La décroissance démographique concerne actuellement plus d’un tiers des aires urbaines en France métropolitaine. En effet, selon le zonage 2010 de l’INSEE, 283 des 771 aires urbaines de France métropolitaine affichaient en 2011 une population résidente plus faible qu’en 1990 (figure 1). Les rares travaux portant sur le phénomène de décroissance urbaine en France ont souligné l’importance des dynamiques migratoires et la faiblesse du facteur naturel dans cette baisse de population (Wolff et al. 2013). Pour cette raison, la décroissance urbaine est longtemps restée plus limitée en France que dans d’autres pays d’Europe (Oswalt 2006 ; Steinführer et Haase 2007), n’incitant pas les acteurs politiques, notamment nationaux, à se saisir de ce problème. Pourtant, la vision de villes françaises protégées par un taux de fécondité élevé ne résiste pas à l’analyse des données les plus récentes. D’une part, il existe des liens de plus en plus nets entre déclin économique et baisse de population (Friedrichs 1993 ; Haase et al. 2013). D’autre part, les dynamiques migratoires négatives, qui résultent notamment d’un déficit d’attractivité des villes en décroissance (Cusin 2014 ; Rudolph 2015), contribuent à transformer les structures démographiques des villes et pourraient amplifier leur décroissance en produisant de surcroît des déficits naturels.
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Sources : INSEE, Recensements 1990 et 2011.
En distinguant les différentes séquences d’évolution démographique qu’ont connues les aires urbaines au cours de la période 1990‑2011, nous verrons que le déclin économique, observé ici au travers du marché de l’emploi, diffère dans ses degrés et dans ses temporalités, mais qu’il entraîne des conséquences démographiques de même nature. Quatre trajectoires de déclin urbain apparaissent (figure 2) [1]. La plus répandue est celle du « déclin continu » où la population diminue de recensement en recensement. Elle concerne notamment les aires urbaines du Havre (Seine-Maritime), de Saint-Dizier (Haute-Marne), du Creusot (Saône-et-Loire), ou encore de Vitry-le-François (Marne). Une deuxième trajectoire, qualifiée de « déclin durable », concerne les aires urbaines pour lesquelles le déclin démographique débute en 1999. C’est par exemple le cas de Dunkerque (Nord), Vittel (Vosges) et Argentan (Orne). Le « déclin enrayé » fait référence aux aires urbaines dont la population baisse entre 1990 et 2006 mais augmente ensuite, comme l’ont connu Montbéliard (Doubs) ou Saint-Quentin (Aisne). Enfin, lorsque la perte de population cesse entre 1999 et 2006, telle qu’à Tulle (Corrèze), Lourdes (Hautes-Pyrénées) ou Dreux (Eure-et-Loir), il est fait mention de « déclin interrompu ». Des 234 aires urbaines concernées par ces parcours de décroissance démographique, 19 comptent toutefois plus d’habitants en 2011 qu’en 1990 ; elles sont dès lors exclues des analyses qui suivent. En outre, précisons qu’en privilégiant l’échelle géographique de l’aire urbaine, qui renvoie à la définition fonctionnelle de la ville, l’hétérogénéité interne des processus de déclin n’est pas prise en compte, ce qui peut avoir pour effet d’invisibiliser les dynamiques de périurbanisation, qui jouent pourtant un rôle moteur dans les processus de déclin des centres urbains [2].
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Sources : INSEE, Recensements 1990 et 2011.
Un effet de taille qui participe à l’absence de débat public
Les grandes aires urbaines sont bien moins souvent soumises au déclin que leurs homologues de plus petite taille [4]. En effet, plus de deux tiers des aires urbaines en décroissance sont de petites aires, alors qu’elles représentent moins de la moitié des aires urbaines en croissance ou relativement stables (figure 3). De cela découle probablement en partie la difficile mise à l’agenda de la décroissance urbaine. D’une part, la population résidant dans les villes en décroissance représente moins de 10 % de la population urbaine en France métropolitaine. D’autre part, ces petites aires urbaines semblent souffrir d’un déficit d’intégration territorial. Certes, au même titre que l’ensemble des aires urbaines de France métropolitaine, les petites aires, dont celles qui sont en décroissance, sont bien intégrées dans un système urbain de proximité (Berroir et al. 2017) ; toutefois, elles semblent moins bien connectées aux relations transversales inter-systèmes, souvent multipolaires, qui composent l’armature métropolitaine. Ainsi, le déclin de ces petites aires urbaines est davantage lié à un éloignement des espaces métropolitains et de leurs flux qu’à la proximité de « monstropoles » venant aspirer les richesses et les individus les plus qualifiés.
Sources : INSEE, Recensements 1990 et 2011.
Un marché du travail moins dynamique dans les aires urbaines en décroissance
Dans les aires urbaines en croissance, la population active de 25 à 54 ans [5] – constituée des actifs occupés et des chômeurs, tels que définis par le recensement – a augmenté de 16,8 % entre 1990 et 2011 alors qu’elle a baissé dans le même temps de 3,3 % dans les aires urbaines en déclin. L’évolution du seul nombre d’actifs occupés a également pris des directions opposées dans ces différentes aires urbaines : augmentation de 15,9 % dans les premières contre baisse de 5,7 % dans les secondes. La réduction du nombre d’actifs occupés n’est toutefois pas homogène parmi les aires urbaines qui perdent de la population : elle oscille entre – 1,8 % dans les villes en déclin durable et – 6 % à – 7 % environ dans les autres zones en déclin. Le nombre de chômeurs a, quant à lui, augmenté dans les deux cas. Conjuguant baisse de la population et hausse du nombre de chômeurs, les villes en déclin se caractérisent, donc, par une proportion de chômeurs à la fois plus élevée dans leur population de 25‑54 ans et parmi les actifs du même âge (figure 4). La situation est particulièrement défavorable pour les aires urbaines dans lesquelles le processus de perte de population s’est installé dès 1990 ou 1999, avec un taux de chômage supérieur de 3 points à celui observé dans les villes en croissance. Si les autres aires urbaines en déclin ont connu une dégradation plus tardive, elle s’avère cependant plus intense (figure 5).
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Source : INSEE, Recensement 2011.
Sources : INSEE, Recensements 1990, 1999, 2006 et 2011.
Une structure productive encore fortement spécialisée
La baisse de la population occupée des aires urbaines en déclin est à mettre en regard de l’évolution du nombre d’emplois offerts dans ces territoires, mesuré ici par les emplois au lieu de travail [6]. En effet, alors que ces derniers augmentent de près de 20 % dans les aires urbaines stables ou en croissance, ils stagnent dans l’ensemble des aires urbaines en déclin (+ 0,3 %) (figure 6). Seules les aires urbaines en déclin durable se démarquent grâce à une moindre baisse de l’emploi de fabrication et une hausse plus importante des emplois dans l’administration et dans les services de gestion aux entreprises. C’est la raison pour laquelle la baisse du nombre d’actifs occupés, précédemment évoquée, y est moindre que dans les autres aires urbaines en déclin (figure 7). Cette distinction s’explique toutefois en partie par le choix de l’aire urbaine comme échelon géographique d’analyse, qui efface l’hétérogénéité interne des processus. Car nous retrouvons ici l’effet de la recomposition des lieux d’emplois, notamment industriels, qui s’observe depuis les années 1980 et 1990, entre les centres et les périphéries (Girard 2014). En effet, l’augmentation de l’emploi dans les aires urbaines en déclin durable est surtout liée à celle des couronnes périurbaines (+ 23,1 % contre + 5,9 % dans les centres urbains). De même, si l’emploi de fabrication y baisse moins qu’ailleurs, c’est surtout en raison de la forte hausse enregistrée dans ces communes périurbaines.
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Sources : INSEE, Recensement général de la population (RGP) 1990 et Recensement rénové de la population (RRP) 2011.
Les difficultés économiques des aires urbaines en déclin trouvent en partie leur origine dans leur passé industriel. Ainsi, si globalement en France le secteur industriel est en recul avec une réduction de 22,6 % du nombre d’emplois de fabrication entre 1990 et 2011, cette baisse a particulièrement touché les aires urbaines en déclin. Ces dernières, qui avaient déjà été fortement frappées par la crise des années 1970 et 1980, ont connu une nouvelle vague de désindustrialisation au cours des 30 dernières années.
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Sources : INSEE, RGP 1990 et RRP 2011.
Toutefois, malgré cette perte de vitesse du secteur industriel, la part des emplois de fabrication y reste encore supérieure à celle observée dans les aires urbaines en croissance. Là où le déclin est enrayé, par exemple, malgré une baisse de 43 % des emplois de fabrication entre 1990 et 2011, le secteur industriel pèse encore deux fois plus lourd que dans les aires urbaines qui gagnent de la population (16,5 % contre 8,1 %). Les emplois des secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP), du transport, de la logistique, de l’entretien–réparation et de l’agriculture sont également surreprésentés, alors que les secteurs de la distribution et des services sont moins dynamiques. Ainsi, les aires urbaines en décroissance se caractérisent par la faiblesse de leur économie présentielle – qui regroupe des activités telles que les services domestiques ou le commerce de détail ayant vocation à répondre à la demande locale (Davezies 2009 ; Talandier 2013) [7] –, qui s’explique, entre autres, par une plus grande difficulté à attirer ceux qui sont considérés comme les moteurs de cette économie : touristes, retraités ou encore étudiants.
Un déclin économique à l’origine d’un vieillissement atypique
Le vieillissement dans les aires urbaines qui bénéficient d’une croissance démographique s’avère relativement classique : l’augmentation de l’espérance de vie entraîne un vieillissement « par le haut » et la baisse de la natalité un vieillissement « par le bas » (figure 8). À cela s’ajoute, pour les aires urbaines en décroissance, une perte importante d’individus âgés de 20 à 39 ans. Elles sont en effet soumises à ce que l’on pourrait appeler un vieillissement « de l’entre-deux », opérant en deux temps : un premier temps où la poursuite d’études supérieures et l’insertion professionnelle favoriseraient le départ de ces classes d’âges et, par complémentarité, une surreprésentation des plus âgés, puis un second temps où le déficit de ces classes d’âges, par ailleurs plus fécondes, entraînerait une baisse de la natalité et par la suite un creusement du corps de la pyramide des âges.
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Sources : INSEE, RGP 1990 et RRP 2011.
La fécondité de la France, parmi les plus élevées des pays européens (Mazuy et al. 2013), permet jusqu’à présent de contenir le phénomène de décroissance urbaine grâce à une composante naturelle positive. Mais cette forme spécifique de vieillissement « de l’entre-deux » tend à en neutraliser les effets. Cela s’observe pour l’ensemble des aires urbaines en déclin, mais la rapidité du processus est particulièrement saisissante au sein des aires urbaines en « déclin durable » (figure 9). Dans ces dernières, le taux d’accroissement naturel a ainsi chuté de 5,1 ‰ en 1990 à 2,3 ‰ en 2011.
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Sources : INSEE, RGP 1990 et 1999, RRP 2006 et 2011 ; état civil.
Un passé industriel aux conséquences genrées
L’une des conséquences du passé industriel des aires urbaines en déclin est que leur population active est plus ouvrière et moins diplômée. En 2011, on comptait 3 ouvriers pour 10 actifs occupés résidant dans des villes décroissantes, contre seulement 2 sur 10 dans les autres. Cette structure socio-économique de la population active de ces villes résulte non seulement d’un manque d’attractivité mais également d’une mobilité résidentielle sélective, puisque les jeunes actifs qualifiés ont une plus grande propension à émigrer que les ouvriers (Rudolph 2015).
Les mobilités résidentielles des aires urbaines en déclin se caractérisent également par une émigration plus importante des femmes au-delà de 15 ans, comme en témoignent leurs rapports de masculinité [8] plus élevés que dans les aires en croissance (figure 10). La plus importante poursuite d’études supérieures des femmes et leur plus grande employabilité dans le secteur tertiaire, d’une part, et la plus forte association des hommes à la composante industrielle du marché de l’emploi, d’autre part, sont probablement à l’origine d’une telle situation. À ce titre, la faiblesse des infrastructures universitaires, ou plus précisément le manque d’adéquation entre l’offre de formation et la demande locale, pourrait participer à la fois au manque d’attractivité des villes en déclin et à la transformation de leur structure démographique. Quant aux aires urbaines au « déclin enrayé », qui en 1990 se distinguent le plus des autres, elles voient en 2011 leur taux de masculinité se confondre, chez les 15‑24 ans, avec celui des aires urbaines en croissance. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que cette dimension genrée se retrouve également dans le processus de reprise de la croissance démographique, puisqu’à partir de 2006 les femmes les plus jeunes, qui auparavant quittaient ces villes, font davantage le choix d’y rester.
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Sources : INSEE, RGP 1990 et RRP 2011.
La fin d’une exception française ?
Il semble aujourd’hui de plus en plus difficile de séparer l’analyse des composantes migratoires et naturelles pour comprendre les trajectoires des villes en décroissance françaises. Certes, la composante naturelle ne représente pas le facteur premier de la décroissance comme cela peut être le cas en Europe de l’Est (Steinführer et Haase 2007) ou en Allemagne (Roth 2011), mais des déséquilibres démographiques en termes d’âge et de sexe s’y sont installés. S’agissant du vieillissement de la population, celui-ci pourrait certes faire augmenter le nombre d’emplois dans les services de proximité, notamment les emplois d’aide à la personne (Cornuau et Devetter 2016). Toutefois, la tertiarisation limitée des villes en décroissance fait qu’il n’en sera probablement pas de même en ce qui concerne les services aux entreprises, qui sont largement sous-représentés en raison de la faiblesse des fonctions métropolitaines supérieures ou des emplois dans les secteurs innovants à fort potentiel de croissance. Quant à la différenciation sexuée des mobilités, celle-ci risque d’être à l’origine de déséquilibres sur le marché matrimonial qui participeront sans nul doute à leur tour à une baisse de la natalité susceptible de renforcer le déclin démographique des villes. La forte fécondité française n’aura alors plus que peu d’effet pour masquer le déclin démographique des villes françaises et cette dimension oubliée des inégalités territoriales que constitue la décroissance urbaine.
Bibliographie
- Berroir, S., Cattan, N., Dobruszkes, F., Guérois, M., Paulus, F. et Vacchiani-Marcuzzo, C. 2017. « Les systèmes urbains français : une approche relationnelle », Cybergeo : European Journal of Geography | Revue européenne de géographie, rubrique « Espace, société, territoire », document 807, 6 février.
- Cornuau, F. et Devetter, F.‑X. 2016. « Niveau d’offre d’aide à domicile par département : quelles relations avec le vieillissement de la population », Cahiers de démographie locale 2016, coll. « Dynamiques des populations locales », p. 241‑265.
- Cusin, F. 2014. « Les dynamiques urbaines au prisme des mobilités résidentielles longues », in S. Fol, Y. Miot et C. Vignal (dir.), Mobilités résidentielles, territoires et politiques publiques, Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, p. 65‑96.
- Davezies, L. 2009. « L’économie locale “résidentielle” », Géographie, économie, société, vol. 11, n° 2009/1, p. 47-53.
- Friedrichs, J. 1993. « A theory of urban decline : economy, demography and political elites », Urban Studies, vol. 30, n° 6, p. 907‑917.
- Girard, V. 2014. « Des classes populaires en recomposition dans le périurbain lointain : analyser les effets croisés de l’accès à la propriété pavillonnaire et des restructurations de l’emploi industriel (1982‑1999) », in J.‑Y. Authier, A. Bourdin et M.‑P. Lefeuvre (dir.), La Jeune Sociologie urbaine francophone, Lyon : Presses universitaires de Lyon, p. 85‑103.
- Haase, A., Bernt, M., Großmann, K., Mykhnenko, V. et Rink, D. 2013. « Varieties of shrinkage in European cities », European Urban and Regional Studies, vol. 23, n° 1, p. 86‑102.
- Martinez-Fernandez, C., Weyman, T., Fol, S., Audirac, I., Cunningham-Sabot, E., Wiechmann, T. et Yahagi, H. 2016. « Shrinking Cities in Australia, Japan, Europe and the USA : From a Global Process to Local Policy Responses », Progress in Planning, n° 105, p. 1‑48.
- Mazuy, M., Barbieri, M. et d’Albis, H. 2013. « L’évolution démographique récente en France : la fécondité est stable », Population, vol. 68, n° 2013/3, p. 385‑432.
- Oswalt, P. (dir.). 2006. Shrinking Cities, Volume 1 : International Research, Ostfildern-Ruit : Hatje Cantz Verlag.
- Roth, H. 2011. « Les “villes rétrécissantes” en Allemagne », Géocarrefour, vol. 62, n° 2, p. 75‑80.
- Rudolph, M. 2015. Mobilités sélectives et déclin démographique des villes françaises : analyse des flux migratoires à l’échelle des aires urbaines entre 1990 et 2011, mémoire de master 2 en démographie, université de Strasbourg, 122 pages.
- Steinführer, A. et Haase, A. 2007. « Demographic Change as a Future Challenge for Cities in East Central Europe », Geografiska Annaler. Series B, Human Geography, vol. 89, n° 2, p. 183‑195.
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- Wolff, M., Fol, S., Roth, H. et Cunningham-Sabot, E. 2013. « Shrinking cities, villes en décroissance : une mesure du phénomène en France », Cybergeo : European Journal of Geography | Revue européenne de géographie, rubrique « Aménagement, urbanisme », document 661, 8 décembre.