Dossier : Les nouvelles politiques du logement
Depuis de nombreuses années, tant au niveau national que dans le cadre des politiques locales, l’expression majeure des politiques du logement se résume à deux dimensions prétendument complémentaires : développement de la propriété et accroissement de la construction neuve. Le second volet du diptyque apparaît le plus souvent comme l’expression majeure de la solution à la crise du logement, qui serait principalement due à un déficit quantitatif accumulé depuis la remise en cause des aides à la pierre et le ralentissement de la construction induit par la réforme de 1977. Les analyses formulées en ces termes évoquent souvent un manque d’un million de logements, dont la résorption supposerait d’atteindre pendant quelques années un rythme national de production neuve de 500 000 logements par an, dont 70 000 en Île-de-France.
Un nombre de logements manquants surévalué
La simplicité de ce raisonnement ne résiste pourtant pas à l’analyse. Où vivent les habitants potentiels de ce million de logements manquants ? La taille moyenne des ménages ne cesse de baisser de recensement en recensement (2,6 personnes en 1990 ; 2,4 en 1999 ; 2,3 en 2005) et plus de trois millions de personnes comptabilisées par la Fondation Abbé Pierre parmi les 3,5 millions de « personnes connaissant une problématique forte de mal logement » sont, de fait, logées. Ces chiffres, loin de minorer la gravité de la crise, contribuent à la caractériser et imposent d’affiner les pistes de solutions. Sans nier la nécessité de construire beaucoup, sans doute faut-il passer d’une logique consistant à simplement construire des logements à celle qui chercherait à construire les bons logements, en posant autrement la question de l’utilité de la production neuve. Afin de contribuer à cette réflexion, rappelons ici quatre dimensions complémentaires.
Quatre dimensions à intégrer pour résoudre la crise
Un bon logement est d’abord un logement situé là où la demande existe. C’est tout l’argumentaire du secrétaire d’État Benoist Apparu, qui veut concentrer les moyens de l’État dans les « zones tendues » (zones où la demande est très forte par rapport à l’offre). Le raisonnement est évidemment juste dans ses grandes lignes ; le besoin de construire est beaucoup plus important, par exemple, en Île-de-France que dans les régions et agglomérations où la pression de la demande est moins forte ; d’autant qu’au cours des dix dernières années, c’est la région qui a connu le rythme de production le plus faible (trois logements neufs par an pour 1 000 habitants, contre plus de huit, par exemple, en Bretagne).
Mais un bon logement, c’est aussi un logement qui en remplace un autre et contribue ainsi à restructurer l’offre en réduisant l’habitat indigne, en redynamisant les quartiers dégradés, en participant à un regain d’attractivité. C’est la logique intrinsèque du renouvellement urbain, mais aussi de l’aménagement du territoire, par laquelle la construction de logements neufs participe à l’inversion des tendances dépressives qui caractérisent souvent les situations de marchés détendus.
S’il doit contribuer à résoudre la crise, un bon logement doit être un logement socialement accessible, c’est-à-dire en mesure de répondre aux besoins des ménages qui peinent à trouver des solutions satisfaisantes dans l’offre strictement marchande. C’est d’ailleurs la définition du logement social tel qu’il se pratique en France. Or l’accroissement de la production neuve que l’on a pu observer entre 2000 et 2007 est presque intégralement le fait de la promotion privée [1], dans un double contexte de hausse historique des prix de vente – rendant ces logements inaccessibles à la plupart des locataires – et de développement incontrôlé de l’investissement locatif défiscalisé. Les années d’euphorie immobilière ont montré les limites de la corrélation entre accroissement de la construction et amélioration de la situation du logement des ménages modestes, cible, au moins théorique, des politiques publiques.
Un bon logement neuf, enfin, est un logement qui provoque un effet multiplicateur sur le marché en permettant à plusieurs ménages d’adapter leurs conditions d’habitat. L’argumentaire construit sur la notion d’effet de chaîne, très prisé durant les années 1980 et 1990, est aujourd’hui souvent remis en cause au prétexte qu’il s’agirait d’une vision purement théorique, battue en brèche par l’expérience de ces vingt dernières années, elles plutôt marquées par des cloisonnements accrus entre statuts. Pourtant force est de constater, par exemple, que l’ajout d’un logement de quatre pièces ou plus a une probabilité bien supérieure à celle d’un studio d’accueillir un ménage déjà établi, qui libérera lui-même un logement. Or les tropismes du marché de l’habitat collectif sont nettement orientés vers les logements de taille petite ou moyenne. L’enjeu est d’importance. Il s’agit d’aller au-delà des effets à la marge de la construction neuve [2] et, plutôt que de nier le mécanisme de chaîne, de le remettre en marche en évitant autant que possible ses effets négatifs (ségrégation accrue, étalement urbain et paupérisation du parc social). Cela suppose de privilégier conjointement une offre de logements collectifs de taille familiale et une accélération de la diffusion du parc social dans l’espace urbain, sans considérer comme un maximum les 20 % de logements sociaux requis par l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbains, mais bien comme un minimum à dépasser.
Réamorcer la chaîne du logement
Tout confirme donc qu’un rythme élevé de construction ne suffit pas à faire jouer au parc neuf l’ensemble des rôles que l’on attend de lui comme contributions à la résorption de la crise du logement, à la réduction des inégalités, et à l’aménagement du territoire. C’est pourtant dans ces dimensions, certes plus complexes à afficher que des programmes simplement quantitatifs, que réside l’essentiel des enjeux des politiques de l’habitat. De plus en plus présentes dans les préoccupations des collectivités locales et singulièrement des intercommunalités qui élaborent les programmes locaux de l’habitat (PLH), elles disparaissent des politiques nationales qui se défont progressivement de tous les moyens d’un pilotage raisonné et territorialisé.