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Débats

Les prisons vertes : nouveau paradigme de la construction des prisons ?

Alors que les prisons sont souvent associées à un environnement minéral, Mélanie Bouteille et Lucie Bony reviennent sur l’histoire des espaces végétalisés dans l’architecture carcérale. Elles montrent que les récentes politiques de « verdissement » ne permettent pas un meilleur accès à ces espaces pour les personnes détenues.

Les prisons françaises sont largement associées à un paysage minéral. En effet, depuis l’instauration de la peine privative de liberté [1] à la fin du XVIIIe siècle, les contraintes sécuritaires inhérentes à la fonction de l’institution pénitentiaire laissent peu de place à la végétation en prison (Milhaud 2014). Ainsi, « si un besoin de nature existe entre les murs, il est scrupuleusement nié par l’architecture, par les règles de construction, par le fonctionnement carcéral même, qui cherchent à construire un espace résolument artificiel, contrôlé, maîtrisé » : à la privation de liberté s’ajoute alors une « privation de nature » (ibid., p. 117). Cependant, depuis le milieu du XXe siècle, on assiste à un verdissement de l’espace carcéral : d’abord avec l’autorisation d’engazonner les espaces non accessibles aux personnes détenues dans les années 1960 ; puis, en 2011, avec l’élaboration d’un cahier des charges pour le verdissement des cours de promenade des établissements existants. Et depuis le Nouveau programme immobilier de 2011 [2], des consignes en matière de verdissement sont formalisées dans le programme pénitentiaire des nouvelles constructions. Cette présence croissante d’espaces verts au sein des prisons est une volonté affichée du ministère de la Justice [3] d’inclure les réglementations environnementales dans ses programmes de construction et d’amorcer ainsi un tournant écologique dans la conception des prisons. Après avoir replacé le paradigme du verdissement dans l’histoire de l’architecture carcérale, nous montrons que les pratiques actuelles en la matière, si elles permettent la lente augmentation des surfaces végétalisées en prison, ne rendent pas nécessairement ces espaces plus accessibles aux personnes détenues [4].

Des prisons de plus en plus vertes ?

La place du verdissement dans la théorie de l’architecture carcérale ne correspond pas parfaitement à la place effective occupée par les espaces verts dans les établissements. En effet, des prisons vertes [5] existaient déjà au XIXe siècle. D’abord, de nombreuses prisons anciennes sont issues de reconversions d’anciens couvents, abbayes et châteaux, dont les espaces agricoles ont perduré après le passage à la fonction carcérale. Par exemple, la maison centrale de Poissy est un ancien couvent reconverti en 1821, dont l’organisation autour d’une cour-jardin perdure jusqu’à aujourd’hui (figure 1). L’influence du modèle conventuel sur les établissements construits spécifiquement pour une fonction d’enfermement au XIXe siècle a également contribué à l’inclusion d’espaces végétalisés dans certaines prisons, comme à la prison pour femmes de Rennes, organisée depuis son ouverture en 1878 autour d’une cour hexagonale aménagée comme un jardin.

Figure 1. La cour n° 5 de la maison centrale de Poissy

Source : Rapport de la deuxième visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), 2014.

De plus, à partir du Second Empire, une cinquantaine de colonies agricoles pénitentiaires sont « fondées sur la conviction qu’une peine au grand air et un travail aux champs permettraient aux détenus de retrouver sens moral et amour du travail » (Besson 2020, p. 31). Elles ont disparu moins d’un siècle après leur naissance, en grande partie en raison des mauvaises conditions sanitaires et de travail qu’elles engendraient (Carlier 2009). Seul le centre de détention de Casabianda (Corse), ouvert en 1948 sur le site d’un ancien pénitencier agricole, a conservé sa fonction originelle (figure 2).

Figure 2. Un bâtiment d’hébergement du centre de détention de Casabianda en Corse

Source : Rapport de visite du CGLPL, 2014.

Toutefois, le développement récent des espaces végétalisés en prison résulte d’abord d’exigences environnementales de plus en plus fortes qui pèsent sur la production urbaine et se traduisent notamment par le souci d’intégration de la biodiversité au sein des établissements pénitentiaires (DAP 2020). Mais si l’enjeu environnemental est pris en compte dans la conception et dans la rénovation des prisons, c’est surtout l’argument de l’amélioration des conditions de détention qui est avancé par les concepteurs des prisons. Les bienfaits psychologiques des espaces plantés en détention seraient dus à leur dimension esthétique et paysagère, ou encore à la notion de saisonnalité qu’ils apporteraient. Les espaces verts sont ainsi présentés par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) comme un moyen d’apaiser la détention et d’atténuer la sensation d’enfermement, voire comme un levier de réinsertion du fait des activités, des formations et des emplois potentiellement induits par la présence de végétation. Le verdissement des prisons participe donc de la volonté de normalisation de l’espace carcéral, apparue dans les années 1970 (Icard 2022).

D’abord, ce verdissement s’est traduit par l’apparition d’un nouveau type de conception spatiale. Mis en œuvre pour la première fois lors de l’extension du centre pénitentiaire d’Aix-Luynes, le projet permet de créer des espaces interstitiels destinés à être végétalisés, comme le montre la figure 3.

Figure 3. Plan-masse des établissements d’Aix-Luynes 1 (à gauche) et son extension Aix-Luynes 2 (à droite)

Sources : Géoportail ; réalisation : Mélanie Bouteille.

Toutefois, cette possibilité de végétalisation est moins due à la réorganisation des espaces extérieurs qu’à une évolution de la doctrine pénitentiaire. En effet, on observe depuis quelques années des travaux d’aménagement d’espaces végétalisés dans des prisons anciennes, comme les établissements de Nice, Château-Thierry, Paris-La Santé ou encore Joux-la-Ville (figure 4). Ce ne sont pas seulement les nouvelles prisons qui sont plus vertes que les anciennes, mais c’est plus largement sur l’ensemble du parc carcéral qu’une attention particulière est désormais apportée à la création d’espaces extérieurs végétalisés.

Figure 4. Le quartier femmes du centre de détention de Joux-la-Ville

Source : T. Chantegret, Rapport de la troisième visite du CGLPL, 2021.

Finalement, au regard de l’histoire de l’architecture pénitentiaire et de l’existence d’établissements pénitentiaires « verts » dès le XIXe siècle, notamment les colonies agricoles pénitentiaires, l’injonction récente au verdissement correspond davantage au retour d’espaces paysagers dans les prisons plutôt qu’à une réelle nouveauté. Les motivations au verdissement ont quant à elle quelque peu évolué, avec un glissement du registre moral vers des registres social, psychologique et écologique.

Des préconisations en matière de verdissement différenciées selon les espaces

Alors que les contraintes de sûreté restent prépondérantes dans la conception et le fonctionnement des prisons, dans quelle mesure leurs espaces extérieurs peuvent-ils être végétalisés ? Dans le programme générique des établissements pénitentiaires sur lequel s’appuient les nouvelles constructions, l’APIJ définit les possibilités de verdissement théorique des prisons en fonction des espaces, de leur usage ainsi que de leur positionnement par rapport au mur d’enceinte et aux espaces de détention [6] (figure 5).

Figure 5. Schéma des possibilités de verdissement des établissements pénitentiaires

Source : APIJ, 2022 ; réalisation : Mélanie Bouteille.

L’APIJ distingue d’abord les espaces se trouvant hors du mur d’enceinte, comme les espaces de stationnement du personnel et des visiteurs, les locaux des personnels ou encore l’accueil familles. Les contraintes sécuritaires allégées de ces espaces permettent une certaine liberté dans le traitement végétal, avec la possibilité de planter des végétaux à haute tige, à condition de ne pas masquer la vidéosurveillance. Les alignements d’arbres, souvent présents autour du mur d’enceinte, sont envisagés comme un moyen d’intégrer les prisons à leur environnement ; néanmoins, ils constituent aussi une barrière végétale qui redouble le mur d’enceinte et traduisent une « volonté générale de minimiser la visibilité de la prison, voire de l’occulter visuellement » (Leroux et Rigamonti 2017, p. 11).

Concernant les espaces extérieurs en enceinte hors détention, c’est-à-dire la cour d’honneur et de service, l’administration ou encore le glacis [7], les possibilités de végétalisation diffèrent en fonction des usagers auxquels ils sont accessibles. Ainsi, les plantes basses et hautes sont autorisées dans les locaux d’administration dédiés aux personnels, alors que dans la cour d’honneur, traversée par des personnes extérieures à l’établissement (familles, avocats, intervenants, etc.), des plantations basses intégrées dans du mobilier sont préconisées. La zone du glacis est inaccessible mais doit garantir la visibilité sur les abords de l’établissement, seule la végétation basse y est autorisée. Depuis que le plan de construction de 2004 (dit « plan 4 000 ») a instauré le placement du glacis à l’intérieur du mur d’enceinte, ce no man’s land systématiquement engazonné constitue une surface végétalisée conséquente au sein de l’enceinte.

Les espaces extérieurs en détention (cours, cheminements, espaces interstitiels) connaissent eux aussi une augmentation de la végétation autorisée. Ainsi, une « densification végétale » est préconisée dans les espaces interstitiels inaccessibles autour des cours et entre les quartiers de détention, afin d’offrir des vues sur des espaces végétalisés depuis les cours et les cellules. De plus, certaines formes végétales sont autorisées au niveau des cheminements traversés par les personnes détenues : végétation basse, bacs plantés, massifs de jalonnement, et même des arbres dès lors qu’ils sont inaccessibles. Certains espaces restent néanmoins incompatibles avec la présence de végétal, comme le chemin de ronde, une voie d’intervention pour les pompiers.

La végétalisation des cours de promenade demeure également limitée : elle n’est pas autorisée dans les cours des quartiers disciplinaires, et limitée à 20 % de la surface totale des cours des quartiers maison d’arrêt et mineur, avec une végétation basse sans arbuste seulement autorisée dans des bacs maçonnés fixes. Toutefois, les cours des quartiers réputés les moins difficiles à gérer (centre de détention, quartiers respect et quartiers femmes) peuvent accueillir de la végétation basse, des arbustes ou encore des parcelles à cultiver.

Des prisons dites vertes mais aux espaces végétalisés inaccessibles

Le concept de « prisons vertes » bouleverse-il fondamentalement la conception des prisons en rendant les espaces verts accessibles aux personnes détenues ? Si cette politique permet à l’administration pénitentiaire d’afficher des préoccupations écologiques, les espaces plantés restent largement inaccessibles aux personnes détenues. Bien que la création d’espaces de jardinage soit en augmentation depuis une dizaine d’années [8], ils sont pour la plupart de petite dimension, ne peuvent accueillir qu’un nombre très limité de personnes détenues et restent difficiles à pérenniser (ANVP et Green Link 2018).

De plus, pour les constructions récentes, la végétalisation de certains espaces de détention est loin de compenser les effets négatifs des prisons sur l’environnement (artificialisation des sols, impact sur la biodiversité ou encore fonctionnement énergivore). Et ce d’autant plus qu’il existe en général une différence entre la proposition de végétalisation lors de la conception et les espaces qui persistent à l’usage. Cela est en partie dû à la spécificité du milieu carcéral (construction sur remblais, îlots de chaleur, réverbération du soleil) qui met en difficulté les végétaux plantés. Mais ce sont surtout les risques sécuritaires et la vigilance supplémentaire engendrée pour le personnel de surveillance qui rendent difficile le maintien d’espaces plantés en détention : ils seraient « inévitablement source de cachette, de foyer d’incendie, ou même lieu de défi aux surveillants » (Milhaud 2014, p. 118). Les craintes sécuritaires sont telles que la végétalisation est souvent réduite dès la livraison de l’établissement, voire dès la phase de chantier. Dans ce contexte, les bénéfices attendus pour les personnes détenues ne peuvent être que très limités.

Reste à savoir si les discours sur les prisons vertes se matérialiseront dans la trentaine de prisons en cours de construction depuis 2016, dans le cadre du « plan 15 000 », ou si la difficulté à inclure des espaces verts continuera de révéler « les dynamiques souvent contradictoires que connaît l’institution carcérale : d’une part, les pressions pour en faire une institution décente, de l’autre, la politique sécuritaire qui tend à renforcer son usage et à ouvrir de nouvelles possibilités d’arbitraire » (Rostaing 2009, p. 89). En effet, la nouvelle grammaire développée autour des prisons vertes semble raviver l’idée d’une « bonne prison » (Salle 2016), qui serait un bienfait non seulement pour la société, mais également pour l’environnement. L’argument écologique s’ajoute aux arguments progressistes qui soutiennent l’accroissement du parc pénitentiaire dans un but d’amélioration des conditions de détention. Les plans de construction de prisons qui se succèdent depuis les années 1980 pour résorber la surpopulation carcérale ne parviennent pas à suivre l’augmentation du nombre de personnes détenues : alors que les prisons semblent verdir, elles continuent de se remplir [9]. En donnant une image plus « écologique » aux établissements pénitentiaires, le nouveau paradigme des prisons vertes participerait ainsi à légitimer l’expansion de la population carcérale (Jewkes et Moran 2015).

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Mélanie Bouteille & Lucie Bony, « Les prisons vertes : nouveau paradigme de la construction des prisons ?  », Métropolitiques, 20 mai 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Les-prisons-vertes-nouveau-paradigme-de-la-construction-des-prisons.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.2040

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