes. Alors que les concertations citoyennes semblent court-circuitées, ils dénoncent une dépossession démocratique et la dégradation des conditions de vie des habitants déjà là.

Les Jeux vont mettre Saint-Denis sous les feux des projecteurs, mais ils en feront également un quartier florissant et durable pour les personnes qui en ont le plus besoin. De nouveaux sites seront construits là où l’on pourra en tirer des avantages à long terme.

Voilà du moins ce que promettait la vidéo de candidature présentée par Paris aux membres du Comité international olympique (CIO) réunis à Lima en juillet 2017 [1]. Le succès de Paris 2024 n’aurait sans doute pas pu être obtenu sans ce choix de localisation : la compacité géographique des sites présente, en effet, un avantage essentiel, à la fois logistique et écologique, tandis que les Jeux olympiques sont désormais invités à constituer un levier de développement territorial pour les espaces urbains défavorisés ou marginalisés, à l’image des mutations du quartier de Stradford à Londres en 2012.

La construction de sites olympiques en Seine-Saint-Denis permet donc de mettre en avant l’argumentaire de l’« héritage territorial » d’un grand événement. Deux ans après l’attribution des Jeux et à moins de cinq ans de leur ouverture, il apparaît toutefois que cette notion ne correspond que très partiellement à des projets d’amélioration des conditions de vie des populations situées à proximité des futurs sites olympiques. L’héritage urbain peut-il être à la hauteur des promesses ? Les conditions d’un aménagement d’ensemble sont-elles réunies ? Une véritable concertation est-elle possible ?

Compacité des sites et compression de l’espace-temps

La compacité de la candidature de Paris tient au regroupement des sites olympiques dans deux zones principales : d’une part, celle de Paris centre, structurée autour de la Seine et intégrant des lieux emblématiques comme l’Arc de triomphe ou la tour Eiffel, ainsi que les infrastructures sportives de la proche banlieue Ouest (stades Pierre de Coubertin et Roland Garros) ; de l’autre, celle dite du Grand Paris, qui correspond en réalité, dans son immense majorité, aux sites olympiques situés en Seine-Saint-Denis, le long de l’axe de l’autoroute A1.

Cette compacité serait la garantie d’une « efficacité géographique et opérationnelle » (dossier de candidature de Paris 2024, p. 17), permettant notamment une optimisation des temps de transport entre sites olympiques, village olympique et hubs de transports de la métropole (Roissy, Châtelet et les futures stations du réseau du Grand Paris Express). Ce choix impose la construction, dans un périmètre restreint, de nombreux équipements sportifs et d’infrastructures de logement, notamment le village olympique. La quasi-totalité du secteur est située au sein du territoire de l’Établissement Public Territorial (EPT) de Plaine Commune, structure intercommunale regroupant neuf villes, dont Saint-Denis, Saint-Ouen, l’Île Saint-Denis et La Courneuve.

Figure 1. Carte des ouvrages olympiques et paralympiques pérennes

Source : SOLIDEO 2019.

Les projets envisagés sont de très grande ampleur : le village olympique à l’interface des communes de Saint-Ouen, l’Île-Saint-Denis et Saint-Denis ; le Centre aquatique olympique à Saint-Denis, face au Stade de France ; la ZAC Cluster des Médias (comprenant les Centres et Village des médias) située en partie sur le territoire de La Courneuve ; sans compter les équipements temporaires pour les épreuves de tir, de volley et de badminton.

Depuis l’annonce de l’attribution, ces secteurs, notamment celui de Saint-Denis où les travaux seront particulièrement conséquents, font l’expérience d’une compression de l’espace-temps. Au-delà d’être un argument olympique, la compacité est en effet une réalité spatiale ! Cela signifie concrètement que les chantiers sont omniprésents, que la circulation pendant et après les Jeux sera densifiée et que le calendrier des opérations d’aménagement est particulièrement resserré.

À la compacité spatiale se superpose une accélération sans précédent des procédures d’urbanisme, dans un contexte d’empilement des projets d’aménagement : gares du Grand Paris Express, franchissement urbain Pleyel, projet « Les Lumières Pleyel » issu de l’AMI « Inventons la métropole du Grand Paris », réaménagement de l’échangeur de l’A86. Tous ces chantiers doivent être livrés à l’horizon 2024, grâce aux nombreuses dérogations autorisées par la loi relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Votée en mars 2018, elle a instauré un régime d’urbanisme dérogatoire permettant au CIO d’imposer son agenda et de court-circuiter les concertations citoyennes.

Compte tenu de l’ampleur des investissements (plus d’1,5 milliard rien que pour le Village olympique et le Centre aquatique), il était légitime d’attendre que les Jeux olympiques et paralympiques participent à une forme de réparation vis-à-vis d’un territoire toujours marqué par les balafres autoroutières, les pollutions industrielles, la précarité sociale et l’incapacité de l’État à y assurer la continuité du service public (comme l’a rappelé le rapport parlementaire d’évaluation de l’action de la puissance publique en Seine-Saint-Denis publié en mai 2018). Avec Paris 2024, la Seine-Saint-Denis reste envisagée comme une base arrière logistique parisienne et surtout comme une réserve de plus-value foncière dans laquelle les investisseurs vont venir puiser, sans se préoccuper ni de la volonté, ni de la qualité de vie ou du bien-être de ses habitant·e·s.

Par ailleurs, la compacité est loin d’être synonyme de cohérence d’ensemble. Les travaux en cours témoignent d’une segmentation inédite des acteurs et des projets associés : la Métropole du Grand Paris est en charge du Centre aquatique olympique, la SOLIDEO d’une partie du Village olympique, l’EPT Plaine Commune du franchissement reliant le quartier Pleyel au Stade de France, le département de Seine-Saint-Denis du Village des médias, et, pour finir, Vinci et Engie ont signé des protocoles pour l’aménagement des certains secteurs de ces sites.

Ce millefeuille institutionnel a des répercussions concrètes sur la nature et la qualité des projets d’aménagement proposés et, plus indirectement, sur les futures pratiques quotidiennes des habitant·e·s. L’exemple le plus frappant est sans doute celui du réaménagement de la rocade autoroutière A86 : la proximité des projets d’aménagement a conduit la DIRIF (Direction des routes Île-de-France) à adapter son projet aux besoins de chacune des quatre ZAC alentour et à concentrer les nouvelles voies de sortie et d’entrée d’autoroute au plus près des habitations actuelles – en particulier à proximité d’un groupe scolaire de 700 élèves, l’école Anatole-France.

Comment mettre la qualité de vie des habitants au cœur du projet ?

Face à ce manque de cohérence d’ensemble et aux conséquences indésirables des projets olympiques, des habitant·e·s se sont mobilisés au sein du Comité de vigilance des JO 2024 à Saint-Denis (dont les auteur·e·s de ce texte font partie), créé dans la foulée de l’attribution des Jeux olympiques à Paris en septembre 2017. Leur objectif est non seulement de collecter et de diffuser l’information à propos de l’organisation des JO sur le territoire, mais aussi de proposer un projet alternatif.

Celui-ci repose d’abord sur une réduction significative des sources de pollution atmosphérique et de nuisances sonores dans une zone urbaine parmi les plus embouteillées et polluées de France. Le principe directeur est d’éloigner autant que faire se peut les habitations du trafic automobile : enfouir l’A1, maintenir des voies de circulation permettant aux flux automobiles d’éviter les axes les plus densément peuplés et éviter que certaines rues du quartier ne deviennent des échangeurs autoroutiers de fait. L’espace libéré permettrait de réaménager le quartier autour d’espaces verts et d’espaces publics, en laissant une plus grande place aux mobilités douces.

Figure 2. Projet alternatif du Comité de vigilance JO 2024 à Saint-Denis

Source : C. Gintrac et L. Kloeckner.

Plus largement, l’ambition de la démarche est de concilier l’aménagement olympique avec la préservation, sinon l’amélioration, des conditions de vie des habitants. Alors que le quartier Pleyel compte aujourd’hui environ 8 000 habitants, deux groupes scolaires et plusieurs crèches, sa population devrait doubler d’ici 2030.

Pour avoir une chance de voir cette option alternative examinée, il faudrait prendre le temps de la concertation. Or, l’accélération des procédures et le caractère impératif du calendrier ont rendu les réunions de concertation autour des sites olympiques particulièrement décevantes. Depuis septembre 2018, le Comité de vigilance demande la tenue d’un forum public réunissant tous les acteurs de l’aménagement des Jeux. Initialement prévu en juin 2019, puis annoncé le 28 septembre 2019, il a finalement été reporté sine die à la demande des collectivités locales concernées – sans doute du fait de la période d’élections municipales qui s’annonce. Au-delà de cette échéance, la quasi-totalité des projets auront été validés. Il ne restera plus que des marges de manœuvre réduites et pour tout dire insignifiantes en matière d’intégration des projets dans leur environnement. Nous dénonçons cette dépossession démocratique, qui confirme les inquiétudes soulevées par les mois de recherches, lectures, réunions de concertation réalisées entre 2017 et 2019.

Nous dénonçons aussi l’hypocrisie des discours officiels et le décalage entre ce que les organisateurs qualifient d’« héritage », à savoir de nouveaux quartiers d’habitation et d’affaires autour des sites olympiques, et les besoins des habitant·e·s déjà là, qui demandent une amélioration de leurs conditions de vie. En ce sens, l’héritage concernera avant tout les futures populations résidentes, tandis que les conditions de vie des habitant·es actuel·le·s ne changent pas réellement, et qu’elles seront dégradées pendant toute la période de préparation des Jeux.

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Pour citer cet article :

Cécile Gintrac & Léo Kloeckner, « À cinq ans des Jeux, l’oubli de la Seine-Saint-Denis », Métropolitiques, 30 septembre 2019. URL : https://metropolitiques.eu/A-cinq-ans-des-Jeux-l-oubli-de-la-Seine-Saint-Denis.html

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