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Essais

Paris, une capitale qui vieillit ?

La métropolisation est souvent associée à un afflux de jeunes actifs qualifiés. Mais à Paris, elle s’accompagne aussi d’un vieillissement de la population, comme le montre Beatriz Fernandez. Il faut, pour le comprendre, relever qu’elle conduit à des départs sélectifs, en termes d’âges comme de milieux sociaux.

Les discours médiatiques et politiques insistent sur l’attractivité des métropoles, considérées comme des lieux de croissance aussi bien économique que démographique (Barbier 2023). Cependant, l’augmentation globale de la population des métropoles européennes par rapport à d’autres territoires (Bretagnolle et al. 2019) a pu contribuer à invisibiliser la décroissance démographique de leurs villes-centres [1]. Un certain nombre d’entre elles, à l’ouest de l’Europe (Paris, Madrid, Barcelone, Rome, Naples, Lisbonne, etc.), connaissent des pertes de population alors que leurs agglomérations sont en croissance. Si ces baisses démographiques s’inscrivent dans un processus de desserrement lié à la métropolisation et à la périurbanisation, elles ont aussi des effets socio-économiques et politiques et, en raison du départ des jeunes ménages, sont souvent accompagnées d’un phénomène de vieillissement (Buhnik 2019 ; Hartt 2021).

Cet article se focalise sur le cas de Paris qui, entre 2011 et 2019, a perdu environ 85 000 habitants, soit 3 % de sa population, et où la part des personnes âgées est bien plus élevée que dans le reste de l’Île-de-France. Une analyse des données démographiques parisiennes permet de formuler l’hypothèse que les pertes de population des villes-centres sont sélectives socialement (Clerval et Delage 2014), mais aussi du point de vue de l’âge des habitant·es. L’augmentation du nombre et de la part des personnes âgées pose, comme en témoigne le mouvement « age friendly cities » (Buffel et al. 2019), des défis à l’action publique, que ce soit en termes d’adaptation des services, d’accessibilité ou d’aménagements adaptés. Nous analyserons en premier lieu les trajectoires démographiques des arrondissements parisiens pour nous focaliser ensuite sur l’évolution de la population âgée.

Des pertes de population inscrites dans la durée

La décroissance démographique parisienne s’inscrit dans un temps long. Depuis son pic en 1921 (2,9 millions), la population de la capitale n’a augmenté qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et dans les années 2000. Paris connaît une décroissance très forte entre 1954 et 1975, passant de 2,85 à 2,3 millions d’habitants. Cette baisse inquiète les pouvoirs publics : le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de 1977 pointe « l’accélération inquiétante de la dépopulation de Paris », dont le schéma entend « défendre la fonction résidentielle » (APUR 1980), dans un contexte de forte tertiarisation. La décroissance s’atténue dès 1975 et plus nettement après 1982. La géographie de ces pertes de population est constante sur cette période : elles sont plus intenses dans le centre et à l’ouest (figure 1). La population parisienne atteint un minimum historique en 1999 : 2,1 millions d’habitants.

Figure 1. Évolution de la population à Paris (1968-2019)

Source : INSEE, RP ; cartographie : Beatriz Fernandez.

La dynamique s’inverse dans les années 2000, où Paris gagne plus de 100 000 habitants. Cela se reflète dans une augmentation des résidences principales et une diminution des logements vacants. La croissance démographique commence pourtant à ralentir dès 2009, ce qui pourrait témoigner des effets de la crise financière de 2008. Comme le montre Thibault Le Corre (2019), les ménages sont très touchés et les banques durcissent les conditions d’accès au crédit immobilier, mais la crise entraîne aussi une forte revalorisation du marché de Paris intramuros.

Entre 2009 et 2011, la population parisienne augmente plus lentement qu’avant la crise et quatre arrondissements affichent des pertes (figure 1). Toutefois, aucune différenciation spatiale nette se dégage. Certains arrondissements centraux perdent des habitants alors que d’autres en gagnent ; la différence historique est-ouest s’estompe. Ce ralentissement précède la décroissance démographique générale de Paris à partir de 2011. Si les baisses de population sont modérées dans les arrondissements ayant accueilli des projets d’aménagement (13e, 15e), dans certaines zones du centre (1er, 7e et 8e) et du nord-est (11e et 18e), elles sont intenses [2].

Ces pertes de population se reflètent par une augmentation des logements vacants (comme en 1968-1999), mais aussi et surtout par celle des logements secondaires et occasionnels. En 2019, ces derniers s’élèvent à 131 000, soit 10 % du parc parisien, et dans certains arrondissements centraux (1er, 4e, 6e, 7e, 8e) à plus de 20 %. Comme dans d’autres centres métropolitains (Ardura Urquiaga et al. 2020), l’augmentation des meublés touristiques (Jankel 2020) et des logements d’investissement entraîne une diminution du stock de logements dans le secteur résidentiel, contribuant à la montée des prix et à l’expulsion des ménages du centre (Le Corre 2019). Si les évolutions récentes du parc immobilier et les tentatives d’encadrement des logements touristiques par la Ville de Paris ne peuvent pas être étudiées ici (Ortais 2023), la suite de l’article propose une analyse de l’âge des populations qui restent dans la ville-centre, interrogeant les liens entre décroissance et vieillissement.

Qui habite la ville-centre ? Une analyse en termes d’âge

Les travaux sur la gentrification à Paris (Delage et Clerval 2014 et 2019) et sur la division sociale de l’espace francilien (Rhein 2007) montrent la spécialisation sociale croissante des territoires. Selon Delage et Clerval (2019), Paris est caractérisé « par une surreprésentation des professions de l’information, des arts et des spectacles et des étudiants ». Ces travaux privilégient des analyses en termes de classe sociale plutôt qu’en termes d’âge. Or, dans un contexte de décroissance démographique, on peut s’interroger, en s’appuyant sur la littérature existante (Hartt 2021), sur les dynamiques découlant des pertes de population, notamment le vieillissement.

Comme la France et l’Europe, Paris connaît un processus de vieillissement lié à l’évolution de la structure de la population dans les régions ayant achevé leur première transition démographique, avec une baisse du taux de fécondité et une hausse de l’espérance de vie [3]. Cependant, les trajectoires de la France, de l’Île-de-France et de Paris sont très différentes (figure 2). Si l’Île-de-France est l’une des régions les plus jeunes de la métropole, Paris reste, malgré une forte présence étudiante, l’un des départements franciliens les plus âgés (Blanpain 2018).

Figure 2. Évolution de la part des personnes âgées à Paris (1968-2019)

Source : INSEE, RP ; cartographie : Beatriz Fernandez.

L’évolution du vieillissement à Paris est pourtant très spécifique et il convient de l’analyser au regard des mutations démographiques depuis 1968. Jusqu’aux années 1990, la part des personnes âgées de la capitale est bien plus élevée que la moyenne française, un écart qui se réduit au fil du temps (figure 2). Alors que le nombre de seniors augmente en France, il diminue à Paris, cette réduction coïncidant avec les baisses de population les plus intenses. Entre 1968 et 1999, la capitale perd 450 000 habitants, dont 70 000 personnes âgées. Toutes les tranches d’âge sont concernées par la décroissance démographique (figure 3). Les personnes de plus de 65 ans sont la classe d’âge qui diminue le plus rapidement, y compris pendant les années 1990, qui marquent un premier tournant du vieillissement dans le pays (ibid.).

Figure 3. Évolution de la part des personnes âgées (1968-2019)

Source : INSEE, RP.

Entre 1999 et 2009, la croissance démographique parisienne est surtout portée par les jeunes et les adultes. Le nombre de seniors stagne, tandis qu’en France il augmente rapidement. La dynamique s’inverse pourtant entre 2009 et 2011 ; la croissance est alors portée par les personnes âgées (+ 2,24 %), et, dans une moindre mesure, par les jeunes de moins de 20 ans (+ 0,46 %). La population adulte, quant à elle, stagne.

Depuis 2011, année où la première génération issue du baby-boom atteint les 65 ans, le vieillissement s’accélère dans toute l’Europe (Eurostat 2020) ; la France et Paris ne font pas exception. L’augmentation de la part des seniors à Paris témoigne pourtant d’une double dynamique : le vieillissement général de la population et la décroissance démographique, le premier phénomène étant renforcé par les départs des jeunes et adultes. Entre 2011 et 2019, ces deux catégories d’âge connaissent un recul certain à Paris : – 0,92 % par an dans le cas des jeunes, – 0,76 % par an pour les adultes, soit une baisse totale de 122 236 personnes. La seule classe d’âge qui n’est pas concernée par la décroissance est celle des personnes de plus de 65 ans. À l’inverse de la période 1968-1999, le nombre de seniors augmente de 1,43 % par an, soit 37 684 personnes sur l’ensemble de la période.

L’analyse des migrations résidentielles permet de mieux saisir ces dynamiques et d’identifier le type de vieillissement. Tout d’abord, le solde migratoire est négatif tant en 2013 qu’en 2019, pour toutes les catégories d’âge sauf pour les jeunes de 15 à 30 ans, ce qui conforte les analyses de l’APUR, qui soulignent la forte présence d’étudiant·es à Paris (Beyne et Molinier 2019). À l’inverse, les tranches d’âge au solde migratoire plus négatif correspondent aux adultes de 30-40 ans et aux enfants de 5 ans et moins, ce qui renvoie à l’idée d’un départ des jeunes familles issues des classes populaires et moyennes (Clerval et Delage 2019 ; Vermeersch et al. 2019). Si ces mutations sont bien identifiées dans la littérature, on note un phénomène moins connu. Alors qu’il existe une légère augmentation du nombre de départs de Paris à l’âge de la retraite (par rapport aux départs entre 45 et 60 ans), le phénomène est bien moins accusé que sur l’ensemble de l’Île-de-France. Autrement dit, les seniors parisiens ont tendance à rester dans leur ville, dans leur quartier, ce qui pointe un phénomène de « vieillissement sur place [4] » identifié dans la littérature sur le vieillissement dans les centres métropolitains (Buffel et al. 2019).

Notre travail met en lumière les logiques du vieillissement à Paris, mais aussi les liens entre ce processus et les pertes de population. D’un point de vue géographique, la répartition des seniors est loin d’être uniforme. L’analyse cartographique (figure 4) révèle que la différence initiale entre un est jeune et un ouest âgé s’estompe au fil du temps, à l’instar de ce qu’on observait sur le plan démographique. Toutefois, une nouvelle logique spatiale s’esquisse depuis 2011 : la part des seniors est plus importante rive gauche que rive droite.

Figure 4. Évolution de la population par classe d’âge (1968-2019)

Source : INSEE, RP.

Or, l’évolution de la part des personnes âgées à Paris relève de deux phénomènes distincts. D’un côté, dans les trois arrondissements où la part des seniors est la plus élevée [5], tous situés à l’ouest, le nombre total de personnes âgées a, de fait, peu augmenté. Il s’agit pourtant d’arrondissements historiquement âgés [6], affichant des pertes de population importantes. Le vieillissement y est dû à l’effet combiné d’une baisse de la population adulte et jeune et à une légère augmentation des seniors. De l’autre côté, les arrondissements où la part des personnes âgées a progressé le plus rapidement sont tous situés à l’est. Il s’agit d’arrondissements historiquement jeunes (comme le 19e et le 20e), avec une part importante de logements sociaux, et les dynamiques pointent un phénomène de vieillissement sur place renforcé par les baisses des autres classes d’âge. Nos résultats montrent ainsi la forte imbrication de la décroissance démographique et du vieillissement à Paris qui, comme d’autres villes-centres européennes (Gil-Alonso et al. 2021), apparaît comme un espace plus âgé que les périphéries qui l’entourent.

Ce travail donne à voir les dynamiques contradictoires qui traversent les cœurs métropolitains européens. À la différence des centres des métropoles états-uniennes, où la décroissance démographique est historiquement associée au déclin économique (Beauregard 2003 ; Hackworth 2015), les villes-centres européennes restent des territoires attractifs, voire prospères. Or, l’attractivité économique, touristique et étudiante renforce la tension immobilière des centres en les rendant inaccessibles à une part croissante des ménages et contribue in fine aux baisses de population. Si ces dernières sont, comme le souligne la littérature sur la gentrification, socialement sélectives, nos analyses montrent qu’elles le sont aussi d’un point de vue générationnel. Le départ des jeunes ménages y renforce le processus de vieillissement à l’œuvre dans les pays du Nord. Ainsi, alors que les travaux sur les centres métropolitains nord-américains mettent en avant un phénomène récent de « youthification » (Moos et al. 2019), à Paris (comme ailleurs en Europe : Gil-Alonso et al. 2021 ; Fernández et Hartt 2023), ce processus semble coexister avec une concentration toujours plus importante de la population âgée.

Si ces premiers résultats invitent à questionner les effets de l’attractivité des grandes métropoles, tant ces dernières sont associées à l’image du jeune cadre dynamique plutôt qu’à celle d’une personne âgée, ils mettent aussi en évidence deux défis pour l’action publique locale des centres métropolitains : la décroissance démographique et le vieillissement, des processus qui devraient s’amplifier dans les décennies à venir (Eurostat 2020).

Bibliographie

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Pour citer cet article :

Beatriz Fernández, « Paris, une capitale qui vieillit ? », Métropolitiques, 8 janvier 2024. URL : https://metropolitiques.eu/Paris-une-capitale-qui-vieillit.html
DOI : https://doi.org/10.56698/metropolitiques.1986

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