Créé par la loi du 30 octobre 2007, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constitue depuis cette date un élément essentiel du « mécanisme national de prévention » exigé par les textes internationaux ratifiés par la France en matière d’emprisonnement [1]. Il est à ce titre chargé de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux ». Il coordonne à cette fin une équipe de « contrôleurs [2] », aujourd’hui au nombre de 39 (dont 17 contrôleurs permanents et 22 « extérieurs » qui n’effectuent que ponctuellement des missions), en majorité issus des administrations qu’ils contrôlent. Leur tâche principale consiste à visiter un large éventail de lieux d’enfermement (prisons, locaux policiers de garde à vue, centres de rétention destinés au renvoi forcé des étrangers, ou encore hôpitaux psychiatriques), et de tirer de leurs observations un rapport adressé à leur ministère de tutelle, et finalement rendu public.
Le contrôle, en ce sens, est immédiatement inscrit dans un rapport à l’espace et à l’architecture. Il suppose d’entrer, d’observer et de déduire, des constats effectués sur le terrain, une évaluation des lieux de privation de liberté, au regard des droits fondamentaux et de leur respect. Un problème essentiel apparaît attaché au contexte de cette mission : celui d’arriver à effectuer précisément ce repérage des conformités et des violations des droits dans l’infinie diversité des pratiques et des arrangements informels qui font le quotidien de la prison. L’espace de l’enfermement au sens large – soit les architectures, la répartition des personnes et des activités, mais également les objets qui orientent ces dernières – constitue dans ce travail d’évaluation des repères précieux pour le repérage de ce qui est ou non conforme aux droits fondamentaux. Dans ce contexte, les lieux incarnent eux-mêmes un régime juridique spécifique – à l’image des Quartiers pour mineurs ou des Quartiers disciplinaires – ou constituent des relais de l’exercice d’un droit, à l’image des parloirs permettant les visites familiales aux détenus. Visiter une prison, pour les contrôleurs du CGLPL, c’est donc s’inscrire d’une certaine manière dans l’espace carcéral. C’est mettre en œuvre, en premier lieu, une capacité particulière à l’observer, en partie acquise au cours du parcours professionnel antérieur. C’est aussi savoir, en conséquence, parcourir l’espace carcéral, pour s’intéresser à certains lieux ou en négliger d’autres, mais aussi, on le verra, en sachant « traîner » dans des espaces communs où l’ordinaire de l’institution se dévoile par excellence. Enfin, c’est également savoir convertir ces observations en un discours sur la prison susceptible d’être saisi tant par les autorités que par le grand public destinataire des rapports de contrôle. Les compétences à mobiliser lors d’un contrôle consistent aussi bien à savoir maîtriser l’écrit que d’autres supports de mise en visibilité de la prison : le film en est un – le CGLPL a fait l’objet en 2013 d’un documentaire [3] – mais c’est surtout dans la photographie que le contrôle s’inscrit sur le long terme, deux photographes professionnels ayant successivement travaillé en tant que contrôleurs dès la mise en place de l’Autorité. C’est sur l’articulation de ces différents registres de description de l’espace carcéral associé à une présentation des profils des membres du CGLPL que ce texte reviendra, à partir des matériaux d’une enquête consacrée à la mise en œuvre concrète du contrôle [4].
Naissance d’une institution et profils des contrôleurs
La création fin 2007 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’inscrit dans la problématisation publique de l’espace carcéral, à l’issue d’une décennie où la question a fait l’objet d’une attention inédite de la part des médias et des pouvoirs publics [5]. La fonction répond à l’époque à un impératif pénitentiaire – assurer le contrôle extérieur des prisons en ouvrant ses portes à des acteurs indépendants. L’institution s’inscrit alors dans une logique plus générale : celle de l’effectivité des droits, qui s’attache moins à la définition de nouveaux droits fondamentaux pour les personnes, qu’à la mise en œuvre effective, sur le terrain, des droits existants. Cette double logique définit la mission des contrôleurs, mais aussi le profil auquel ils doivent correspondre. Ils doivent à la fois connaître suffisamment le terrain pénitentiaire pour savoir comment et où y repérer les potentielles violations des droits fondamentaux et pouvoir conserver le regard distancié que supposent leur extériorité et leur indépendance. Ce sont ces deux impératifs qui gouvernent le recrutement de l’équipe initiale de contrôleurs qui est mise en place à l’été 2008.
Le premier CGLPL nommé en 2008 est Jean-Marie Delarue. Le droit restant évasif sur le profil de ses collaborateurs, il s’entoure d’une majorité de fonctionnaires détachés de leur administration, pour la plupart originaires des institutions contrôlées. On trouve parmi eux des directeurs de prison, des magistrats, un commissaire divisionnaire de police ou encore un officier de gendarmerie. Souvent en fin de carrière, ces professionnels peuvent tirer parti de leur longue expérience des lieux d’enfermement qu’ils ont côtoyés dans l’exercice de leurs fonctions et des réseaux qu’ils ont pu constituer. L’exigence de distanciation, quant à elle, dépend de facteurs multiples. Elle correspond tout d’abord à un souhait individuel des contrôleurs eux-mêmes, pour qui l’entrée au CGLPL traduit souvent une volonté de prendre leur distance avec le métier d’origine afin de relancer une carrière perçue comme bloquée, faire aboutir un désir de réforme difficilement audible à l’échelle de leurs institutions ou plus simplement préparer un départ en retraite. L’engagement dans la fonction tient également à des éléments statutaires, les contrôleurs étant directement rattachés au Premier ministre et pouvant librement accéder aux espaces d’enfermement et à la plupart des documents relatifs à leur administration. Être contrôleur renvoie à un ensemble de règles, définies dès les premières années de l’institution. Elles établissent tout d’abord un principe de non-spécialisation et de polyvalence des contrôleurs. Contrairement à beaucoup de leurs homologues européens ou nord-américains, ils ne sont pas individuellement chargés du suivi d’un type d’établissements ou d’une zone géographique, mais ils doivent au contraire, quelle que soit leur origine professionnelle, pouvoir évaluer tous les lieux placés dans le champ du contrôle. Au-delà de cette organisation formelle, l’approche des lieux d’enfermement repose dès les premières années sur la volonté de bannir des rapports de visite les appréciations subjectives des contrôleurs, au profit de la description la plus précise et la plus objective possible des lieux évalués. Si cette logique est aujourd’hui rediscutée au sein du contrôle – elle a précisément contribué à rendre les rapports exagérément descriptifs, tout en allongeant leur taille. Elle témoigne aussi d’un rapport particulier du contrôle à l’espace carcéral : c’est dans sa matérialité concrète qu’il doit s’ancrer. Reste à envisager comment il est possible de passer de cette réalité complexe au repérage et à la qualification des atteintes aux droits fondamentaux à destination du grand public.
L’État de droit dans l’espace de la prison. Visites de contrôle et orientation des observations
Une visite de contrôle est une interaction, à plusieurs titres : entre les membres de l’équipe de contrôle tout d’abord, une visite étant toujours assurée par un groupe de contrôleurs allant de deux [6] à une dizaine ou plus [7]. Si les regards et les appréciations doivent être ajustés au sein de ce premier ensemble d’acteurs, ils doivent également se confronter aux publics, eux-mêmes hétérogènes, rencontrés sur les lieux. Il s’agit à la fois des détenus, des personnels dans leur diversité (surveillants, hiérarchie, représentants syndicaux, conseillers d’insertion), et des intervenants extérieurs (avocats, enseignants, formateurs). Face à la diversité des interlocuteurs et des lieux, l’espace fournit alors un point de repère qu’il s’agit de décrire, mais aussi de constituer en support de l’évaluation du respect ou de la violation d’un droit fondamental. L’opération essentielle du contrôle consiste à opérer une montée en généralité des faits observés sur le terrain vers les principes ou les règles de droit positif auxquels ils portent atteinte. Si l’espace matériel de la prison peut fournir un relais pour un tel exercice, c’est qu’il est lui-même en partie juridicisé. L’espace carcéral est devenu depuis quelques décennies un espace disputé où l’économie traditionnelle des arrangements, des sanctions et des échanges informels entre détenus et surveillants est de plus en plus contraint et réorganisé par des règles de droit et par leur traduction concrète dans des architectures, ou des formes de contrôle et d’enregistrement automatisés des activités quotidiennes. Abordant un espace de réclusion, les contrôleurs peuvent donc se fonder sur le droit positif existant et sur les exigences concrètes que ce dernier formule quant à l’organisation de l’espace carcéral.
Lors de la visite d’une maison d’arrêt, le droit gouverne ainsi en premier lieu la distribution spatiale du travail entre les contrôleurs. Chacun d’entre eux se voit affecter certaines missions de la prison, qui correspondent à autant de lieux qui devront faire l’objet d’observations précises. Ainsi sont considérés le quartier arrivant où les détenus sont placés en « observation » avant leur affectation à une cellule, les espaces de soin, les ateliers de formation et de travail. Certains de ces lieux sont d’autant plus aisément « contrôlables » qu’ils sont régis par des normes juridiques précises. Visitant le Quartier disciplinaire du même établissement, le contrôleur en charge – lui-même ancien directeur de prison – se présente ainsi aux deux détenus qui s’y trouvent, et leur pose une série de questions directement fondées sur les dispositions de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Il vérifie notamment qu’ils se sont entretenus avec un surveillant gradé au moment de leur placement, ou encore qu’ils disposent d’une radio, deux éléments expressément mentionnés dans le règlement pénitentiaire type annexé à la loi. Dans ce cas, l’incarnation du droit dans des éléments matériels précisément distribués dans le temps et dans l’espace, permet précisément au contrôle de se réduire, dans un premier temps en tout cas, à une simple vérification que ces éléments sont « en place ». Il en va de même de la vérification de la tenue des registres de l’établissement, que les contrôleurs examinent avec précision.
D’autres aspects, moins directement évoqués par le droit, supposent conjointement des contrôleurs la capacité à repérer une situation anormale en détention, et à mener par la suite une enquête visant à confirmer son caractère problématique – ou, au contraire, son absence d’importance. Au cours de la visite du Quartier pour peines aménagées [8] de la même maison d’arrêt, l’attention d’un autre contrôleur (lui aussi ancien directeur de prison) est ainsi attirée par une salle dont l’usage est indéterminé. On lui indique qu’il s’agit d’une salle d’attente pour les détenus placés à l’extérieur qui réintègrent la prison en état d’ivresse, mais l’explication le laisse sceptique. Se présentant à l’entrée d’une cellule ouverte où sont réunis cinq détenus, il engage la conversation et les interroge au passage sur l’usage de la salle : il cherche notamment à confirmer que « c’est pas un mitard-bis ». Devant les dénégations des détenus, il n’aborde plus le sujet. Dans ce cas, c’est en premier lieu l’expérience du contrôleur, familier de l’espace carcéral, qui permet le repérage d’une anomalie dans l’espace pénitentiaire : soit un lieu dépourvu de fonction identifiable, mais dont l’usage abusif – le mitard informel – peut en revanche être imaginé. Cette interrogation de départ débouche sur une enquête et sur l’infirmation des craintes du contrôleur.
Ce repérage par recoupement fait donc saillir les dimensions qui seront jugées problématiques, en s’appuyant sur l’organisation spatiale de la prison parce que cette dernière est précisément directement signifiante, moralement et juridiquement. Un lieu existe ou n’existe pas, il correspond ou non à un objectif défini dans l’espace carcéral, son agencement matériel permet plus ou moins d’atteindre cet objectif : autant d’aspects d’abord topographiques, dont la description empirique permet simultanément d’énoncer un jugement sur les conditions de détention.
Cette centralité de l’espace donne aussi son sens à la description scrupuleuse des locaux par les contrôleurs. Le contrôle est pourtant loin de s’y réduire. Il doit également saisir des dimensions plus immatérielles de l’établissement – son climat social, la tension générale ou l’apaisement qui le caractérisent. Le plus difficile consiste à objectiver et à restituer des éléments sensibles mais plus difficiles à l’image des odeurs ou du niveau sonore associés à certains lieux. Là encore pourtant, ce travail d’objectivation possède un ressort spatial. Il repose sur l’immersion déjà évoquée – soit, dans les termes de certains contrôleurs, sur l’art de « traîner » sur les lieux assez longtemps pour y faire oublier sa présence, recueillir des confidences et comprendre ce que Goffman nommait la « vie clandestine » de l’institution [9]. S’il s’agit encore à ce stade de collecter des données, ces dernières sont toutefois constamment sélectionnées et hiérarchisées, dans une perspective spécifique : évaluer ce qui est suffisamment remarquable pour être inscrit dans le rapport final dressé à l’issue de la visite.
Le discours public du contrôleur, entre forme-rapport et format photographique
L’enjeu final du contrôle, c’est la rédaction d’un premier rapport de constats, adressé aux responsables de l’établissement et à leur hiérarchie – et qui, après intégration de leurs observations, peut devenir le rapport de visite finalement publié. Le recours à la forme-rapport est ici important, parce qu’il correspond à une forme instituée. Mis en ligne sur le site du CGLPL, les rapports sont également publiés au Journal officiel, et l’autorité qui leur est associée explique les précautions adoptées par nombre de contrôleurs. Il s’agit d’éviter les erreurs, quitte à laisser à des collègues plus connaisseurs de certains lieux le soin de rédiger certaines évaluations. Les contrôleurs sont pris, sur ce point, dans les mêmes impératifs que les médiateurs du défenseur des droits. Issus des administrations mais mandatés pour en dresser l’analyse critique, afin d’effectuer leurs constats publics [10], ils arbitrent constamment entre les impératifs pratiques du travail bureaucratique – qu’ils connaissent et comprennent – et la défense des droits des détenus – qui fonde leur mission.
L’originalité du Contrôle est toutefois de ne pas se cantonner au seul écrit. Dès les premières années du CGLPL, l’image a constitué l’autre format majeur de restitution de ses évaluations. Il s’agit en premier lieu d’un enjeu de communication : acteur public, le contrôleur est dès sa création sollicité par les médias. L’élaboration d’une stratégie en la matière – un·e contrôleur·e est très tôt chargé·e spécifiquement des relations avec la presse – amène finalement les contrôleurs à produire leurs propres images. C’est le sens de la réalisation du documentaire de Stéphane Mercurio entre 2011 et 2013 et des recrutements successifs de deux photographes en tant que contrôleurs extérieurs, à partir là aussi de janvier 2011. Les particularités de ce recours à la photographie, notamment quand il s’agit pour le contrôleur-photographe de construire son rapport spécifique à l’espace carcéral, et d’en proposer un cadrage particulier – sont à la fois au sens photographique et au sens sociologique.
Le photographe partage avec les contrôleurs le statut d’enquêteur éclairé par une connaissance préalable des lieux qu’il visite : en l’occurrence, les deux contrôleurs photographes du CGLPL ont tous deux travaillé sur la marginalité sociale, notamment les réfugiés et exilés, l’un d’entre eux ayant effectué un premier travail sur les prisons avant son recrutement. Son statut particulier de preneur d’images lui permet en revanche de s’inscrire différemment dans l’espace carcéral : alors que les autres contrôleurs sont affectés à une dimension et à des lieux spécifiques de l’établissement, il est le seul dont le mandat reste indéfini. Il est alors libre de se déplacer quotidiennement dans l’ensemble de la prison pour y réaliser des clichés, « prenant le pouls » de l’établissement plus aisément que ses collègues [11]. Cette mobilité l’autorise notamment à négocier avec les personnels, mais surtout avec les détenus, l’accès à des lieux peu ou pas accessibles aux autres contrôleurs. Le premier photographe employé par le CGLPL relate ainsi comment il a pu obtenir l’accès aux cours de promenade des prisons visitées – c’est-à-dire à des lieux où se noue la majorité des accords, des transactions et des intimidations qui constituent la vie informelle des personnes incarcérées, mais qui restent habituellement fermés aux contrôleurs et souvent aux surveillants pénitentiaires eux-mêmes [12].
La spécificité du regard photographique tient donc en premier lieu au parcours géographique que peut réaliser le photographe au sein de l’espace carcéral. Elle tient également à la multiplicité des usages de l’image dès lors qu’elle doit servir à la réalisation du contrôle, au même titre que le rapport écrit. Arpentant la prison, le contrôleur-photographe y réalise tout d’abord la même opération que ses collègues. Il doit rendre saillante une situation qu’il distingue d’abord comme une anomalie, et que sa capture photographique puis sa publication requalifieront comme une atteinte aux droits fondamentaux.
Le médium photographique se distingue toutefois par les modalités particulières de cette montée en généralité de l’espace visité vers le public destinataire des images. C’est le cas par exemple à l’automne 2012, lorsqu’un rapport consacré par le CGLPL à la prison des Baumettes à Marseille suscite une série de commentaires indignés dans la presse. Une large part des commentaires est alors consacrée au portfolio de photographies qui accompagne le document écrit – où s’alignent des clichés de cours inondées, de coursives ouvertes aux intempéries, ou encore du cadavre d’un rat gisant au pied d’un bâtiment. Dans ce schéma, la simple publication des clichés suffit à qualifier la réalité qu’ils montrent comme un abus intolérable, sans qu’il soit même nécessaire de les légender.
Le cliché photographique peut également faire office de preuve, mais dans la mesure où il est constitué comme tel par un argumentaire cherchant à qualifier une atteinte à un droit fondamental au regard du droit positif, situation qui s’est notamment produite lors d’un procès engagé par les membres de l’Observatoire international des prisons contre les responsables du centre pénitentiaire de Fresnes, au cours duquel les photos produites par le CGLPL ont été versées au dossier.
Les possibilités offertes par le médium photographique, et par la liberté de mouvement du contrôleur-photographe au sein de l’espace carcéral, permettent in fine de rendre plus couramment perceptibles du public des dimensions et des effets de l’espace carcéral plus difficiles à restituer à l’écrit. Les clichés réalisés en prison le sont en vertu d’un cadrage par ailleurs partiellement contraint par le droit interdisant de montrer les visages des détenus. Un contrôleur-photographe se refuse ainsi à les flouter où à « couper » systématiquement ses portraits au niveau du torse – procédés artificiels souvent utilisés par les reportages télévisés sur la prison – parce qu’ils renforcent à ses yeux la stigmatisation des détenus en soulignant l’occultation de leur identité. Le recours à des poses de trois-quarts arrière – où la photo ne subit aucune coupure, mais présente seulement les personnes de dos – évite cet écueil tout en préservant l’anonymat [13]. En éludant les regards directs et les visages, il donne en revanche d’autant plus d’importance au bâti qui entoure les détenus. Ils sont chaque fois placés dans des cadres fermés – ceux des grilles, des murs, des corridors – redoublant le cadre photographique, dont le regard du spectateur ne peut lui non plus s’extraire.
Si la prison a donc été arpentée et décrite par des enquêteurs critiques dès sa mise en place, la création d’une institution tout à la fois préventive et indépendante est bien l’occasion de modifier les regards portés sur l’espace carcéral. Le contrôle exercé sur les lieux d’enfermement est à même de se focaliser sur le fonctionnement général de la prison plutôt que sur une plainte spécifique. Il est libre d’en analyser tous les aspects sans restrictions.
Il s’agit ici littéralement de saisir l’imperceptible, et de constituer en objet d’une critique raisonnée ce qui relève des « infimes réalités carcérales » dont parlait Michel Foucault. Pour quels effets sur le quotidien des prisons ? Ces derniers sont, pour la même raison, difficiles à quantifier. Si les scandales provoqués par certains rapports ont pu déboucher sur des transformations immédiates et spectaculaires – le scandale de la prison des Baumettes a ainsi débouché sur la fermeture de plusieurs bâtiments – le Contrôle possède sans doute, selon le mot d’un contrôleur, un « pouvoir de rabâchage ». La réitération des visites et des évaluations publiques rappelle aux personnels et à leur hiérarchie que certaines situations sont proscrites, et que les acteurs critiques chargés de les détecter font désormais partie, eux aussi, du champ carcéral.