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Débats

Le locatif privé à New York

Entre économie de marché et régulation municipale

Le système immobilier de New York est un mélange de libéralisme économique et de régulation municipale. Chaque année, la municipalité module les hausses maximales de loyer et fixe la hausse des taxes foncières, régulant le rendement, voire l’équilibre financier, des bailleurs. Retour sur un curieux équilibre sévèrement bousculé par la crise.

Dans un marché au ralenti, où l’offre neuve et la vacance sont faibles, la demande en logement reste soutenue. Après une année de loyers en faible hausse, la ville a donné un signal en faveur des bailleurs avec une hausse sensible. Au-delà des loyers du parc dit « stabilisé », la municipalité régule aussi certains paramètres du marché immobilier par les taxes foncières. Les prix d’achat et les conditions de financement évoluent, eux, suivant les conditions du marché. C’est en intégrant l’ensemble de ces éléments que l’efficacité du marché locatif (sa rentabilité et sa pérennité) pour les investisseurs comme pour les occupants doit être appréciée.

La régulation des loyers : une négociation entre bailleurs et locataires sous l’égide de la mairie

À New York, près des deux tiers des ménages sont locataires, comme à Paris. Un dispositif dit de « stabilisation » des loyers concerne plus d’un million de logements locatifs (construits avant 1974 ou améliorés avec des aides publiques, soit 40 % du parc locatif et 30 % du parc total). Pour ce parc (privé), les hausses annuelles de loyers sont fixées par le Comité des directives de loyers (Rent Guidelines Board, ou RGB), dont les neuf membres sont nommés par le maire (voir encadré en fin d’article). Réuni en juin 2013, ce comité a fixé la hausse des loyers à 4 % pour les baux d’un an et à 7,75 % pour les baux de deux ans, hausse applicable à partir d’octobre 2013. Cela marque un doublement net par rapport à l’année précédente et la plus forte hausse depuis cinq ans, dépassant la hausse annuelle moyenne des loyers qui s’établit à 3,75 % sur les vingt dernières années.

Le processus de fixation comprend des auditions, une analyse de la situation économique et sociale des ménages, l’évolution des taxes, suivies du vote des membres (deux locataires, deux propriétaires, quatre indépendants et le président, Jonathan L. Kimmel). Cet arbitrage effectué sous l’égide municipale a donc aussi une dimension politique.

Comme chaque année, le choix du Comité suscite des réactions contrastées. Les associations de locataires mettent en avant les difficultés des ménages modestes. Les représentants des bailleurs, qui, cette année, devraient se réjouir, se plaignent toujours de la hausse de leurs frais, notamment des taxes locales et des coûts de l’eau ou de chauffage. La porte-parole du conseil municipal, Christine Quinn, candidate démocrate malheureuse à la mairie de New York, a plaidé en vain lors de l’audition de juin 2013 du Comité pour un gel des loyers.

Un marché ralenti

Comme dans toute grande métropole, le marché immobilier est différencié selon les produits (maisons, appartements en petits ou grands immeubles, copropriétés), les usages (occupation ou dominante locative) et selon les quartiers.

Source : Furman Center. 2010. New York City’s Multi-Family Rental Housing and the Market Downturn.

Peu de rapport, en effet, entre un millier de ventes de maisons individuelles dans le Queens (prix moyen 400 000 USD) et une soixantaine de ventes d’immeubles locatifs (de cinq logements et plus) dans le Bronx où l’appartement moyen coûte 73 000 USD (valeurs au premier trimestre 2012). Le marché comprend des immeubles qui changent souvent de main et d’autres qui restent des patrimoines immuables. Les immeubles de moins de dix logements en représentent les trois quarts en nombre de transactions, mais entre 75 et 50 ventes concernent des immeubles de plus de cent logements. La moitié des immeubles n’ont fait l’objet d’aucune transaction depuis 40 ans, un quart a été vendu une fois et un quart deux fois et plus.

Tableau 1 : Distribution des appartements selon les quatre classes de taille d’immeuble

Taille de l’immeuble locatifLogements par taille des 55 000 immeubles à New York
5-19 logements
317 600
20-49 logements
353 200
50-99 logements
294 600
> 100 logements
366 900

Source : US Census Bureau. 2011. New York City Housing and Vacancy Survey, série A, tableau 17

Le rôle du parc existant est d’autant plus important qu’actuellement la production de logements neufs est quasiment à l’arrêt, avec 2 200 logements neufs autorisés en 2011, soit dix fois moins que le rythme de la période 2000-2005. Le marché d’occasion des particuliers est peu actif avec 27 000 ventes en 2011 (et seulement 6 000 au premier trimestre 2012), soit la moitié des maximums de la décennie précédente. De même, en 2011, les prêts hypothécaires aux acquéreurs (27 000) et les refinancements de prêts aux propriétaires occupants (26 500) représentent la moitié des niveaux de 2004-2006 [1].

La taxe foncière, un enjeu de 17 milliards de dollars pour la ville

Les décisions de la collectivité locale jouent un rôle majeur dans l’économie générale du secteur immobilier en pesant sur la rentabilité différentielle de chaque type de parc. Aujourd’hui, d’une part les appartements sont fortement taxés, d’autre part les loyers sous l’égide de la ville sont « stabilisés ».

La taxe foncière [2] est un élément fondamental de l’équilibre local car elle apporte le quart des revenus de la ville. Elle représente 0,7 % en moyenne de la valeur des maisons ou des petits collectifs (moins de six logements) mais monte à plus de 3 % de la valeur des immeubles d’appartements (pour lesquels elle contribue sensiblement à diminuer la rentabilité locative du bien). L’habitat collectif, qui représente un quart de la valeur du stock immobilier new-yorkais, représente le tiers des recettes de taxe foncière. Cette taxe, payée par les propriétaires (occupants ou bailleurs), est invisible pour les locataires : les bailleurs l’intègrent dans le niveau des loyers. Or en 2012 la taxe foncière était en hausse de 7,5 %, soit nettement plus que les hausses qui furent autorisées pour les loyers. C’est sans doute la raison pour laquelle en 2013 le Comité a donné un coup de pouce important en faveur des bailleurs. Cela met en relief un jeu d’acteurs complexes entre bailleurs, locataires et pouvoir municipal dans un contexte qui reste dominé par les acteurs financiers.

Propriétaires saisis, locataires expulsés : une spécificité états-unienne

L’association National Housing Law Project estime que près de 40 % des ménages expulsés aux États-Unis sont des locataires de propriétaires insolvables. Ce pourcentage semble particulièrement élevé à New York, ville où les saisies de logements par les prêteurs concernent pour un tiers des propriétaires occupants et pour deux tiers des locataires de bailleurs insolvables [3].

La spécificité états-unienne est que la saisie du bien concerne le propriétaire mais aussi son locataire. Le changement de propriétaire (bailleur) d’un logement locatif rend caduc le bail du locataire, qui doit partir : le bien est saisi vide. Ce transfert de propriété mettant fin au bail du locataire s’applique aussi, avec quelques aménagements, aux saisies effectuées par le ministère du logement (Department of Housing and Urban Development, ou HUD), qui intervient comme garant de prêts hypothécaires.

La question des saisies immobilières est capitale car la disponibilité du bien hypothéqué et sa revente aisée par le prêteur sont les pierres angulaires du dispositif de garantie sur lequel repose l’activité de prêt hypothécaire. Elle est devenue une préoccupation nationale après la crise financière, des locataires « en règle » étant expulsés du fait de l’augmentation des propriétaires incapables de rembourser leurs emprunts immobiliers. Ces locataires pouvaient ne pas être informés de la procédure de saisie et n’avoir que quelques jours (selon les États) pour partir quand elle devenait effective. Leur dépôt de garantie pouvait s’évaporer dans les dettes du bailleur et les services (eau, chauffage) être coupés soudainement… En mai 2009, la loi fédérale sur « la protection des locataires face aux saisies » (Protecting Tenants at Foreclosure Act, ou PTFA), a prévu des procédures d’information, le maintien du bail en cours (baux de un ou deux ans) et un délai de trois mois (pour les baux mensuels renouvelables ou les baux oraux) pour quitter les lieux. Les dispositions peuvent être plus favorables encore dans certains États, comme celui de New York où le renouvellement du bail est en principe assuré pour les locataires du parc à loyers « stabilisés » et l’information des locataires renforcée.

Des saisies immobilières fréquentes sur les petits immeubles

La procédure de saisie des logements est un dispositif légal complexe, qui comprend de nombreuses étapes, depuis la procédure initiale engagée dès le premier impayé jusqu’à la saisie effective et la revente du bien [4]. Dans les années 1990, le nombre de propriétés (c’est-à-dire d’immeubles entiers de cinq logements et plus) concernées par cette procédure était de 500 par an. Celui-ci est descendu à 250 dans les années autour de 2005, avant de remonter à environ 500 par an depuis la crise. En pourcentage annuel du parc des immeubles de plus de cinq logements (55 000 immeubles locatifs, soit 1,3 million de logements), les procédures concernent 0,5 % à 0,8 % du parc, c’est-à-dire un nombre significatif d’appartements sur le marché.

Au premier trimestre de 2012, on compte globalement sur l’ensemble du parc (donc propriétaires occupants de maisons comme investisseurs) 2 355 procédures de saisies, chiffre qui se tasse par rapport à 2011 (12 000 sur l’année !) et se rapproche de la tendance usuelle avant la crise (7 000 par an sur 2000-2005). Selon l’estimation du Furman Center (New York University), elles affectent 2 500 propriétaires occupants et plus de 4 200 locataires [5]. Toutes les procédures n’aboutissent pas à une saisie effective et tous ne devront pas déménager, mais ce ratio montre que les saisies immobilières concernent tous les groupes sociaux.

Quelle que soit leur taille, les investisseurs utilisent souvent des prêts in fine de cinq à dix ans, délai au bout desquels il leur faut se refinancer. Des achats à prix élevés des années 2005-2007, fondés sur des rendements hypothétiques et suivis d’une baisse des valeurs de 30 % entre 2007 et 2010, doivent être refinancés sur la période 2011-2014, un marché actif, qui va donc s’accompagner de nouvelles saisies et des reventes. Le casino repart...

Les déconvenues des investisseurs ayant acheté des grands ensembles (plus de 100 logements), ceux dont les valeurs ont le plus baissé depuis trois ans, focalisent fortement l’opinion publique par le nombre de locataires potentiellement concernés. Mais ils sont l’objet d’enjeux financiers tellement importants qu’ils sont plus difficilement saisissables. En fait, l’immeuble-type objet d’une procédure de saisie compte entre 6 et 19 logements. Ceux-ci sont quatre fois plus souvent concernés que les grands ensembles. Ce sont ces « petits » propriétaires investisseurs qui subissent l’impact d’une vacance ou d’impayés et qui sont davantage dans le champ de la réglementation sur les loyers stabilisés.

Sur un quartier donné, le déclenchement de ces procédures peut avoir un impact visible : le quartier de Bedford–Stuyvesant à Brooklyn (pris dans un processus de gentrification) a connu en cinq ans 240 procédures concernant plus de 2 000 logements, soit 3,75 % du parc local. Dans d’autres quartiers, jusqu’à 5 % ou 8 % du parc immobilier peut être concerné. Le déclenchement des procédures de saisies s’accompagne pour les locataires de dégradations du bâti par manque d’entretien.

Concilier l’inconciliable ?

Le locatif privé reste une bonne affaire pour la ville car c’est une source importante de taxes, et son rendement ne doit pas être trop faible pour que les investisseurs demeurent ou se renouvellent. Elle se trouve ainsi tiraillée entre son intérêt budgétaire, qui l’inciterait à accompagner les hausses de loyers, donc de valeur par les hausses de taxes, et les logiques politiques locales qui poussent à épargner les locataires, fraction très importante de l’électorat. L’exemple des saisies immobilières (avec expulsion des locataires solvables) montre que ces deux intérêts peuvent se télescoper : une trop grande fragilité des propriétaires finit par atteindre les locataires. Le prochain maire de New York devra gérer cette combinaison délicate de régulation municipale et de libre marché.

Le parc locatif de New York

Le parc locatif (68 % du parc de New York) comprend quatre secteurs. Le parc contrôlé (1,2 % du parc) est une fraction résiduelle d’appartements dont les loyers sont quasiment bloqués par la loi de 1947 (qui, comme sa sœur française de 1948, a libéré les loyers des constructions ultérieures). Le parc « stabilisé » (31 % du parc) regroupe des appartements construits avant 1974 et des logements dont les propriétaires ont bénéficié d’aides publiques. Une petite fraction de parc dit public (6 % du parc) regroupe des dispositifs variés, des logements publics stricto sensu, du locatif privé aidé et du locatif intermédiaire. Dans le reste du parc locatif (30 % du parc), les loyers sont libres en niveaux comme en évolutions. Les baux peuvent être de un an à deux ans, ou sur une base mensuelle reconductible, voire même verbaux. Les bailleurs demandent aux locataires des revenus équivalents à trois ou quatre fois le loyer et un bon « score » de crédit ou une caution très importante.

Source : Furman Center. 2012. State of New York City’s Housing and Neighborhoods 2012.

C’est dans le parc stabilisé que les augmentations de loyer doivent suivre l’augmentation décidée par le Comité des directives de loyer. Ce parc abrite structurellement des ménages modestes et peu mobiles, car dans le parc « stabilisé », si les bailleurs ont le libre choix des locataires, ceux-ci disposent d’un droit au renouvellement du bail. Le maintien de cette réglementation pour réguler les imperfections du marché est jugé nécessaire tant par la ville que par l’État de New York, qui la renouvellent périodiquement au vu du faible taux de vacance, qui sert d’indicateur de tension. Les représentants des bailleurs dénoncent cette rente de situation des locataires, qui sont peu enclins à bouger, et concentre les nouveaux ménages plutôt sur le marché libre. Ces mêmes bailleurs sont bien placés pour savoir que le marché libre est plus onéreux. Les locataires en loyers régulés restent en moyenne 12 ans (médiane 8 ans) contre 4 ans en loyers libres (médiane 2 ans). Si les loyers ont augmenté en moyenne de 4,5 % de 2003 à 2009, les niveaux moyens diffèrent, en effet, entre les locataires stables et les locataires plus mobiles. Les nouveaux arrivants à Manhattan paient le double de ceux qui sont en place de plus de 10 ans. Mais on retient que, globalement, plus des deux tiers (69 %) des loyers à New York sont en dessous de 1 500 USD (1 150 €).

Sources : US Census Bureau. 2011. New York City Housing and Vacancy Survey ; New York City Rent Guidelines Board.

Pour poursuivre le débat sur le contrôle des loyers, voir aussi :

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Pour citer cet article :

Jean-Pierre Schaefer, « Le locatif privé à New York. Entre économie de marché et régulation municipale », Métropolitiques, 28 octobre 2013. URL : https://metropolitiques.eu/Le-locatif-prive-a-New-York.html

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