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Logiques socio-spatiales du vote aux municipales 2020 à Strasbourg

Les votes, intimement liés aux positions sociales, reflètent le peuplement des territoires. Sébastien Michon met en évidence la géographie électorale particulièrement nette de Strasbourg et souligne ainsi les enjeux sociaux et spatiaux de la participation.

Lors des élections municipales de 2020, les analystes ont insisté tour à tour sur un émiettement de l’offre politique, la victoire de candidats écologistes dans plusieurs grandes villes, ou encore la valse des étiquettes avec entre autres d’anciens membres du Parti socialiste (PS) devenus candidat·e·s de La République en Marche (LREM). Le lien entre vote et position sociale a été peu évoqué, si ce n’est en filigrane dans l’un ou l’autre article de presse pour poser la question de la représentativité sociale des candidats issus de la « société civile », ou de l’inscription sociale du vote écologiste.

Dans le contexte du printemps 2020 marqué par la crise sanitaire, et un champ politique en recomposition depuis 2017, les votes sont-ils toujours corrélés aux propriétés sociales des votants et, partant, dessinent-ils une géographie électorale [1] ? Une analyse socio-spatiale du vote à l’échelon des bureaux de vote dans la ville de Strasbourg apporte des éléments de réponse. Métropole régionale, Strasbourg est assez exemplaire, à la fois des tendances en termes de peuplement de cette catégorie de territoire et des reconfigurations du champ politique (la déliquescence du PS, le difficile ancrage local de LREM et la montée des écologistes).

Une offre politique diverse, une forte abstention et un scrutin disputé

À Strasbourg, comme dans d’autres villes, l’offre politique en 2020 est reconfigurée autour de figures déjà connues localement. Alain Fontanel, 51 ans, premier adjoint sortant et vice-président de la métropole, est à la tête de la liste « 100% Strasbourg » soutenue par LREM et les autres partis de la majorité présidentielle (Agir et le Modem). Ancien membre du PS, il se présente, dans le sillage d’Emmanuel Macron, comme ni à gauche ni à droite.

Face à lui, le PS présente une liste composée de « 50% seulement de militants du parti ». Mathieu Cahn, 44 ans, conseiller départemental et lui aussi adjoint sortant, est désigné tête de la liste dénommée « Faire ensemble Strasbourg ». Plusieurs adjoints et conseillers sortants sont placés juste derrière lui, à commencer par Catherine Trautmann, ancienne maire de Strasbourg, en deuxième position. À la surprise générale, Mathieu Cahn se retire début février et Catherine Trautmann, 69 ans, récupère la tête de liste.

À gauche, la liste « Écologiste et citoyenne » est pensée et construite par des dirigeants locaux d’Europe écologie les Verts (EELV), avec Syamak Agha Babai, élu de la majorité sortante, ancien du PS qui a fondé un think tank appelé le Labo citoyen. Ils mettent en place une large alliance à gauche avec le Parti communiste, Place publique, Génération·s, le Parti animaliste, le Mouvement des progressistes, Génération écologie, Objectif Euro Région Alsace, tout en insistant sur la promotion de personnes non encartées. Jeanne Barseghian, 39 ans, membre d’EELV et conseillère municipale et métropolitaine sortante, est désignée tête de la liste par une « assemblée citoyenne » d’une centaine de personnes, pour partie composée d’élus et de militants des partis associés à la démarche.

À droite, la liste « Un nouveau souffle pour Strasbourg », soutenue par Les Républicains (LR), est menée par un membre du parti : Jean-Philippe Vetter, 40 ans, élu municipal et métropolitain d’opposition. Il construit une liste avec les principaux dirigeants locaux de son parti et de l’UDI, ainsi que des personnes non encartées, des commerçants notamment.

À l’extrême droite, enfin, le Rassemblement national (RN) peine à construire une liste, menée par Hombeline du Parc (45 ans). Les autres listes, sans grands moyens humains et financiers [2], apparaissent d’emblée plus périphériques.

Dans un contexte de montée progressive de l’abstention depuis vingt ans (Figure 1), et aussi de crise sanitaire en lien avec l’épidémie de coronavirus, le taux de participation au premier tour est en net retrait par rapport aux précédents scrutins municipaux. Une minorité seulement des électrices-électeurs strasbourgeois se déplacent pour voter le 15 mars, mais le scrutin est disputé, avec quatre listes en mesure de se maintenir au deuxième tour : les listes soutenues par EELV (27,88 %), LREM (19,86 %), PS (19,78 %) et LR (18,27 %).

Figure 1. Abstention au premier tour des élections municipales à Strasbourg (1995-2020) (en %)

Une abstention et des votes situés spatialement et socialement

Une base de données sur les 143 bureaux de vote de la ville de Strasbourg permet de proposer une analyse socio-spatiale du vote au premier tour de ces municipales 2020. Elle rassemble pour chacun des bureaux, outre les résultats de ce scrutin, un ensemble de données sur les caractéristiques socio-économiques des habitants qui y sont inscrits [3]. Une analyse statistique de cette base permet de distinguer un espace social des Strasbourgeois, qui renvoie en même temps à un espace du vote (Annexe 1).

Les résultats peuvent être résumés grâce à une typologie en six types de bureaux de vote [4], que l’on peut regrouper en trois blocs (Annexes 2 et 3). Leur projection sur la carte donne un aperçu de leur localisation spatiale (Figure 2).

Figure 2

Bourgeoisie et petite bourgeoisie économique : un électorat de droite et du centre

Un premier bloc est composé d’habitants bourgeois, qui forment l’électorat des candidats de droite et du centre.

Un premier sous-groupe (classe C) rassemble les habitants des beaux quartiers situés au nord du centre-ville, à proximité du quartier européen (Orangerie, Conseil des XV, Robertsau-Wacken), qui cumulent capital économique et capital culturel. Ce sont pour une large part des actifs occupés, parmi lesquels les cadres et professions intellectuelles supérieures sont presque deux fois plus représentés que sur l’ensemble de la ville. Près des trois quarts d’entre eux sont diplômés du supérieur. Propriétaires de leur résidence et de plusieurs voitures, leurs revenus sont plus élevés de 50 % que la moyenne des habitants. Votant plus que la moyenne de la ville, leur suffrage se porte majoritairement sur les listes LREM et LR (Annexe 4).

Un deuxième sous-groupe (classe D) est celui des habitants de quartiers pavillonnaires (Cronenbourg Saint-Antoine, Robertsau-Wacken, quartier des villas de la Meinau, Neuhof-Village). Par rapport à la classe précédente, ce sont des personnes un peu plus âgées, dont les capitaux apparaissent comme plus structurés autour du capital économique : ils sont moins diplômés et ont des revenus un peu moins élevés. Ils se distinguent également par leur résidence principale, qui est souvent une maison. Dans ces bureaux de vote également, le vote pour la liste LR est plus élevé qu’à l’échelle de la ville (plus de 25 %).

Bourgeoisie et petite bourgeoisie culturelle : l’attraction pour les écologistes

Un deuxième bloc regroupe des habitants plutôt diplômés, mais moins dotés en capital économique que ceux du premier bloc. Ils se divisent en deux.

Une partie (classe B) est formée des bureaux de vote des quartiers en cours de gentrification du Vieux Cronenbourg, des Fronts de Neudorf, et de Neudorf-Ouest. Les catégories salariées, notamment dans les catégories sociales intermédiaires, y sont surreprésentées. Plus jeunes que les habitants des quartiers bourgeois, ce sont pour beaucoup de nouveaux arrivants à Strasbourg. Ils forment souvent un ménage d’une personne ou de deux personnes sans enfants, résident dans des logements de petite taille et privilégient le vélo.

L’autre partie (classe A) concentre des bureaux de vote des quartiers proches du centre-ville (Gare, Centre, Bourse-Krutenau, Tribunal, Neudorf-Est, Esplanade). S’y retrouvent de nombreux étudiants et jeunes actifs qui ont récemment emménagé dans la ville. Locataires, sans voiture, ils se déplacent surtout à pied ou à deux-roues.

Dans ces deux types de bureaux de vote, les électeurs de la liste EELV sont surreprésentés : la liste y obtient un score supérieur à 34 %. Si la liste PS se situe ici au niveau de sa moyenne sur la ville, la liste LR y obtient en revanche ses plus faibles scores.

Des classes populaires toujours plus abstentionnistes

Quant aux habitants des quartiers populaires, ils s’abstiennent toujours plus massivement : on relève plus de 80 % d’abstention dans seize bureaux de vote, tous situés dans les quartiers avec la plus forte densité d’HLM [5]. On peut également subdiviser ce bloc en deux.

Un premier type d’électeur (classe E) se retrouve dans les bureaux de vote de quartiers les plus éloignés du centre-ville (Hautepierre, cité nucléaire de Cronenbourg, Neuhof). Les habitants y sont les plus précaires. Ils résident aux deux tiers en HLM, et privilégient les transports en commun et les déplacements en véhicule motorisé. La population est jeune, fréquemment immigrée (un tiers de la population), sans diplôme (la moitié des 15 ans ou plus), au chômage (31 %). Ce sont les bureaux de vote de la ville qui concentrent le plus d’abstentionnistes. Les rares votants (un inscrit sur cinq) privilégient plus souvent que le reste de la ville les listes PS et RN, les votes pour les listes LR, LREM et EELV étant eux en deçà de la moyenne.

Le deuxième type circonscrit un autre électorat des quartiers populaires (classe F). Ils résident dans des quartiers plus proches du centre-ville, composés de petites cités HLM moins paupérisées (Koenigshoffen, quartier Poteries, Montagne Verte, Esplanade, cités Spach et Rotterdam). Leurs habitants se trouvent dans des situations un peu moins précaires : ils sont davantage en activité. Pour ce qui est du vote, ils s’abstiennent un peu moins que celles et ceux des bureaux de vote de la classe précédente, et ils votent plus fréquemment pour la liste RN.

L’analyse de données sur la structure sociale des bureaux de vote de la ville et les résultats du premier tour des élections municipales de 2020 à Strasbourg montre qu’en dépit d’une conjoncture particulière, le vote demeure structuré par la position dans l’espace social : les électeurs les plus dotés en capital économique penchent à droite et au centre, ceux issus du pôle culturel à gauche. Tout en confirmant que l’abstention forme le premier choix des classes populaires (Braconnier et Dormagen 2007), elle met en exergue une distinction au sein des classes populaires entre deux fractions. D’une part, celle plus installée et plus dotée en capital économique, qui s’abstient un peu moins et vote davantage pour l’extrême droite. D’autre part, celle moins installée et particulièrement précaire qui vote très peu et qui, lorsqu’elle vote, se porte plus souvent sur les listes de gauche, mais peu pour EELV. Tout en confirmant les difficultés des partis à mobiliser les classes populaires dans les scrutins locaux, ces résultats posent toujours plus la question de la capacité des forces de gauche, notamment des écologistes, à mobiliser l’électorat populaire.

Annexe 1. Analyse en composantes principales des propriétés socio-économiques des habitants des bureaux de vote de la ville de Strasbourg (nuage des variables)

Annexe 2. Projection des classes obtenues par une classification ascendante hiérarchique sur l’espace des propriétés socio-économiques des Strasbourgeois (nuage des individus)

Annexe 3. Caractéristiques socio-économiques des habitants selon la typologie des bureaux de vote (en %)

Annexe 4. Choix électoraux des habitants selon la typologie des bureaux de vote (en %)

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Sébastien Michon, « Dis-moi où tu habites et je te dirai pour qui tu votes. Logiques socio-spatiales du vote aux municipales 2020 à Strasbourg », Métropolitiques, 24 juin 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Dis-moi-ou-tu-habites-et-je-te-dirai-pour-qui-tu-votes.html

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