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La Convention citoyenne pour le climat, théâtre d’affrontements entre groupes d’intérêt

Si la Convention citoyenne pour le climat est loin d’avoir permis une réponse à la hauteur de l’urgence climatique, Simon Baeckelandt montre que la publicisation des négociations entre groupes d’intérêts est une voie pour démocratiser l’écologie.

Si la réalité du changement climatique n’est plus aujourd’hui contestée dans l’espace public, les politiques à adopter en matière environnementale sont loin d’être consensuelles. Entre innovation technologique et sobriété organisée, contrainte sur l’appareil productif et recours au marché, des arbitrages politiques cruciaux doivent être décidés. Habituellement, ces choix sont du ressort des gouvernements et des parlementaires, auprès desquels se mobilisent une série d’organisations de la société civile (syndicats de salariés et patronaux, associations, entreprises, think tanks…) au travers de canaux institutionnalisés. Pourtant, depuis quelques années, des mécanismes faisant appel à des citoyens tirés au sort se multiplient et renouvellent le débat démocratique, notamment autour des questions climatiques. Ces dispositifs, appelés mini-publics délibératifs, essaiment partout en Europe : la Convention citoyenne sur le climat en France, la Climate Assembly au Royaume-Uni et en Écosse, la Asamblea ciudadana para el clima en Espagne, ainsi qu’une multitude d’initiatives locales.

Si les assemblées citoyennes sont souvent présentées comme un vecteur de renouveau démocratique (Courant et Sintomer 2019), nombreuses sont également les critiques, qui y voient un simulacre de démocratie sans réel impact sur l’action publique (O’Miel et al., 2017). De ce point de vue, la Convention citoyenne sur le climat (CCC) s’ajouterait aux précédentes consultations qui paraissent avoir échoué à lancer une réelle transition écologique : Grenelle de l’environnement en 2008, Débat national sur la transition énergétique en 2013 ou, plus récemment, le volet environnemental du Grand débat national. De la même façon, la traduction du rapport de la CCC en projet de loi a engendré l’ire des tirés au sort et des ONG, qui ont dénoncé l’action conjuguée du gouvernement et des lobbys pour filtrer les propositions citoyennes.

Ainsi, la CCC n’a-t-elle été qu’un faire-valoir, une nouvelle consultation incapable de subvertir la décision, confirmant la capacité d’action des groupes d’intérêt économiques sur l’action publique et le tropisme pro-business des gouvernants ? Les assemblées tirées au sort peuvent-elles contrebalancer le pouvoir des groupes d’intérêt dans le champ politique [1] ?

La CCC, une concession pour calmer la contestation ?

La création de la Convention citoyenne sur le climat, intervenue à la suite du mouvement social des Gilets jaunes, a été négociée alors que le gouvernement Philippe, sous la présidence Macron, tentait de sortir de la « crise » par un dispositif participatif sans précédent : le Grand débat national. Au cours de cet épisode, un collectif informel, les Gilets Citoyens (GC), est parvenu, grâce à un répertoire d’action alliant tribunes, interventions médiatiques et multiples rencontres avec des conseillers présidentiels, à négocier la mise en place d’un mini-public délibératif sur le changement climatique.

La CCC a été présentée comme un mécanisme indépendant et démocratique. Supervisés par un Comité de gouvernance et assistés par un groupe d’appui composé de représentants d’organisations diverses, les citoyens ont été invités à « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effets de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 [2] ». Les organisations environnementalistes sollicitées autour de la CCC (Greenpeace, la Fondation Nicolas Hulot…) ont d’abord réagi avec un certain scepticisme, n’y voyant qu’une manœuvre du gouvernement consistant à brandir « la participation des citoyens pour dissimuler son inaction [3] ».

Figure 1

Quand la pression citoyenne change les règles du lobbyisme

Malgré leurs doutes initiaux, les ONG environnementales sont intervenues devant les citoyens tirés au sort, souvent aux côtés d’autres groupes d’intérêt directement concernés par la transition écologique. Les trente citoyens du groupe « Se nourrir » ont par exemple pu entendre le directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales [4], puis Greenpeace et la Fondation Nicolas Hulot par la bouche de leurs chargés de campagne, un représentant du syndicat majoritaire du patronat agricole et le PDG de Système U, qui représentait la grande distribution. Chaque séquence a été suivie par des questions-réponses entre citoyens et intervenants.

On aurait pu s’attendre à ce que ces acteurs s’interpellent et expriment d’importants désaccords quant à la manière de mener la transition écologique. Il n’en a pourtant rien été. Tous les intervenants se sont accordés sur la nécessité de freiner le commerce international, en particulier le Mercosur et le CETA. Si l’on ajoute à cela un accord entre la FNSEA et Greenpeace sur la nécessité de responsabiliser les consommateurs, on peut être surpris du consensus auquel semblent avoir abouti ces discussions. En effet, dans un temps contraint et face à des citoyens en grande majorité convaincus de la nécessité d’importantes réformes pour répondre aux enjeux écologiques, il était difficile pour la FNSEA comme pour Système U d’apparaître hostiles à la transition. Ils ont donc dû proposer des pistes de solutions, tout en présentant leurs modes de production actuels sous leur meilleur jour. Le représentant de la FNSEA a pu décrire les avancées écologiques de l’agriculture française et désigner en retour les importations comme le véritable problème. De la même façon, le PDG de Système U a insisté sur la responsabilisation du consommateur, passant sous silence le rôle des centrales d’achat dans la chaîne de production agro-alimentaire.

Bien que plus à l’aise dans cet exercice, les ONG ont elles aussi avancé les propositions qui leur semblaient les plus susceptibles d’être acceptées, par les citoyens mais aussi par le gouvernement. En l’absence de collectifs porteurs de propositions et de questionnements plus radicaux quant au sens à donner à la transition écologique, cette situation a produit un consensus essentiellement focalisé sur des mesures techniques et notamment sur celles qui impactent le moins directement les modes de production des industriels représentés dans la CCC. Pourtant, cette assemblée recompose les rapports de force préexistants, habituellement plus favorables aux acteurs économiques, en sortant des canaux de négociation à huis clos auxquels leurs lobbyistes sont habitués. Face aux citoyens profanes mais souverains, les représentants de groupes d’intérêt et les experts ont été appelés à justifier publiquement leurs prises de position.

Les groupes d’intérêts économiques contre-attaquent

In fine, la configuration de la CCC a tourné à l’avantage des organisations les plus avancées en matière de transition écologique, avec une majorité de leurs propositions reprises dans le rapport finalisé en juin 2020. Néanmoins et bien qu’Emmanuel Macron ait promis de reprendre 146 des 149 propositions de la Convention, le projet de loi n’en conserve que les moins ambitieuses. Ce revirement semble être en partie dû à l’action de groupes d’intérêt.

Plutôt silencieux durant la CCC, les acteurs économiques paraissent avoir été surpris à la fois par la force des propositions citoyennes et par la promesse que le président Macron les adopterait. Les mesures étaient plus ambitieuses que ce que le gouvernement avait présenté jusqu’ici, et surtout, certaines visaient directement les industriels. L’élimination rapide des pesticides et l’interdiction des OGM, par exemple, menaçaient directement le modèle économique des groupes agrochimiques et des semenciers, tandis que des efforts importants étaient demandés aux agriculteurs, malgré l’opposition de la FNSEA.

Face à la médiatisation des propositions citoyennes, les groupes d’intérêt ont réagi en se mobilisant sur la scène publique et de manière plus discrète. Un communiqué de presse de BASF, leader de l’industrie agrochimique, a ainsi critiqué des « recommandations qui n’ont que peu ou pas de rapport avec le changement climatique et sont parfois contradictoires », tout en soulignant « l’ignorance et la condescendance » des citoyens [5]. L’Association nationale de l’industrie alimentaire (ANIA) a quant à elle commencé par publier un communiqué de presse saluant les avancées de la CCC : « Nous partageons l’ambition du président de la République d’être à la hauteur des attentes des citoyens, (qui sont, de fait, tous des consommateurs) qui recherchent une alimentation toujours plus saine, sûre et durable [6]. » Dans un second temps, l’organisation a cependant envoyé une lettre à plusieurs ministres leur demandant de ne pas interdire la publicité sur les produits alimentaires, décrite comme n’ayant « strictement aucun impact sur le climat et ne répondant donc pas au mandat donné par le président [aux citoyens] [7] ». La lettre souligne également que la mesure contrevient à l’autorégulation de l’industrie convenue avec le gouvernement. L’industrie publicitaire, pour sa part, a adopté une attitude plus dialogique envers les citoyens en organisant les États généraux de la communication [8]. Une citoyenne de la CCC a été invitée à une table ronde où les annonceurs ont eux aussi défendu l’autorégulation de leur secteur contre toute mesure contraignante, en particulier la proposition de la CCC visant à réduire la publicité sur les véhicules SUV. La réaction des lobbies dénote leur trouble face à des propositions qu’ils n’ont pas, pour une fois, co-construites avec les pouvoirs publics.

Une tentative de démocratisation de la transition écologique probante mais encore insuffisante

In fine, la Convention a fait une nouvelle fois la démonstration de la capacité de citoyens « ordinaires » à formuler des politiques publiques. Certes, cela n’a pas suffi à remettre en cause l’orientation pro-business des pouvoirs publics, les propositions les plus structurantes ayant été écartées ou atténuées. Le « sans-filtre » promis aux citoyens n’a évidemment pas été tenu (était-ce possible sans recours au référendum ?). Néanmoins, aux dires de certains fonctionnaires du ministère de l’Environnement, la loi Climat-Résilience a été la plus importante du quinquennat Macron en matière environnementale et elle n’aurait pas vu le jour sans la Convention. Ces mêmes fonctionnaires soulignent à quel point les propositions citoyennes ont constitué une base de travail leur permettant d’entrer dans un rapport de force avec les autres composantes du gouvernement. Les échanges diffusés entre ministres et citoyens de la CCC ont, par ailleurs, obligé les premiers à justifier publiquement leurs arbitrages, une reddition de compte rare pour les dispositifs participatifs. Les groupes d’intérêt ont pour leur part été contraints à prendre part publiquement à la controverse en matière climatique. La CCC a ainsi ouvert des discussions, des négociations et des justifications rarement observables dans l’espace public. Sa contribution à la publicisation des questions environnementales permet d’entrevoir les vertus démocratiques de la délibération citoyenne comme une manière de mettre en débat la fabrique de la décision et la représentation des différents intérêts socio-économiques.

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Pour citer cet article :

Simon Baeckelandt, « La Convention citoyenne pour le climat, théâtre d’affrontements entre groupes d’intérêt », Métropolitiques, 20 octobre 2022. URL : https://metropolitiques.eu/La-Convention-citoyenne-pour-le-climat-theatre-d-affrontements-entre-groupes-d.html

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