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Débats

2012 : un tournant pour le Grand Paris ?

La nomination d’un ministre écologiste aux commandes du Grand Paris résonnera-t-elle avec continuité ou rupture ? Retour sur un projet politique devenu consensuel et un chantier en devenir à la gouvernance toujours incertaine.


Dossier : Le Grand Paris, une métropole en marche ?

Le Grand Paris a été l’un des projets emblématiques de Nicolas Sarkozy tout au long de son mandat présidentiel. Sa défaite en mai 2012 et l’arrivée au pouvoir de François Hollande sont-elles de nature à remettre en cause les décisions et les équilibres obtenus au bout de quatre années d’un débat mouvementé entre l’État et les élus locaux ?

La question se pose d’autant plus que c’est une écologiste, Cécile Duflot qui, au sein du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, hérite du dossier, et à sa demande, en tant que ministre de l’Égalité des territoires et du logement. Or, depuis le début, les écologistes franciliens, dont Cécile Duflot a présidé le groupe au conseil régional à partir de 2010, sont apparus en pointe dans la contestation du Grand Paris, tel que le concevaient Nicolas Sarkozy et son secrétaire d’État à la Région capitale, Christian Blanc. Le nouveau ministre de la Ville, le socialiste François Lamy, président de la communauté d’agglomération du Plateau de Saclay, s’est, lui, constamment opposé à l’action de l’Établissement public Paris-Saclay, créé par l’État pour y aménager un cluster scientifique et technique. L’alternance au sommet de l’État annonce-t-elle une réécriture profonde, voire un abandon du projet du Grand Paris ?

Un projet de nouveau réseau devenu consensuel

Pour ce qui est du projet d’aménagement lui-même, cela est peu probable. D’abord parce que les élus de gauche en Île-de-France, à commencer par le président du conseil régional, Jean-Paul Huchon, se sont ralliés à l’idée de créer un nouveau métro automatique de 175 km en banlieue, baptisé Grand Paris Express. Et ils l’ont fait pour d’excellentes raisons.

Le compromis qu’ont passé l’État et la région en janvier 2011 reprend en grande partie l’idée d’une rocade de métro en proche banlieue, avancée par la région Île-de-France face à la version de Christian Blanc, un métro rapide reliant entre eux des pôles de développement. Le tracé, le type de desserte font désormais consensus. Les deux projets, Arc Express (projet régional) et le Réseau du Grand Paris (projet de l’État), et celui de l’extension vers l’ouest du RER E, ont d’ailleurs fait l’objet à l’automne 2010 de trois débats publics très réussis qui ont pesé en faveur d’une fusion. Il serait assez paradoxal que ces militants de la démocratie participative que sont les écologistes n’en tiennent aucun compte. La région a profité de la négociation pour faire acter son Plan de mobilisation pour les transports et obtenir le soutien de l’État à cet effort d’investissement massif. 18 milliards d’euros seront consacrés d’ici 2020 au prolongement de plusieurs lignes de métro et à la construction en banlieue de nouvelles lignes de tramways ou de trains, les tangentielles.

Le conseil général du Val-de-Marne, présidé par le communiste Christian Favier, a, lui, obtenu que le Grand Paris Express desserve en priorité le département et reprenne le tracé qu’il avait imaginé pour son projet Orbival. Quant aux nombreux élus locaux, maires ou présidents de communautés d’agglomération, dont les territoires doivent bénéficier des futures stations du Grand Paris Express, ils ont toutes les raisons de faire pression pour que le projet suive son cours. Certains, comme Patrick Braouezec, le président (Front de Gauche) de la communauté d’agglomération Plaine Commune, ou Stéphane Gatignon, maire EELV de Sevran, n’ont d’ailleurs pas hésité à prendre publiquement position en faveur des projets de l’État, à l’époque où Christian Blanc était en poste. Tous ces élus se sont lancés dans l’élaboration de projets d’aménagement urbain très ambitieux, autour des nouvelles stations, projets formalisés dans des contrats de développement territorial, sur lesquels les services des villes et surtout des communautés d’agglomération et ceux de l’État sont en train de travailler. Le projet de nouveau réseau ne sera donc probablement pas remis en cause, sauf marginalement. Par contre l’aggravation de la crise de la dette peut très bien se traduire par un étalement dans le temps, très au-delà de l’horizon 2023, qui est celui retenu par la loi sur le Grand Paris du 3 juin 2010.

Les avatars de la question de la gouvernance

Les choses sont plus complexes en ce qui concerne la question de la gouvernance de la métropole parisienne. L’idée de créer une communauté urbaine de Paris, avancée implicitement par Nicolas Sarkozy en juin 2007 a été remisée moins d’un an plus tard, car elle aurait bénéficié à la gauche après sa victoire aux élections municipales de mars 2008. La plupart des élus locaux, de gauche comme de droite, y étaient d’ailleurs hostiles, par souci de préserver leurs propres prés carrés. La séquence suivante a été marquée par un retour en force incontestable de l’État : création du secrétariat d’État au Développement de la région capitale, épaulé par une Mission du Grand Paris (mars 2008), puis de deux établissements publics, entièrement contrôlés par l’État, la Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage du nouveau réseau, et l’Établissement public Paris-Saclay (juillet 2010), enfin fusion forcée de l’Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense (EPAD) et de l’Établissement public Seine-Arche pour porter l’extension du quartier de la Défense (novembre 2010). Au moment où Christian Blanc quitte le gouvernement (et où disparaît son secrétariat d’État), c’est-à-dire une fois votée la loi sur le Grand Paris, le projet est donc doté d’outils opérationnels efficaces, au service de la volonté de l’État – c’est-à-dire, en l’occurrence, de Nicolas Sarkozy – et dans lesquels les élus ne jouent qu’un rôle très marginal.

C’est à ce moment que le balancier du pouvoir commence à revenir dans le camp des élus et, parallèlement, que les services de l’État, dans leur version la plus classique, remettent la main sur la politique de l’aménagement de l’Île-de-France. Cette double évolution est le résultat de trois facteurs principaux :

  1. l’éviction de Christian Blanc et la disparition du secrétariat d’État et de la Mission ;
  2. l’action, côté État, des deux ministres qui reprennent le dossier, Michel Mercier puis Maurice Leroy, tous deux convaincus de la nécessité d’un accord avec la région, et surtout celle du préfet de la région Île-de-France, Daniel Canepa, un proche de Nicolas Sarkozy, qui œuvre dès sa nomination à l’automne 2008 pour remettre la préfecture de région au centre du processus et construire les bases d’un compromis avec les élus ;
  3. enfin, le choix des élus de gauche d’essayer de fédérer l’ensemble des collectivités d’Île-de-France sur des bases communes (c’est le travail de Bertrand Delanoë et de son adjoint Pierre Mansat pour créer et développer le syndicat Paris Métropole), tout en acceptant de négocier avec l’État (pour ce qui est de la région).

L’équilibre actuel des pouvoirs et le fonctionnement du système de gouvernance de la métropole parisienne sont donc assez différents de ce qui avait été envisagé au départ par Nicolas Sarkozy, puis par Christian Blanc. Il n’y a pas de communauté urbaine, bien sûr, et si le syndicat mixte Paris Métropole fédère désormais 88 % de la population de l’agglomération et près de 200 collectivités, il est loin de jouer le rôle d’arbitrage et de lieu de décision et de pouvoir qui serait celui d’une véritable communauté urbaine. Au contraire, la balkanisation de l’agglomération s’est, d’une certaine façon, renforcée avec la naissance depuis deux ans de nouvelles communautés d’agglomération regroupant chacune quelques communes et 100 000, 200 000 ou 300 000 habitants, nées de la volonté de peser sur les décisions et d’écarter la perspective d’une communauté urbaine. L’achèvement de la carte intercommunale d’ici juin 2013 dans les départements de la grande couronne (ceux de la petite couronne ne sont pas concernés) aboutira à un paysage très fragmenté : plus de 120 communautés de communes ou d’agglomération dans la métropole, dont aucune ne comprendra la ville de Paris !

La région a dû accepter une cogestion avec l’État de la question des transports et mettre en révision le schéma directeur (SDRIF) qu’elle venait d’adopter, pour tenir compte des objectifs et des projets retenus par la loi du Grand Paris. Quant à la Société du Grand Paris, elle a bien la maîtrise d’ouvrage du nouveau réseau (sauf d’une ligne dite « complémentaire » qui sera sous maîtrise d’ouvrage du Syndicat des transports de l’Île-de-France – STIF), mais elle est totalement écartée de l’élaboration des projets d’aménagement urbain autour des 57 futures stations, contrairement à ce que la loi prévoyait. Sur ces projets d’aménagement, le dialogue se fait exclusivement entre les intercommunalités et la préfecture de région, sans les conseils généraux et sans le conseil régional.

Quelles perspectives ?

Que peut décider la nouvelle ministre sur cette question de la gouvernance ? D’abord, sans doute, de réformer la Société du Grand Paris (SGP), au minimum en renforçant le poids des élus, notamment régionaux, dans son conseil d’administration, voire en fusionnant la SGP et le STIF, que la région dirige avec les départements. On sait que les écologistes privilégient le niveau régional, à la fois pour des raisons idéologiques et par pur pragmatisme (du fait du scrutin proportionnel, c’est le seul niveau de gestion du territoire où ils pèsent réellement). Un choix stratégique que ne peuvent évidemment qu’appuyer leurs alliés socialistes en Île-de-France, majoritaires au conseil régional.

La création d’un Syndicat du logement d’Île-de-France (SLIF) irait dans le même sens. Elle pourrait se faire en reprenant le modèle du STIF. Le futur SLIF serait également dirigé par la région, avec pour missions de mettre en œuvre une politique active de construction de logements sociaux. Elle pourrait coïncider avec une révision de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain, prévoyant une hausse du quota de logements sociaux de 20 à 25 ou 30 % et une aggravation des sanctions financières pour les communes qui ne respectent pas la loi. Il serait assez logique que Cécile Duflot, qui est aussi ministre du Logement, cherche à rompre avec le laxisme du gouvernement précédent et à passer outre aux résistances des villes bourgeoises hostiles à la mixité sociale et ethnique.

Ira-t-elle jusqu’à imposer par la loi la création d’une véritable communauté urbaine, responsable de la politique d’aménagement à l’échelle de la métropole tout entière ? Ni la région (qui y perdrait l’essentiel de ses prérogatives), ni la plupart des élus locaux n’en veulent. L’élaboration des contrats de développement territorial et le rapprochement de certaines communautés d’agglomération (comme l’Entente Nord Métropolitain, au nord de Paris à l’initiative de la communauté d’agglomération Plaine Commune) dessinent un autre scénario, celui d’une agglomération organisée à partir de quelques grands pôles métropolitains, coopérant plus ou moins bien entre eux et négociant en permanence leur stratégie de développement avec l’État, la région, la ville de Paris et les sept départements de grande et petite couronnes. Un dispositif de gouvernance sans doute complexe et peu lisible pour les citoyens, mais pas nécessairement inefficace.

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En savoir plus

  • Béhar, D. 2011. « Grand Paris : la gouvernance métropolitaine… pour quoi faire ? », Métropolitiques, 6 avril 2011.
  • Gilli, F. et Offner, J.-M. 2008. Paris, métropole hors les murs. Aménager et gouverner un Grand Paris, Paris : Presses de Sciences Po.
  • Offner, J.-M. 2007. Le Grand Paris, Paris : La Documentation française, collection Problèmes politiques et sociaux, n° 942.
  • Subra, P. 2009. Le Grand Paris, 25 questions décisives, Paris : Armand Colin.
  • Subra, P. 2012. Le Grand Paris, géopolitique d’une ville mondiale, Paris : Armand Colin (à paraître à l’automne 2012).

Pour citer cet article :

Philippe Subra, « 2012 : un tournant pour le Grand Paris ? », Métropolitiques, 8 juin 2012. URL : https://metropolitiques.eu/2012-un-tournant-pour-le-Grand.html

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