Dossier : Les nouvelles politiques du logement
À l’automne 2007 s’est tenue à Paris la conférence dite « Grenelle de l’Environnement ». Les conclusions des différents groupes de travail ont donné lieu à un substantiel travail législatif. D’abord en 2009 avec le vote d’une première loi « Grenelle I », qui a posée des principes. Puis une loi Grenelle II, promulguée le 12 Juillet 2010. Cette dernière, ambitieuse, traduit les principes en règles et contraintes de divers ordres, touchant en particulier les politiques urbaines.
Le processus a donc été progressif, ce qui paraît logique au regard des enjeux posés. Cette méthode patiente pose toutefois des problèmes pratiques. Elle se heurte en particulier à la résistance des intérêts économiques sectoriels, notamment des milieux de la construction. Les tensions entre la volonté de « refaire la ville sur la ville » et des choix politiques qui autorisent la poursuite de l’étalement urbain en sont un exemple criant.
Le débat n’est pas neuf. Dès 1977, le « ministère de l’Équipement » publiait une plaquette largement diffusée intitulée « Attention, mitage » qui proposait deux schémas contrastés, la ville étalée contre la ville compacte. Le ministère y affirmait, au prix de quelques approximations comptables, que l’étalement coûtait très cher. L’objectif était alors de limiter le coût des équipements d’infrastructure, dans un contexte de fort développement urbain. Dans le même temps, les politiques du logement favorisaient l’accession à la propriété individuelle et les maisons en béton préfabriqué fleurissaient partout. Il s’agit aujourd’hui de garantir un développement durable, mais le débat reste le même.
La France n’est pas le seul pays européen à avoir impulsé une telle politique. La Grande-Bretagne avait également pris une initiative de même nature, dans la suite du rapport de 1999, Towards an urban renaissance, produit par un groupe de travail présidé par l’architecte Richard Rogers. Idem pour l’Allemagne depuis une vingtaine d’années et les États-Unis avec le mouvement du Smart growth. Pourtant, à quelques différences près, on constate dans la plupart des cas la poursuite de l’extension périphérique avec une intensité à peine modifiée en termes de « consommation d’espace ». Seuls certains pays du Nord de l’Europe y ont en partie échappé. La loi Grenelle II permettra-t-elle de modifier la donne ? On peut en douter.
La patiente élaboration d’un texte incompréhensible
Sur le plan de la méthode d’abord, la loi, complexe, et les décrets d’application à venir, trop nombreux, posent un double problème. Le premier, récurrent, est celui de la prolifération législative et de l’hypercomplexité juridique qui s’ensuit. Le droit ne pourra pas être approprié par ceux qui sont chargés de l’appliquer dans les collectivités locales. Déjà au niveau du Parlement, seule une poignée de députés et de sénateurs participe réellement au débat. Comme le note Yves Jegouzo (2010), orfèvre en la matière, « on peut comprendre que ceux qui vont avoir à appliquer le droit nouveau soient saisis d’une certaine angoisse… »
Mais cette loi pose un second problème : l’étalement urbain est difficile à cerner et à mesurer. Or les buts poursuivis par la loi avec cette obsession de la densification ne sont pas clairement définis. La « consommation d’espace » est un bon exemple, bien que le mot « consommation » ne paraisse pas adéquat. La loi précise, dans son article 9, que « le SCOT (schéma de cohérence territoriale) doit contenir des objectifs chiffrés de consommation économe de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain ». Mais, comme dans nombre de ses dispositions, la loi ne fixe pas d’objectifs quantifiés. Comment le pourrait-elle ? Elle crée une commission chargée d’évaluer ladite consommation, les maires restant bien sûr maîtres du jeu... On souhaite bien du plaisir aux préfets pour exercer leur contrôle de légalité sur ce point !
Surtout, il ne faut pas confondre « consommation d’espace » et type d’habitat. La question de l’étalement urbain est bien plutôt celle de l’organisation du développement, de la maîtrise de l’aménagement, au regard de la spécialité française que sont l’habitat diffus et la maison à l’unité, résultats de la dictature du parcellaire. Au-delà d’une commission d’évaluation, la question centrale est celle des logiques financières des politiques du logement et l’absence d’une véritable politique d’offre foncière.
Fiscalité et politiques foncières : les vrais leviers
Sur le premier problème, la loi ne lève en rien une contradiction fondamentale des politiques urbaines en France : celle qui existe entre la volonté de lutter contre l’étalement urbain et certains dispositifs financiers et fiscaux favorables à la construction neuve en périphérie plutôt qu’à la densification et au renouvellement urbain. On n’en finirait pas d’en dresser la liste, depuis les diverses formes de « défiscalisation » jusqu’à l’arbitrage entre TVA et droits de mutation selon le type d’opération, en passant par les techniques de financement des équipements d’infrastructure. Une part essentielle du véritable pouvoir d’urbanisme, au niveau de l’État, se trouve à Bercy, peut-être plus qu’au ministère officiellement en charge (Castel 2010).
Le second problème permet quant à lui d’apprécier l’intensité de la controverse entre les tenants d’un urbanisme de la densification et ceux qui prônent un relâchement de la contrainte. Dans un contexte où l’aménagement ne fonctionne plus guère, où les zones d’aménagement concerté sont en réduction constante et les lotissements de taille de plus en plus réduite, relâcher la contrainte sur la compacité pourrait « libérer la production de logements » en « allégeant la contrainte foncière ». Le cœur du sujet est là : ce mécanisme pourrait produire plus de logements, mais la perte de maîtrise du développement urbain arme la centrifugation sociale par le marché foncier. De plus, la dictature du parcellaire conduit à une répartition aléatoire des terrains mis sur le marché.
L’organisation des pouvoirs locaux, en particulier du « pouvoir foncier », est ici un élément central. Les trois armes décisives en la matière sont le plan local d’urbanisme (PLU), le permis de construire et l’utilisation du droit de préemption. Sauf quelques villes qui font exception (les mêmes agglomérations sont toujours citées), ce pouvoir reste pour l’essentiel dévolu aux communes. Elles sont nombreuses (36 000, faut-il le rappeler ?) et leur expertise est faible. Sans en sous-estimer les difficultés, on peut penser que le transfert du pouvoir d’urbanisme à une structure d’agglomération élue paraît un prérequis pour infléchir une tendance lourde peu compatible avec la maîtrise des problèmes de logement comme de développement durable. Le document d’urbanisme local intégrerait alors le PLU, le programme local de l’habitat et le plan climat, comme on le voit par exemple en Allemagne ou aux Pays-Bas. Une porte s’était entrouverte lors de la discussion du projet de loi Grenelle II, systématisant l’intercommunalité dans l’élaboration et l’approbation des PLU. Le Parlement ne l’a pas voté. Le pouvoir des communes reste donc au cœur des mécanismes de développement urbain. Fragmentation, malthusianisme et « nimbyism » (le « pourquoi pas chez mon voisin ») ont de beaux jours devant eux. L’analyse de Charlotte Denizeau est ainsi à juste titre plutôt critique sur l’effet de la réforme des PLU sur la densification.
Un document cadre ne fait pas un outil
L’étalement urbain a donc de l’avenir. Les enquêtes le répètent d’ailleurs : l’habitat individuel périurbain correspond à la ville aimée des français (entre autres). Bien ou mal, il faut en tenir compte pour définir des stratégies urbaines.
Or la loi multiplie les dispositifs nouveaux mais ne crée pas de cadres contraignants. Directives territoriales d’aménagement et de développement durable, trames vertes et bleues, schémas régionaux de cohérence écologique, plans d’action pour le milieu marin et autres « documents cadres »… Tous ces textes donneront certainement du travail aux bureaux d’étude spécialisés. Mais ils ne fournissent pas les outils pour remédier à la pathologie centrale du développement urbain que nous avons soulignée : la contradiction entre les objectifs affichés depuis plus de trente ans et l’ensemble des dispositifs réglementaires, financiers et fiscaux… Comme le résume Élise Carpentier (2011), « la loi du 12 Juillet 2010 ne semble pas de nature à renforcer considérablement la normativité du dispositif, dont le champ d’application est réduit, la sanction reste aléatoire et la réalisation risque parfois de s’avérer délicate. »
Refonder la planification urbaine stratégique, remuscler les politiques foncières (pour maîtriser le développement urbain et assurer une récupération publique de la valorisation des terrains), repenser l’ensemble des dispositifs fiscaux qui impactent le fonctionnement des marchés fonciers : ceci n’est imaginable que dans un texte de synthèse qui, comme le font les britanniques, intégrerait à la fois la dimension de l’urbanisme, du logement et une refonte des pouvoirs locaux.