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Affiche de l’exposition
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L’avenir du pavillonnaire ne se fera pas sans ses (vrais) habitants

Une exposition présentée jusqu’au 10 février au Pavillon de l’Arsenal (Paris) aborde la densification des secteurs pavillonnaires à travers huit projets d’extensions, menés directement auprès d’habitants propriétaires à Arcueil (Val-de-Marne). Jean-Michel Léger resitue ces propositions dans le contexte des discussions sur l’urbanisme résidentiel et en interroge les finalités.
Recensé : Transformations pavillonnaires. Faire la métropole avec les habitants, exposition du 14 décembre 2018 au 10 février 2019, Pavillon de l’Arsenal, Paris.

Centre d’exposition de l’urbanisme et de l’architecture dans la métropole parisienne, le Pavillon de l’Arsenal se met une nouvelle fois au vert, ici sur deux étages. Au premier, une exposition consacrée au « Capital agricole » repense la frontière entre agriculture et nature dans le Grand Paris. Au second, l’exposition « Transformations pavillonnaires. Faire la métropole avec les habitants » présente une initiative de la start-up Iudo (fondée par Benjamin Aubry et Erwan Bonduelle) sur la ville d’Arcueil (Val-de-Marne). Lauréat du programme FAIRE, premier accélérateur parisien de projets architecturaux et urbains innovants, Iudo a lancé en mars 2018 une campagne de communication à Arcueil, appelant des habitants propriétaires et volontaires à construire sur leur parcelle. L’affaire n’a pas traîné, puisque l’exposition de huit projets dessinés par autant d’architectes était prête en décembre. Entre-temps, Iudo a conçu avec huit ménages volontaires une simulation de l’évolution de leur parcelle, en imaginant différentes hypothèses de programme répondant à la forte demande, notamment de logement, dans cette ville de la proche banlieue sud de Paris : résidence étudiante avec services, habitat intergénérationnel, résidence pour musiciens, bureaux de proximité, espace de coworking, etc. L’exposition affiche des panneaux très lisibles graphiquement et très pédagogiques sur les données et les enjeux, en militant aussi pour des extensions ou des constructions nouvelles en structure bois. De grandes maquettes en éclaté montrent des intérieurs meublés comme des maisons de poupée. Avec un tel sujet et une application à Arcueil, le Pavillon de l’Arsenal réaffirme sa vocation de lieu d’exposition du Grand Paris et non plus seulement de Paris intra-muros, une nouvelle orientation qui remonte à 2015 avec une exposition sur Cergy-Pontoise, qui connut un succès inattendu. L’Arsenal confirme aussi son ouverture aux questions environnementales et agricoles, bien au-delà du périmètre initial de l’architecture et de l’urbanisme.

Construire dans son jardin pour contenir l’étalement urbain

Encouragée à partir des années 2000 par une série de lois (SRU, ALUR, ELAN [1]), la densification pavillonnaire est devenue un sujet de débat public national, depuis qu’un acteur l’a particulièrement agité : le mouvement bimby (« Build in my backyard », Construire dans mon jardin en français, par opposition à nimby [2], « Not in my backyard »). Bimby est passé d’un projet financé en 2009-2011 par l’Agence nationale de la recherche (ANR) à une activité de bureau d’études qui offre aux collectivités locales un accompagnement du processus de division parcellaire, en sollicitant la division parcellaire auprès des particuliers, en l’organisant avec les élus et en inscrivant sa possibilité dans les plans locaux d’urbanisme. Des chercheurs comme Béatrice Mariolle et Damien Delaville [3], ou encore Joël Idt et Margot Pellegrino [4], ont pourtant bien montré que la densification pavillonnaire, en dehors de ces dispositifs d’encadrement, continue d’être le mode de production « spontanée » (extension, surélévation ou division parcellaire) le plus courant, non seulement dans les premières couronnes urbaines, mais aussi dans les bourgs ruraux.

L’exposition « Transformations pavillonnaires » rappelle des données connues mais mésestimées : la maison individuelle représente 80 % des surfaces de l’Île-de-France dédiées à l’habitat, et 88 % des habitants de ces maisons en sont les propriétaires. En ce sens, les ensembles pavillonnaires constituent un immense gisement foncier (« un potentiel de 140 millions de m2, soit 2 millions de logements de 70 m2 », autrement dit une mine d’or compte tenu de la pression foncière), 52 % des propriétaires de maisons ont plus de 55 ans, 50 % des maisons ne sont habitées que par une ou deux personnes, etc. Vous êtes propriétaire d’un jardin dont vous n’avez plus l’usage ? Construisez donc au fond de votre terrain : vous ferez une bonne affaire et contribuerez de surcroît à la limitation de l’étalement urbain, donc au sauvetage de la planète. Comme le mouvement bimby, Iudo propose d’accompagner la demande populaire, avec la conviction qu’une co-conception avec les habitants est la condition de la réussite du projet et qu’une densification respectueuse du parcellaire pavillonnaire est préférable à la densification brutale des promoteurs qui rachètent des parcelles contiguës, rasent les maisons et leur substituent des immeubles collectifs.

S’étendre ou densifier ?

La doctrine urbanistique en faveur de la densification pavillonnaire ne fait cependant pas l’unanimité. De manière générale, les élus ont en effet tendance à limiter celle-ci, afin d’éviter les conflits dus à des voisinages trop rapprochés, car la densification a évidemment un impact sur les parcelles voisines. De son côté, la critique écologiste fait observer que la densification des jardins est un obstacle à la biodiversité, alors que les jardins publics et privés (que le ministère de l’Agriculture a tort de classer comme « terres artificialisées ») peuvent représenter la moitié de la superficie de certaines communes, y compris dans la populeuse Seine-Saint-Denis. Iudo annonce que 90 % des surfaces de jardins seront préservées : ce serait vrai à l’échelle du quartier mais bien sûr pas à celle de la parcelle densifiée, qui verrait son jardin être construit en totalité ou presque.

Construire la ville sur la ville, ou continuer le grignotage des terres agricoles ? La première option, a priori la plus raisonnable, est en fait discutée à l’heure où les agronomes admettent que nombre de terres agricoles, désormais stériles, ne produisent plus que perfusées par des engrais chimiques. Construire sur les jardins pavillonnaires ou sur les champs cultivés ? S’étendre ou densifier ? Croître ou décroître ? Le débat est loin d’être clos.

Densifier chez soi ou diviser sa parcelle ?

La démarche de Iudo se distingue de surcroît de celle de bimby par l’absence de division parcellaire préalable, ce qui n’est pas une mince différence.

Iudo propose en effet de construire chez soi, sur sa maison ou sur son terrain, dans son jardin, ce qui suppose que l’habitant en place se fera constructeur, voire promoteur. Or, si l’on voit bien que les architectes de la start-up Iudo ont pu, pour cet exercice sans conséquence, convaincre huit ménages de jouer le jeu, on doute que ceux-ci puissent s’engager dans la démarche financière et réglementaire de construire. Car pour quoi faire ? Revendre ? Gérer ? Louer ? Ce n’est pas un hasard si, dans le monde réel, la densification est réalisée par division parcellaire, qui implique que le nouvel acquéreur a un vrai désir, un vrai projet de construire. En omettant l’étape, essentielle, de division parcellaire, certes pour une bonne raison (« ne pas contribuer à une hausse du foncier »), Iudo en reste à un exercice qui ne vaut plus que par la capacité des architectes à mettre en forme des usages. Or, cela, on le savait déjà…

Bibliographie

  • Davis, M. 1997 [1990]. City of Quartz. Los Angeles, capitale du futur, Paris : La Découverte.

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Pour citer cet article :

Jean-Michel Léger, « L’avenir du pavillonnaire ne se fera pas sans ses (vrais) habitants », Métropolitiques, 7 février 2019. URL : https://metropolitiques.eu/L-avenir-du-pavillonnaire-ne-se-fera-pas-sans-ses-vrais-habitants.html

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