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Essais

Le financement des transports collectifs à l’heure de la mobilité durable : quel avenir pour le versement transport ?

À la suite des Assises nationales de la mobilité de 2017, le versement transport fait l’objet de nombreux débats. Instrument privilégié du financement des transports publics urbains en France depuis les années 1970, cet impôt a connu des évolutions complexes et contradictoires, au point d’être aujourd’hui vivement contesté. Cyprien Richer en retrace les principales étapes et dégage les enjeux attachés à sa transformation.

Le versement destiné aux transports en commun (appelé communément versement transport, VT ou taxe-transport) est un impôt [1] affecté aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) [2] et prélevé sur la masse salariale acquittée par tous les employeurs publics et privés de plus de 11 salariés situés dans leur ressort territorial (anciennement périmètre de transport urbain). Depuis plus de 40 ans, il constitue l’instrument privilégié du financement des transports publics urbains en France : il représente presque la moitié des recettes totales des AOM (38 % en Île-de-France, soit autant que les recettes commerciales) [3]. D’abord institué en région parisienne en 1971, le versement transport a été progressivement étendu aux agglomérations de province. Le seuil démographique ouvrant droit à la perception du VT a été progressivement abaissé (Gallez et Menerault 2005) jusqu’à être quasiment aboli : le ressort territorial de l’AOM peut aujourd’hui couvrir une population inférieure à 10 000 habitants si le territoire comprend une ou plusieurs communes classées communes touristiques. L’impôt est désormais prélevé par près de 250 AOM, soit 80 % d’entre elles, et rapporte près de 7 milliards d’euros par an [4].

L’objectif du VT a également évolué : alors qu’il s’inscrivait initialement dans une politique de relance des transports collectifs urbains et d’investissement dans des modes nouveaux, il a été progressivement affecté à d’autres dépenses, comme le financement des opérations visant à améliorer l’intermodalité transports en commun/vélo (loi SRU, 2000) ou celui des nouvelles prérogatives des autorités organisatrices de la mobilité [5] (loi MAPTAM, 2014). De façon ponctuelle, le produit du VT peut aussi être mobilisé par les agglomérations moyennes qui choisissent la gratuité des transports publics afin de garantir l’équilibre de ce modèle économique (CERTU 2011). En somme, jusqu’à présent, le versement transport a été le principal recours de trésorerie pour faire face aux besoins croissants [6] de financement des transports en commun. Mais cette évolution pose de nombreuses questions sur son efficacité, et plus généralement sur le modèle français de financement et de gouvernance des transports collectifs urbains.

Un produit dynamique mais insuffisant ?


Depuis 2000, la sollicitation récurrente du VT s’est traduite par de nombreuses dispositions législatives, qui ont largement modifié ses modalités de perception. En Île-de-France, les trois zones de perception ont été redéfinies et leurs taux plusieurs fois majorés afin d’augmenter les recettes de 3 milliards à 5,5 milliards d’euros à l’horizon 2025 – notamment pour financer les projets de transport du Grand Paris. En province, la majoration du VT liée aux projets de développement de transports collectifs en site propre (TCSP) concerne quasiment toutes les agglomérations de plus de 100 000 habitants ; elle a récemment été élargie aux AOM de moins de 100 000 habitants. En outre, une majoration du taux plafond de 0,2 % a été accordée pour les territoires comprenant une ou plusieurs communes classées communes touristiques.

Sous l’effet de ces évolutions, mais aussi de la création du versement transport additionnel (VTA) [7], le produit des versements transport a progressé de plus de 54 % en 10 ans, soit une croissance annuelle moyenne de 4,4 % (GART 2013). Pourtant, selon le rapport Krattinger (2012), « malgré une dynamique indéniable de son produit, force est de constater que le VT ne suffit plus à financer l’investissement et l’exploitation des réseaux de transports collectifs urbains ».

Une conflictualité croissante


Le VT est vivement défendu par les acteurs des transports publics [8], qui soulignent la fragilité de leur système de financement et la nécessité de trouver des moyens adaptés aux nouveaux enjeux du secteur. Au contraire, certains représentants du monde économique [9] dénoncent de manière récurrente les impacts de la charge fiscale du VT sur les entreprises et sur l’emploi, tout en contestant ses augmentations dans un contexte de stagnation économique. Cette conflictualité croissante a des origines multiples : les extensions du périmètre des autorités organisatrices en lien avec la loi Chevènement (1999) ou plus récemment la nouvelle carte intercommunale [10] ; les brusques augmentations de taux à la suite de la mise en place d’un TCSP ; les ambiguïtés dans les formulations de la loi, qui ont conduit à de multiples recours diligentés par les entreprises contre la perception du VT par les syndicats mixtes (Menu 2013) ; le projet de versement transport au profit des régions proposé en 2014 (appelé versement transport interstitiel, VTI), mort-né non pas à la suite d’une contestation mais plutôt d’une rédaction précipitée de la loi et d’un manque de réflexion sur les conséquences de la juxtaposition entre VTA et VTI ; enfin, les exonérations dans le secteur sanitaire, social et médico-social, qui ont conduit à d’intenses passes d’armes (Guernalec 2014).

En somme, à une phase d’élargissement des ressources issues du VT a succédé une situation fragile et complexe, où les marges de manœuvre se sont considérablement réduites. La dernière modification en date a consisté à relever le seuil d’assujettissement du VT pour le limiter aux entreprises de plus de 11 salariés (contre 9 auparavant). Même si le manque à gagner pour les AOM doit être compensé en intégralité, cette mesure apparaît comme un tournant puisque les modifications du VT se faisaient jusqu’alors au bénéfice des AOM.

Un modèle de financement dans l’impasse


Plus largement, la conflictualité attachée au VT témoigne de l’équation complexe du financement des transports collectifs urbains. Les autorités organisatrices de mobilité sont confrontées à la fois à l’élargissement de leurs compétences (autopartage, covoiturage, modes actifs et logistique urbaine) et aux nouvelles attentes en faveur du développement (quantitatif et qualitatif) de l’offre de transport dans un contexte de transition énergétique, d’extension des périmètres et de concurrence croissante. Aussi, les représentants du secteur estiment que le modèle économique du transport public urbain a atteint ses limites. De fait, l’année 2014 a été marquée par une accentuation des déséquilibres économiques, en raison notamment du recul du taux de couverture des charges d’exploitation par les recettes tarifaires (environ 30 % en moyenne pour les agglomérations de province).

L’écueil est qu’après des années de hausse, le produit du VT semble avoir atteint un plafond. Les agglomérations petites et moyennes ont encore une légère marge de manœuvre dans la modulation des taux. Pour les grandes agglomérations, la situation est plus critique : 24 d’entre elles (sur 25) ont atteint le niveau de prélèvement maximal. Or, dans un contexte d’affaiblissement de la masse salariale, ce plafonnement peut avoir pour conséquence la baisse du produit du VT, comme cela a été constaté dans une quarantaine d’agglomérations de toutes tailles en 2012 (GART 2013). Reste à savoir comment ces pertes de recettes seront compensées : par une diminution des coûts et donc de l’offre de transport public ? Ou par une augmentation des recettes (tarification ou subvention d’équilibre) ? Quoi qu’il en soit, c’est une situation totalement inédite, puisque auparavant c’est le VT qui jouait le rôle de variable d’ajustement.

Quelques pistes pour refonder le versement transport


Face à ces tensions, il semble urgent de réinventer le modèle de financement du transport urbain en général et la nature même du versement transport en particulier. Si l’on considère que les employeurs publics et privés doivent participer au financement des transports, une surenchère concernant le VT « traditionnel » n’est sans doute pas la bonne option. En regard de l’évolution institutionnelle récente, nous proposons trois pistes pour repenser en profondeur la collecte et l’utilisation de cette taxe.

Piste 1 : transformer l’outil de souveraineté en outil de coopération

La question sous-jacente à cette première piste est la suivante : faut-il défendre l’autonomie financière des AOM face au besoin de coopération entre acteurs de la mobilité ? Les débats sur le versement transport des régions (VTI) ont montré que l’idée de dupliquer à l’échelle régionale le couple AOM urbaine–VT en AOT régionale–VTI se heurte à de nombreux écueils. En effet, la masse salariale étant déjà incluse dans les territoires des AOM, les possibilités de prélèvement du VTA (et donc du VTI) sont très/trop limitées là où existe déjà un VT « urbain ». Et ce d’autant plus que tout agrandissement du périmètre d’une intercommunalité compétente en matière de mobilité entraînera mécaniquement une baisse du versement transport (interstitiel ou additionnel) pour un syndicat mixte SRU ou une région. Dans ces conditions, il serait nécessaire de mettre l’outil versement transport au service de la coopération entre toutes les autorités organisatrices d’un même territoire (AOM et région).

Piste 2 : accompagner « l’abolition » des limites entre urbain et non-urbain

Toutes les recherches observent, sous l’effet de la métropolisation, l’émergence de territorialités complexes et multiscalaires qui débordent les frontières institutionnelles (Vanier 2013). Or, le périmètre de l’AOM établit une limite stricte pour le prélèvement du VT qui n’est pas réellement fondée sur des problématiques de transport. En effet, le ressort territorial d’une AOM peut apparaître à la fois trop étriqué pour couvrir les enjeux des mobilités métropolitaines et trop grand pour éviter l’augmentation des coûts d’exploitation des réseaux de transport (puisque le schéma de desserte consiste généralement à étendre les lignes de bus jusqu’en bordure du périmètre). Ainsi, certaines intercommunalités ayant récemment intégré plusieurs communes de faible densité ont d’ores et déjà prévenu qu’elles ne pourraient pas desservir « tout le monde ». Dès lors, il paraît essentiel de repenser les échelles et la hiérarchisation de la desserte en transport collectif. Cette réflexion a été ouverte par la loi NoTRE, qui permet aux AOM d’organiser à la fois des services de transports « urbains » et des services de transports « non urbains » à l’intérieur du ressort territorial. Elle mérite désormais d’être précisée et approfondie.

Piste 3 : donner les moyens de l’ambition intermodale au chef de file régional

Les récentes lois ont donné un rôle clé aux régions, non seulement en matière de gestion des infrastructures, mais aussi d’organisation du transport et de l’intermodalité. L’institution régionale assure désormais une fonction de « chef de file », qui s’appuie sur l’élaboration de schémas d’orientation à valeur prescriptive sur les documents infrarégionaux. Le prélèvement d’un versement transport à l’échelle régionale pourrait créer les conditions d’un pilotage intégré d’une offre de mobilité intermodale. Se substituant à tous les autres VT, ce VT régional pourrait être collecté par une structure (du type syndicat mixte SRU) associant toutes les AO du territoire, au service d’une action publique interterritoriale (Richer, Hasiak et Jouve 2011). La redistribution aux différentes AOM pourrait s’appuyer dans un premier temps sur le produit actuel, avant d’intégrer progressivement des critères de cohérence intermodale dans l’exploitation et le développement de l’offre. À titre d’illustration, dans la région Hauts-de-France, il y a actuellement 12 taux de versement transport différents, de 0,1 % à 2 %, tandis que la taxe est prélevée dans 83 % des communes du département de l’Oise contre 6 % de celles de la Somme. Or, un taux unique à 1,25 % appliqué à toutes les communes de la région permettrait d’obtenir un produit équivalent à la somme prélevée actuellement.

Le modèle de financement des transports publics semble plus fragile que jamais. Si les périmètres de transport urbain ont disparu, si les AO de transport urbain ont laissé place aux AOM, si la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI, 1982) a été intégrée au code des transports, le versement transport demeure en place depuis plus de 45 ans sous une forme assez semblable à son idée originelle. Cet outil de financement pourrait pourtant être utilement transformé afin de répondre au triple enjeu de coopération entre autorités organisatrices, d’articulation des échelles d’organisation de l’offre de transport et d’intermodalité. Gageons que les Assises de la mobilité permettent de poursuivre ce débat sensible en dépassant la conflictualité latente.

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Pour citer cet article :

Cyprien Richer, « Le financement des transports collectifs à l’heure de la mobilité durable : quel avenir pour le versement transport ? », Métropolitiques, 20 novembre 2017. URL : https://metropolitiques.eu/Le-financement-des-transports-collectifs-a-l-heure-de-la-mobilite-durable-quel.html

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