« Est-ce la plus belle ville du monde ? » C’est par ces mots que s’ouvrait le film Le Joli Mai (1962), de Chris Marker, tandis qu’à l’image se succédaient plusieurs plans panoramiques des toits de Paris. Tourné dans les rues de la ville au printemps qui suivit les accords d’Évian, autrement dit la fin des combats en Algérie, ce documentaire, emblématique d’un cinéma direct, met en scène les passantes et les passants, les Parisiennes et les Parisiens découvrant enfin un après-guerre apaisé, enfin allégé du poids des années noires. C’est ce Paris que l’on entrevoit aussi dans Zazie dans le métro, le film que Louis Malle a tiré du roman de Raymond Queneau, Paris nous appartient, de Jacques Rivette, ou Vivre sa vie, de Jean-Luc Godard, tous tournés à l’aube des années 1960.
Pourtant, ces années sont aussi celles des bouleversements de la modernisation du territoire par l’État gaulliste, à laquelle la capitale n’a pas échappé : démolition de quartiers entiers autour des Halles, du 13e et du 20e arrondissements ; conception puis construction des voies sur berges et du boulevard périphérique ; édification de barres et de tours effaçant l’intégralité des tissus anciens, comme autour de la place des Fêtes et de la place d’Italie ; disparition, corps et âme, de la gare Montparnasse ; éviction progressive des activités industrielles et artisanales de l’est parisien… les plus grands travaux depuis l’haussmannisation. Mais ces atteintes aux paysages de l’intra-muros sont peu de chose au regard des transformations radicales des banlieues et des campagnes attenantes : grands ensembles, villes nouvelles, aéroports et autoroutes, de Rungis à Roissy, marquent l’avènement d’un Grand Paris fonctionnaliste et sectorisé.
Cinquante ans plus tard, à quelques jours de l’ouverture programmée des Jeux olympiques d’été, quel regard peut-on porter sur le devenir, et l’avenir, de la « ville lumière » ? De quoi, de qui Paris est-elle encore la capitale ? Ville de pouvoir, de tourisme et de loisir, mais aussi scène de contestation populaire et critique de ces logiques de dépossession, entre gilets jaunes et Jeux olympiques, que reste-t-il de la supposée force d’attraction de Paris pour le monde ? Ces questions en tête, nous avons rencontré Luba Jurgenson, écrivaine, professeure en études slaves à Sorbonne Université, et parisienne depuis cinq décennies.
Émission proposée et animée par
Lolita Voisin et Olivier Gaudin
Références bibliographiques citées dans l’entretien :
- Jean-Christophe Bailly, « Paris ville ouverte », Les Cahiers de l’École de Blois, n° 14, 2016.
- Jean-Christophe Bailly, Paris quand même, La Fabrique, 2022.
- Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle [1939], Éditions du Cerf, 1989.
- Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, 1844.
- Alexandre Dumas, Le Comte de Monte Cristo, 1889.
- Éric Hazan, Paris sous tension, La Fabrique, 2011.
- Ernest Hemingway, Paris est une fête [1964], éd. revue, Gallimard, 2011.
- Victor Hugo, Les Misérables, 1862.
- Danilo Kiš, Un tombeau pour Boris Davidovitch, Sablier, 1979.
- Danilo Kiš, Jardin, cendre, Gallimard, 1983.
- Piotr Rawicz, Le Sang du ciel, Gallimard, 1961.
Extraits musicaux :
- Yves Montand, « À Paris », 1948.
- Mano Solo, « Pont d’Austerlitz », 1995 (album Les Années sombres)
Pour aller plus loin, de Luba Jurgenson :
- Quand nous nous sommes réveillés. Nuit du 24 février 2022 : invasion de l’Ukraine, Verdier, 2023.
- Trois contes allemands, Pierre-Guillaume de Roux, 2012.
- Au lieu du péril, Verdier, 2014.
- Langue de neige, photographies de Thierry Cardon, Créaphis, 2021.