Les espaces périurbains sont plébiscités par les familles y réalisant leur « désir de vert » et d’une « maison à soi » (Urbain 2002). D’un point de vue statistique (Louargant et Roux 2010), ces espaces sont pourtant marqués par un vieillissement de la population même s’ils comptent encore plus de trois jeunes pour deux personnes âgées. Or, jeunes et aînés semblent souvent subir le fonctionnement de ces territoires, qui dépend fortement de la mobilité automobile : les uns à l’adolescence à l’heure d’une recherche d’autonomie vis-à-vis des parents et de l’élargissement de leur spatialité, les autres, quand le recours à l’automobile est compliqué et qu’il devient difficile de préserver son autonomie.
Depuis une dizaine d’années, de nombreux travaux (Dodier 2012 ; Poulot et Aragau 2014) soulignent une inflexion des comportements de mobilité, parallèlement à une affirmation des logiques d’ancrage des habitants qui s’appuient sur le logement, les réseaux sociaux et familiaux ainsi que les ressources locales.
Aux franges de l’Île-de-France, les terrains enquêtés [1] ont atteint des stades de périurbanisation différenciés. Les secteurs à l’ouest concentrent une plus forte proportion de cadres et professions intellectuelles supérieures. À partir de rencontres avec des élus, des acteurs locaux et des habitants, il est possible de comprendre pourquoi les discours décrivant des expériences périurbaines, oscillant entre l’immobilité des uns et les mobilités imposées des autres, sont à relativiser.
Ainsi, on apprend d’abord que les personnes rencontrées déploient des stratégies et développent des tactiques pour acquérir ou maintenir leur autonomie. Ensuite, il apparaît que ces espaces de plus en plus structurés et maillés par des polarités secondaires se dotent de réponses en termes de mobilités alternatives ; ou font l’objet de politiques publiques locales. Enfin, ces conditions changeantes façonnent des espaces de proximité qui compensent la vision abstraite d’un monde de réseaux et de flux.
Des bricolages face à l’élargissement ou au rétrécissement des spatialités habitantes
Si durant l’enfance l’expérience périurbaine reproduit pour l’essentiel celle des parents, à l’adolescence, elle est questionnée et critiquée. Dans des quartiers résidentiels peu ou mal desservis en transports en commun, les déplacements des adolescents ne sont pas toujours aisés. L’offre de loisirs et d’activités apparaît aussi limitée que celle des transports [2] : « Quand on est enfant, ça va. Quand on est ado, c’est pas fou ! » (Charlotte, 17 ans, Galluis, Yvelines, 17 ans de résidence). Pourtant, l’usage important de la marche et du vélo montre une réelle capacité de mise à profit de toutes les ressources disponibles par les membres de cette classe d’âge.
Par conséquent, deux types de pratiques de l’espace apparaissent : l’une spécifiquement locale, l’autre métropolitaine. Pour la première, le village périurbain comme le pôle urbain le plus proche [3] sont des champs d’apprentissage d’une mobilité autonome en compagnie des pairs. La métropole et son centre – Paris [4] – est également attractive, mais les déplacements sont plus compliqués à mettre en œuvre. Le recours aux parents, aux frères ou sœurs détenteurs du permis de conduire, permet de rendre effective de telles sorties. À défaut, plus de la moitié des adolescents n’hésitent pas à marcher pour rejoindre un point de rendez-vous de covoiturage ou une gare. Cependant, les pratiques de proximité l’emportent dès qu’il s’agit d’aller au cinéma, de faire du shopping dans les centres commerciaux ou de se rendre chez des ami·e·s, le samedi après-midi et les jours de vacances.
Chez les personnes âgées rencontrées, la forte valorisation du cadre résidentiel périurbain (proximité de la « nature » et épaississement de l’offre commerciale et de services) et un attachement à « sa » maison [5] redonnent de la valeur aux pratiques locales, même si l’automobile, symbole pour cette génération de liberté et d’autonomie, tient toujours une place centrale dans leurs mobilités. Toutefois, son usage semble adapté à leurs besoins et en fonction de leurs capacités [6].
Pour les moins autonomes et/ou les plus fragiles, des solutions existent : l’entraide de voisinage, la mise en œuvre d’une politique locale de mobilité (bus, taxi…) ou d’aides à domicile. S’observe également une réactivation des démarches commerciales et d’accès à des services ambulants – souvent appuyées sur les réseaux numériques – permettant un maintien vivable dans ces environnements périurbains appréciés.
Des figures de mobilités distinctes et des « combats » inégaux
Ces spatialités ne se combinent pas de la même manière selon le temps d’installation, le milieu social, l’âge et le contexte.
Chez les jeunes, deux grandes figures apparaissent, attestant d’un sentiment d’attachement plus ou moins fort en fonction de la durée de résidence. Même si l’ensemble des jeunes rencontrés s’accorde sur les difficultés que posent les espaces périurbains en termes de mobilités et de loisirs, tous n’y accordent pas la même valeur, et certains réussissent à combiner l’ensemble des ressources à disposition pour investir ces espaces ou s’en émanciper plus ou moins facilement.
Pour les personnes âgées, des variations dans les déplacements sont également repérables, structurées selon les niveaux sociaux, les histoires résidentielles et les parcours individuels : à grands traits, trois grandes figures se dessinent. Un étirement de l’espace pour les plus jeunes et les plus aisés, une repolarisation vers les pôles périurbains et les centralités de bords de villes pour ceux qui montent en âge et les profils sociaux moyens, enfin une plus forte dépendance locale pour les plus modestes et les plus âgés.
Des actions publiques d’accompagnement
Conscients de ces évolutions démographiques et des changements dans les aspirations, les acteurs politiques locaux appréhendent le développement des équipements et des services comme les clefs de voûte d’une construction intercommunale en cours d’élargissement. Soucieux de consolider des centralités de secteurs, certains élus prévoyants voient, au-delà de l’école primaire et du collège, le lycée mais également les maisons de retraite comme des leviers pour réactiver l’économie présentielle [7]. Une organisation territoriale renouvelée se met en place et cherche à faire système par le biais des actions menées par des intercommunalités dynamiques : les jeunes et leurs aînés sont désormais perçus comme une source de développement économique et plus seulement comme de simples résidents. Toutefois, nombre d’actions engagées en direction des « jeunes » et des « aînés » restent éloignées des enjeux et des attentes. Si les municipalités ou intercommunalités périurbaines semblent soucieuses des enfants [8], elles restent plus frileuses à l’égard de la diversité des centres d’intérêt des adolescent·e·s [9]. Des offres [10] et des équipements [11] existent, mais ils ne répondent qu’en partie aux besoins et envies des adolescents – qui n’hésitent pas à les détourner.
On leur fait une piste et ils ont commencé à faire des trous dedans parce que c’était trop plat, alors ils ont fait des trous, ils ont fait des bosses [rire], en fait ils nous ont bousillé la moitié de la piste, je dirais que c’est bien, parce qu’ils ont fait ce dont ils avaient besoin et nous on ne l’avait pas compris. On avait tout terrassé et on a payé et eux ils ont tout bousillé, ils voulaient des bosses, des trous et ils ont ce qu’ils veulent. [...] Donc ils se sont bien approprié le truc (élu, Yvelines).
Souvent installées depuis plus longtemps, les personnes âgées ont davantage contribué à façonner leur environnement dans la mesure où elles y sont très présentes et font souvent partie des associations, voire du conseil municipal. Cette implication va de pair avec une position plus active à l’égard de l’offre commerciale ou de services et pousse au développement des services ambulants, à adapter l’offre de logement ou à développer les cheminements doux. Leur capacité à optimiser avec finesse et intelligence les ressources d’une situation intermédiaire en fait des résidents présents, actifs et investis. Il existe cependant des seuils de rupture dans cet équilibre entre mobilités et vieillissement. Ces seuils varient selon l’état de santé, la qualité et la proximité du réseau d’entraide (famille, proches, voisins), la structure du ménage (présence ou non du conjoint), ou selon les réponses de la collectivité locale aux demandes des personnes vieillissantes (associations, services à domicile, maison de retraite à proximité, équipements adaptés…), sans oublier la contrainte financière pesant sur la capacité à se mouvoir.
Un apprentissage progressif d’une spatialité périurbaine variable
Par conséquent, la diversité des mobilités correspond à la diversification des sociétés périurbaines, à la variété des contextes territoriaux et des politiques publiques locales mises en œuvre. Pour toutes et tous, jeunes comme aînés, la quête d’autonomie est centrale dans les manières de vivre entre l’éloignement avec la grande ville et l’affirmation de polarités locales. D’une acuité variable selon les âges, les niveaux sociaux, les effets de genre et les générations, cette autonomie dépend aussi d’un potentiel de ressources locales (services, commerces, équipements, dessertes alternatives à l’automobile...). La question se pose alors d’une accentuation des écarts entre les espaces mieux dotés et ceux plus contraints – ou à l’écart – par une organisation de plus en plus polycentrique. Enfin, les différences de niveaux de compétences ou l’outillage affectif et cognitif ont aussi un impact sur les distances parcourues et l’intensité du programme d’activités. Ainsi, se développe un apprentissage progressif d’une spatialité périurbaine variable – extensive pour les plus jeunes ; intensive pour les aînés, qui peut s’appuyer, quand elles existent, sur les initiatives mises en œuvre par les politiques publiques.
Bibliographie
- Didier-Fèvre, C. 2015. The place to be ? Vivre et bouger dans les entre-deux : jeunesse et mobilités dans les espaces périurbains, thèse de géographie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
- Didier-Fèvre ,C. 2014. « Être jeune et habiter les espaces périurbains : la double peine ? », Géo-Regards, n° 6, p. 35-51.
- Dodier, R. 2012. Habiter les espaces périurbains, Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Louargant, S. et Roux, E. 2010. « Futurs périurbains : de la controverse à la prospective », Territoires 2040. DATAR, n° 2, p. 51-60.
- Poulot, M. et Aragau, C. 2014. Les Territoires périurbains : de l’hybridation à l’intensité ?, rapport PUCA.
- Urbain, J.-D. 2002. Paradis verts. Désirs de campagne et passions résidentielles, Paris : Payot.