Le New Urbanism (NU), un courant d’urbanisme made in America officiellement fondé en 1993, a déjà plus de vingt ans. Il résulte de l’initiative d’architectes-urbanistes soucieux de formaliser leurs pratiques et leurs engagements pour la création de quartiers répondant à des critères de qualité architecturale et de bien-être (long-lasting and better-performing neighborhoods) respectueux de l’environnement naturel. Les fondateurs du NU, Peter Calthorpe, Andrés Duany, Elizabeth Moule, Elizabeth Plater-Zyberk, Stefanos Polyzoides et Dan Solomon, ont confié la coordination du mouvement à Peter Katz, qui en fut le premier directeur exécutif. Chaque année, une conférence annuelle permet de discuter les avancées théoriques et de présenter à des élus locaux les dernières réalisations sur l’ensemble du territoire des États-Unis. Le NU dispose d’une charte traduite en plusieurs langues qui peut être aisément consultée sur son site internet [1]. Influencée par la doctrine de la ville traditionnelle européenne de Léon Krier et d’autres (Culot 2012), elle circule de façon internationale et fait figure de référence urbanistique.
Toutefois, en dépit de sa forte visibilité dans la sphère architecturale et urbanistique, le NU ne bénéficie pas, en Europe, d’une image très positive. Une raison probable est son association étroite avec les lotissements de type « résidentiels fermés » (gated communities) symbolisant l’entre-soi (a sense of community) et le rejet du monde extérieur. Sans être nécessairement fausse, cette association empêche les professionnels de s’interroger sur la prétention de ces idées à assurer une transition vers une forme de durabilité ou de soutenabilité (Ghorra-Gobin 2006, 2011) [2] au plein sens du terme et donc associant le social, le culturel, l’économique comme la sphère énergétique et environnementale. La question mérite d’être posée, cependant. Le New Urbanism promeut, en effet, une forme urbaine réhabilitant la marche à pied et favorisant la compacité, ce qui permet d’éviter l’étalement urbain au détriment des surfaces agricoles ou des réserves naturelles. La quête de la compacité apparaît à ce titre comme un moyen pour viser la soutenabilité. Jusqu’à quel point est-ce le cas ? La question est de savoir si le NU représente une alternative universelle répondant aux enjeux contemporains de l’urbanisation – ce que l’on pourrait appeler a minima un modèle – ou plus modestement un corpus d’idées et de valeurs destiné à infléchir ponctuellement les pratiques des professionnels [3].
Trois questions guident l’analyse :
- Le NU peut-il être considéré comme un modèle renouvelant la conception du lotissement résidentiel dont la spécificité serait qu’il minimise l’empreinte foncière ?
- Favorise-t-il un début de rupture avec ce que certains ont appelé la géographie du nowhere (nulle part), ce paysage urbanisé et standardisé issu de l’influence du mouvement moderne (Kunstler 1994 ; Mangin 2004) ?
- Permet-il d’entrevoir un début de revalorisation de la figure du piéton ?
Des principes architecturaux communs plus qu’un modèle
Le New Urbanism s’inscrit dans la tradition du Garden Cities Movement du début du XXe siècle : ses fondateurs partent du principe que travailler sur la forme urbaine est susceptible d’améliorer le vivre ensemble (Talen 2008). Comme l’indique explicitement la charte du NU, ce mouvement repose sur l’hypothèse que toute modification de la morphologie urbaine au profit de la densité, de l’inscription dans le site géographique et de la qualité des espaces de voisinage est en mesure de répondre aux exigences contemporaines de soutenabilité, dans la mesure où elle confère un sens aux lieux qui procure un certain bien-être aux habitants. Le vide entre les bâtiments – pour prendre un exemple – n’est pas considéré comme un espace dénué d’importance, mais comme un élément des espaces de voisinage dont il faut assurer la qualité. En insistant sur la forme urbaine et la cohérence du cadre bâti (built environment), les fondateurs du NU proposent de modifier les tendances du marché immobilier et les choix des responsables locaux. Plus que tout autre courant d’architecture et d’urbanisme, le NU retient le double principe de la « marchabilité » (walkability), en rupture avec une mobilité fondée sur la voiture, et de la diversité architecturale associant la maison de ville, le pavillon et le petit immeuble collectif afin de susciter une certaine forme de diversité dans le paysage et dans la composition sociale. Penser la marche à pied conduit à prendre en compte la qualité des espaces publics urbains ainsi que les rencontres qu’elle suscite comme symbolique du lien social. Elles permettent l’apprentissage de l’altérité dans l’anonymat sur un mode le plus souvent éphémère (Ghorra-Gobin 2011). Quant à la diversité sociale, elle ne peut se produire qu’à la condition que les élus locaux l’imposent aux promoteurs. Certaines municipalités pratiquent ce qu’il est convenu d’appeler l’inclusionary zoning (IZ) en exigeant l’intégration dans les projets d’un pourcentage de logements dont les montants des loyers sont inférieurs à ceux pratiqués sur le marché.
- © Cynthia Ghorra‑Gobin.
Les observations conduites sur différents sites (en zone suburbaine et périurbaine) dans les métropoles aux États-Unis attestent de la densité urbaine morphologique des lotissements réalisés selon les principes du NU, notamment l’attention particulière aux espaces publics. En ayant recours à la maison de ville à la façade bien dessinée, plutôt qu’à la maison entourée d’un vaste jardin, la rue est reconstituée, ce qui favorise l’émergence d’un sentiment d’appartenance à cet espace pour le piéton, qui n’a plus l’impression de se retrouver par hasard entre deux constructions. Un pointilleux souci de cohérence architecturale unifie la structure urbanistique (pattern) et autorise la reconnaissance des lieux et le plaisir de flâner. Pourtant, le NU n’impose pas de style architectural particulier, ce qui permet à de nombreux architectes, promoteurs et élus locaux d’y souscrire en toute liberté [4]. Sa charte se limite à proposer une vision (somme toute) classique de l’architecture et de l’urbanisme afin de renouer avec le principe de l’intégration au site.
Quelques années après sa fondation en 1993, le NU a inspiré une grande partie des professionnels de l’aménagement organisés au sein de l’American Planning Association et a directement influencé le mouvement en faveur du principe de smart growth (SG, croissance intelligente) dont se réclament certaines municipalités [5]. La SG réconcilie les deux tendances présentes au sein du NU, le traditional neighborhood (Duany et al. 2010 ; Thadani 2013) et le transit-oriented design (Calthorpe 2013). Il inclut, en effet, des préoccupations et des prescriptions relevant de l’attractivité territoriale (emplois, capitaux, classes créatives) tout en prenant en compte certains aspects de la dimension sociale comme les transports collectifs et le souci de la préservation de l’environnement naturel.
Des principes ajustés à l’échelle du lotissement
Aux trois questions de l’introduction, il est aisé de répondre par l’affirmative. Oui, le NU, en insistant sur la densité morphologique et la diversité architecturale, renouvelle la conception du lotissement de manière à minimiser l’empreinte écologique, ce qui permet d’éviter l’étalement urbain. Les lotissements NU traitent le foncier avec parcimonie. C’est une véritable rupture avec la période d’après-guerre ou encore du fordisme où (du moins aux États-Unis) où le foncier était perçu comme une ressource illimitée. La densité architecturale se traduit, certes, par un retour à une architecture traditionnelle de type small town (donc un peu désuète), mais elle s’avère favorable à la marche à pied et à la promenade. À Raintree, dans la banlieue de Los Angeles, certains habitants se promènent dans le lotissement et ne se limitent pas à utiliser les espaces publics de voisinage pour faire du jogging. La promenade est propice aux échanges spontanés et participe d’une animation modérée du lotissement [6].
- © Cynthia Ghorra‑Gobin.
Aux États-Unis, la diffusion du NU au travers des réalisations, des rencontres et des écrits a largement contribué à modifier les représentations du lotissement et du cadre de vie auprès des architectes, des urbanistes, des élus locaux et des habitants. Le foncier est désormais perçu comme une ressource limitée et la fabrication du lotissement en milieu suburbain ou périurbain (exurbs) est désormais optimisée en ménageant l’environnement naturel. Un lotissement NU se reconnaît à sa cohérence morphologique véhiculant un sens des lieux, caractéristique d’une certaine conception de la soutenabilité au profit du piéton. Les protagonistes peuvent, certes, prôner le principe de la diversité sociale, de la mixité fonctionnelle ou encore celui de la connexion aux autres quartiers par les transports en commun, mais force est de constater que ces objectifs relèvent plus des choix et des décisions des acteurs politiques que du dessin de l’architecte. La théorie du NU ne peut donc en aucun cas être assimilée à une pensée de la ville (Culot 2012). Elle se limite à un projet architectural en dépit de plusieurs mentions de la charte pour une vision du lotissement à l’échelle de la city region (territoire métropolitain). Elle défend la prise en compte du détail dans la forme architecturale et la réhabilitation du piéton, tout en minimisant l’impact du lotissement sur son environnement.
Le NU ne représente pas une innovation architecturale et urbaine, même s’il défend l’intégration du minéral et du végétal. Il ne répond pas non plus aux enjeux contemporains de l’urbain métropolisé (Mongin 2013). Son intérêt réside plus modestement dans sa capacité à valoriser la marche à pied après plusieurs décennies de négligence totale à son égard. Les protagonistes partagent l’idée selon laquelle le dessin et la morphologie de la ville traditionnelle ou de la small town, ayant fait leurs preuves au cours de l’histoire, peuvent être reproduits. Ils considèrent, à juste titre, que le foncier n’est pas une ressource illimitée. Le NU doit être interprété à sa juste mesure, soit un courant offrant une perspective intéressante pour assurer la transition vers la soutenabilité.
Bibliographie
- Calthorpe, P. 2013. Urbanism in the Age of Climate Change, New York : Island Press.
- Culot, M. 2012. « Y a-t-il une architecture durable en dehors d’une pensée de la ville ? », in Ghorra‑Gobin, C. (dir.), Dictionnaire critique de la mondialisation, Paris : Armand Colin, p. 57‑61.
- Duany, A., Plater-Zyberk, E. et Speck, J. 2010. Suburban Nation : The Rise of Sprawl and the Decline of the American Dream, New York : North Point Press.
- Ghorra-Gobin, C. 2006. La Théorie du New Urbanism : perspectives et enjeux, rapport final, Paris : ministère des Transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer.
- Ghorra-Gobin, C. 2011. « Le New Urbanism, marqueur de fragmentation ? », Cahiers de géographie du Québec, vol. 55, n° 154, p. 75‑88.
- Kunstler, J. H. 1994. The Geography of Nowhere, New York : Free Press.
- Mangin, D. 2004. La Ville franchisée : formes et structures de la ville contemporaine, Paris : Éditions de la Villette.
- Mongin, O. 2013. La Ville des flux. L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine, Paris : Fayard.
- Talen, E. 2008. New Urbanism and American Planning Tradition, Londres : Routledge.
- Thadani, D. A. 2013. Visions of Seaside : Foundation/Evolution/Imagination. Built and Unbuilt Architecture, New York : Rizzoli.