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Débats

Pôles métropolitains : du « faire territoire » au « faire politique », ou la nouvelle bataille de l’interterritorialité

Continuité territoriale et exclusivité de l’appartenance ont été les pierres angulaires des regroupements de communes en France. La nouvelle réforme des collectivités territoriales ne dit pas autre chose, excepté dans un article sur les « pôles métropolitains ». Autorisant des alliances très variées, il remet en question la conception et le fonctionnement des intercommunalités. Les auteurs invitent à aller au bout d’une recomposition plus politique et moins territoriale.

Quel succès ! Dans la grande agitation-perturbation de la réforme territoriale, la perspective d’un pôle métropolitain, c’est un peu la carte Joker. La construction métropolitaine reste politiquement impossible ? Joker ! Vous auriez voulu être métropole mais n’avez pas la taille requise ? Joker ! Vous côtoyez une métropole en émergence, avec ou sans label, et cela vous inquiète ? Joker ! Votre Préfet bouscule sans ménagement vos intercommunalités ? Joker ! Vous êtes empêtrés dans le « ni avec toi ni sans toi » des Schémas de cohérence territoriale (SCOT) urbains et périurbains ? Joker ! Votre « pays urbain » est en danger de non reconnaissance ? Joker ! Vos voisinages ne vous font pas rêver, mais des alliances lointaines oui ? Joker ! Vous voulez donner une nouvelle preuve du génie institutionnel français à vos voisins européens frontaliers à défaut de rééquilibrer des échanges inégaux ? Joker ! Et ainsi de suite. Rarement une loi aussi décriée et contestée que la loi du 16 décembre 2010 de Réforme des collectivités territoriales, aura contenu un chapitre aussi plébiscité que ce chapitre II à l’article unique sur les pôles métropolitains (article 20).

Un petit article, qui promet le maximum

Rappelons-en l’essentiel, avant d’aller voir ce que recouvre la carte Joker. Le pôle métropolitain est un syndicat mixte de type « fermé » constitué par accord entre des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, en vue d’actions d’intérêt métropolitain (économie, innovation, recherche et enseignement supérieur, culture, planification, transports). L’ensemble doit atteindre 300 000 habitants, autour d’un EPCI de plus de 150 000 habitants (50 000 s’il s’agit d’un EPCI frontalier). La notion d’intérêt métropolitain des compétences transférées doit faire l’objet de délibérations concordantes de la part des EPCI membres. Le ou les départements et régions concernés doivent être consultés avant l’arrêté du préfet. Le principe des pôles métropolitains ne s’applique pas à l’Île-de-France, « Grand Paris » oblige. Au total, 53 « cœurs de pôles » pourraient se manifester en France métropolitaine : les 12 communautés urbaines de plus de 150 000 habitants, qu’elles visent ou non à devenir métropoles, les 31 communautés d’agglomérations (CA) dépassant le même seuil, rejointes par les 10 CA frontalières de plus de 50 000 habitants. Mais potentiellement pour beaucoup plus de 50 projets de pôles métropolitains.

En effet, l’article 20 reste judicieusement silencieux sur deux principes pourtant jugés majeurs par le reste de la loi, comme par les précédentes dans le même champ : le principe d’exclusivité et le principe de continuité. Alors que pour en finir avec l’âge baroque de l’intercommunalité, l’État n’a eu de cesse d’imposer ces deux principes d’architecture territoriale, voilà qu’un dispositif permet à la fois de « multi-appartenir » et de construire des alliances discontinues, en clair des réseaux de collectivités (sauf pour les pôles frontaliers). On comprend le succès de la bouffée d’oxygène ! Commence alors la nouvelle bataille de l’interterritorialité, bataille feutrée et encore confuse. Les stratégies d’assemblage s’entrechoquent. L’État semble hésiter sur la façon de faire vivre l’idée nouvelle (qui doit beaucoup au travail législatif de quelques élus urbains d’influence, comme Gérard Collomb et André Rossinot) et ce en pleine élaboration forcément agitée des schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI). Quant à l’enjeu métropolitain en question, il est loin d’être identifié par tous dans les mêmes termes : s’agit-il à nouveau de « faire territoire », au nom du fait métropolitain mais dans l’éternelle quête horizontale du périmètre intégrateur, ou bien le temps du « faire politique » s’imposera-t-il par la fabrique interterritoriale des biens publics et services communs de demain ?

Toujours l’aire et/ou le réseau

Deux logiques sont à l’œuvre dans le chantier qui s’ouvre. La première relève d’une logique d’aire métropolitaine, même avec des discontinuités dans la carte, la seconde d’une logique de réseau d’agglomérations moyennes, y compris jusqu’à l’échelle régionale. Dans la première, on trouve logiquement les principales régions urbaines (Lyon–Saint-Étienne et son « G4 », Lille qui renoncerait au statut de métropole, Marseille qui viserait les deux, métropole et pôle métropolitain, Nantes–Saint-Nazaire sur la base de leur SCOT, Grenoble tendue vers le périmètre du sien ; le Genevois français ; mais aussi des grappes urbaines moins métropolisées comme Dunkerque et la côte d’Opale, le cœur du bassin minier du Nord–Pas-de-Calais, le Valenciennois, le Hainaut, et la Vallée de la Sambre, etc.). Dans la seconde, s’affichent des alliances de villes moyennes qui cherchent les moyens de leur visibilité (le « G10 » champenois, Limoges–Brive–Cahors–Périgueux, Pau interpellant Tarbes et Bayonne, Dijon–Besançon, plus hypothétiquement Orléans–Blois–Tours ; mais aussi des agglomérations plus grandes qui anticipent les potentiels stratégiques de demain, comme Nantes–Rennes, où Grenoble dans son sillon alpin étiré jusqu’à Valence, Strasbourg–Mulhouse, et bien entendu Caen–Le Havre–Rouen). On reconnaît ce qui distinguait déjà les réseaux de villes et les contrats de coopération métropolitaine d’une part (logique de réseau) et les conférences métropolitaines et les grands SCOT ou inter-SCOT d’autre part (logique d’aire). Le modèle de la loi fait exception et confirme cette typologie basique : le Sillon lorrain avec ses quatre agglomérations relève à la fois de l’aire (linéaire) et du réseau.

Dans les chantiers métropolitains s’aventurent aussi les « pays » qui en ont la taille, autour de leur agglomération moyenne (Bayonne et le Pays basque, à condition de s’élargir ; Pays d’Angers), les intercommunalités en construction qui feraient le pôle pour aller vers la grande communauté (Belfort-Montbéliard), les conglomérats périphériques qui souhaitent échapper à l’intégration métropolitaine (Sophia Antipolis–Cannes–Grasse, sans Nice), des CA bridées par le morcellement intercommunal qui les entoure (le si petit Grand Avignon) et d’autres configurations encore, rendues possibles par la liberté de la multi-appartenance et de la discontinuité : Grenoble construit l’aire dans un premier temps, avec certains des territoires de son SCOT, avant d’aller chercher le réseau, avec Valence, voire Chambéry. La situation en Bretagne est également pleine de possibilités.

« Faire territoire » ou « faire politique » ?

La lecture par les configurations spatiales ne suffit pas. En réalité deux conceptions de l’interterritorialité sont à l’œuvre. Dans la première, on reste en quête de périmètre et de taille, l’œil rivé sur la jauge démographique le cas échéant. Le pôle est une solution territoriale au souci d’exister dans la France métropolitaine, il permet de s’afficher dans la carte, de prendre rang. La question se pose alors de l’inscription de ces pôles en projet dans les SDCI en cours d’élaboration : ils feraient partie de cette carte stabilisée, rationalisée et bordée par les départements, que souhaite l’État, et prendraient leur place dans le puzzle intercommunal, au risque de se figer. Une fois encore, l’emporterait l’effet territorial, porteur de logique de fief. « Faire territoire » finit toujours par dessiner une limite, puis la défendre.

L’autre conception s’affranchit du périmètre. On s’assemble en vue d’une politique, ou d’un bouquet de politiques, de nature métropolitaine. Ce faisant, on reconnaît que « faire politique », c’est-à-dire produire des politiques publiques, dans une société métropolisée, c’est sortir de la seule figure territoriale, datée et débordée, pour inventer des assemblages interterritoriaux inédits. Il ne peut plus être question de SDCI. L’État doit renoncer à encadrer cette ingénierie métropolitaine là.

Mais comme rien n’est parfait, la loi contient, par la volonté explicite de ses concepteurs, un obstacle majeur à cette seconde conception : le principe du syndicat mixte fermé. Certains des patrons des grandes villes et intercommunalités l’ont voulu, au moins autant que la Direction générale des collectivités territoriales : il écarte les départements et les régions, et empêche une interterritorialité verticale complémentaire de l’interterritorialité horizontale. La métropole sans la région ? Difficile dans ces conditions de confier, par exemple, au G4 lyonnais (Lyon, Saint-Étienne, Nord Isère, Pays viennois), la compétence des transports métropolitains, en l’absence des opérateurs historiques que sont les départements et la région. La bataille de l’interterritorialité ne fait que commencer. Le mérite des pôles métropolitains sera de l’organiser.

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Pour citer cet article :

Daniel Béhar & Philippe Estèbe & Martin Vanier, « Pôles métropolitains : du « faire territoire » au « faire politique », ou la nouvelle bataille de l’interterritorialité », Métropolitiques, 18 mai 2011. URL : https://metropolitiques.eu/Poles-metropolitains-du-faire.html

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