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Débats

Bâtiment et climat : la guerre des normes n’aura pas lieu

Après les normes HQE et BBC, la réglementation thermique 2012 atteste de la rapide montée en puissance du développement durable dans le secteur du bâtiment. Ce processus conduit pourtant à une focalisation sur la performance énergétique, laissant de côté d’autres enjeux environnementaux.


Dossier : Fabriquer la ville à l’heure de l’injonction au « durable »

Cet article retrace les principales étapes de l’opérationnalisation de la durabilité dans le secteur de la construction de bâtiments : depuis l’émergence de démarches multicritères HQE (Haute qualité environnementale) à la réglementation thermique de 2012 (RT 2012) en passant par le label de performance énergétique Effinergie.

Le développement durable est l’objectif principal de l’association HQE créée en 1996 ; la protection de l’environnement celui de l’association Effinergie, qui a porté et promu le label BBC (Bâtiment basse consommation) depuis sa création en 2006. La dernière version de la réglementation thermique nationale s’en inspire amplement.

Le label BBC a supplanté en quelques années la démarche HQE dans les discours et les préoccupations des acteurs du bâtiment. Comment et pourquoi la mise en œuvre du développement durable à l’échelle du bâtiment, initialement incarnée par la démarche HQE, s’est-elle progressivement rétrécie à la question de la performance énergétique des bâtiments ?

Essor de la démarche HQE

L’association HQE a été créée en 1996, un an avant le protocole de Kyoto. À l’origine, elle associe quelques professionnels et des représentants des secteurs de la construction ayant participé à l’ATEQUE (Atelier d’évaluation de la qualité environnementale des bâtiments) financé par le PUCA (Plan urbanisme, construction, architecture) (Henry et Paris 2009 ; Cauchard 2010). L’association HQE [1] diffuse en 2001 un référentiel technique de qualité environnementale des projets de bâtiments [2] ainsi qu’un système de management d’opération inspiré de la norme ISO 14000 [3]. La démarche HQE définit un processus d’évaluation des impacts d’un bâtiment sur son environnement : confort et santé pour les habitants, bruit, qualité de l’air, déchets et qualité de l’eau... au-delà du bâtiment.

En quelques années, la HQE devient un objet-valise [4], symbiose entre une utopie citoyenne tout autant planétaire qu’individuelle et des intérêts projetés par chacune des professions de la construction. Cherchant à promouvoir leur exemplarité en matière de développement durable, les collectivités s’emparent du qualificatif pour désigner leurs projets. La principale revue professionnelle, Le Moniteur du bâtiment et des travaux publics, participe à cette promotion en présentant les multiples projets auto-déclarés HQE. Une part croissante des professionnels se convainc que la démarche HQE préfigure l’avenir du bâtiment [5].

La malléabilité de la démarche permet de s’en revendiquer, quel que soit son niveau d’engagement. De nombreux maîtres d’ouvrage mettent en avant la démarche pour obtenir des subventions ou acquérir une image vertueuse ; les plus consciencieux revisitent leur propre référentiel technique et s’impliquent dans le pilotage environnemental du projet. De nombreux architectes ajoutent des dispositifs techniques facilement observables depuis les espaces publics et aussitôt qualifiés « HQE » ; les plus consciencieux introduisent l’évaluation environnementale dans leur processus de conception. En aval, les entreprises d’exécution peinent, cependant, à constater des changements en dehors de quelques dispositifs techniques.

L’effervescence autour de la HQE et sa mise en œuvre disparate vont contribuer à l’émergence rapide d’une nouvelle profession : au-delà d’une caution marketing (la légitimité que les projets tirent de l’implication d’un professionnel reconnu), l’AMO-HQE (assistant au maître d’ouvrage spécialisé en HQE) aide le maître d’ouvrage à fixer des objectifs, évalue la qualité environnementale en cours de conception et pousse, si nécessaire, les différents professionnels à traiter de façon transversale des problèmes environnementaux (Debizet et Symes 2009).

Une certification HQE contraignante nécessitant de nouvelles compétences

Au début des années 2000, l’association HQE s’engage dans la certification de sa démarche. Elle s’adosse aux organismes certificateurs du bâtiment [6] pour la mettre au point. Déposées à l’AFNOR (Association française de normalisation), les normes « démarche HQE » définissent les performances du bâtiment et formalisent les interactions du maître d’ouvrage et de ses prestataires. Elle laisse au maître d’ouvrage le choix des cibles prioritaires.

Désormais, seuls les projets certifiés par des organismes spécialisés peuvent s’afficher HQE. La certification contraint les professionnels de la construction : les cibles HQE introduisaient de nouveaux sujets de dialogue entre professionnels ; la traçabilité des décisions l’impose désormais. De nouvelles compétences transversales sont requises dans les métiers de la conception traditionnellement caractérisés par une répartition jurisprudentielle des responsabilités entre architecte et ingénieurs. Les premières années, la demande en « compétences HQE » est largement supérieure à l’offre. Les pionniers de la mouvance HQE (Henry et Paris 2009) ouvrent des cabinets spécialisés. Des groupements de maîtrise d’œuvre intègrent les rares spécialistes HQE afin de répondre aux attentes des maîtres d’ouvrage et d’acquérir, par l’expérience du projet, les compétences qui permettront de se passer d’eux par la suite. Progressivement, des architectes opèrent un tri : ils délaissent les exigences HQE intéressant peu les maîtres d’ouvrages, développent en interne celles qui correspondent à leur cœur de métier, laissent aux ingénieurs celles requérant une expertise technologique et calculatoire. Il reste aux AMO-HQE le management de la qualité environnemental (Debizet et Symes 2009).

En principe, le maître d’ouvrage est censé choisir les cibles prioritaires (niveau très performant) en fonction du site d’implantation et des finalités du bâtiment. En fait, les cibles relatives à l’énergie s’avèrent systématiquement choisies, au détriment de cibles plus spécifiquement environnementales telles que les éco-matériaux, le tri des déchets, l’acoustique et la qualité de l’air [7]. De façon générale, les maîtres d’ouvrage espèrent ainsi compenser une partie du surinvestissement HQE par des économies d’énergie [8], économies qui peuvent être estimées en phase de conception.

Le nouveau quartier de Bonne à Grenoble © G. Debizet

Reconnaissance administrative du label BBC et essor de la certification Effinergie

Maîtres d’ouvrage des lycées et institutions politiques impliquées dans la lutte contre le changement climatique, plusieurs conseils régionaux ont créé l’association Effinergie en 2006 afin de développer un label français s’inspirant du label suisse Minergie, qui correspond à une consommation énergétique moitié moindre que le plafond fixé par la réglementation thermique.

Effinergie mobilise rapidement des collectivités territoriales et des associations environnementales et presse le ministère en charge du secteur de la construction de définir le label BBC. Elle souhaite aussi que les organismes certificateurs proposent une certification « Effinergie » correspondant à ce label. Afin d’imposer son point de vue, Effinergie critique la démarche HQE pour sa lourdeur et sa faible exigence énergétique et suspecte ouvertement les organismes certificateurs de privilégier une certification complexe, coûteuse et rémunératrices pour eux-mêmes.

Nonobstant certaines réticences en son sein, le label BBC s’avère opportun pour le ministère car il permet de tester une performance énergétique très ambitieuse. L’instauration du label BBC légitime les collectivités locales pionnières qui conditionnent leurs subventions, notamment au logement social, à l’atteinte de ce niveau de performance. La certification Effinergie (correspondant au BBC) ouvre la voie à des déductions fiscales et des aides de l’État.

Les organismes certificateurs proposent Effinergie comme une option de leurs certifications en veillant, par la communication et une politique tarifaire, à ne pas rendre la certification de base Effinergie+ trop attractive par rapport aux certifications HQE. En 2009, l’option Effinergie a encore peu de succès si ce n’est dans les régions où les collectivités locales majorent leur subvention au logement social en cas de certification Effinergie. Fin 2010, en conformité avec les orientations du Grenelle de l’environnement, le gouvernement finit par conditionner une grande part des déductions fiscales pour l’investissement immobilier (dispositif Scellier) à l’obtention du label BBC : la certification Effinergie connaît alors un succès extrêmement rapide dans l’habitat collectif privé.

Les maîtres d’ouvrage s’adaptent assez facilement à la certification Effinergie. Certes, deux exigences Effinergie modifient sensiblement la donne et requièrent d’importants ajustements entre les praticiens [9], mais la disposition essentielle de réduction de moitié de la consommation énergétique s’inscrivant dans les pratiques des ingénieurs thermiciens [10], elle ne requiert une nouvelle approche de l’isolation thermique que dans les régions dont l’hiver est rigoureux.

La réglementation thermique nationale : un aboutissement de la démarche HQE et du label Effinergie ?

À quelques nuances près, la nouvelle réglementation thermique 2012 a repris les dispositions de la certification Effinergie. La démarche HQE a permis l’adhésion de pionniers influents au sein de chacune des branches professionnelles de la construction, grâce à la diversité de ses critères et la possibilité de choisir les cibles prioritaires. L’association Effinergie a bénéficié des retours d’expériences HQE menées par de nombreux maîtres d’ouvrage, afin de créer le label Effinergie dans l’optique de préfigurer le contenu de la prochaine réglementation thermique. Les déductions fiscales Scellier conditionnées à la certification Effinergie ont permis au ministère de tester de façon massive les principales dispositions de la réglementation thermique 2012, réglementation dont il a le contrôle exclusif. Et, finalement, l’État n’a imposé que ce qui était largement bien partagé par les maîtres d’ouvrage et correspondait à son champ d’action usuel.

Les pionniers de la démarche HQE n’imaginaient sans doute pas que la performance énergétique des bâtiments neufs serait presque trois fois meilleure en 2013 qu’elle ne l’était à la fin des années 1990. Il n’en reste pas moins que la focalisation sur la performance énergétique du bâtiment a occulté des enjeux environnementaux qui restent essentiels (y compris du point de vue du changement climatique) : à la liste des cibles HQE délaissées, telles que la nature des matériaux de construction, le tri des déchets ménagers, le confort visuel et la qualité de l’air, il conviendrait d’ajouter l’encouragement des modes alternatifs à l’automobile.

Bibliographie

  • Cauchard, Lionel. 2010. Les collèges d’experts et la fabrique de la normalisation technique. Hybridation Normative et Performation de la Haute Qualité Environnementale (HQE) des Bâtiments en France, thèse de doctorat en sociologie, université Paris-Est.
  • Debizet, Gilles et Symes, Martin. 2009. « Expertise and Methodology in Building Design for Sustainable Development », in Cooper et Symes (dir.), Sustainable Urban Development. Volume 4 : Changing Professional Practice, Londres : Routledge, p. 197-228.
  • Flichy, Patrice. 1995. L’innovation technique. Récents développements en sciences sociales vers une nouvelle théorie de l’innovation, Paris : La Découverte.
  • Henry, Éric et Paris, Magali. 2009. « Institutional dynamics and institutional barriers to sustainable construction in France, Great Britain and the Netherlands », in Cooper et Symes (dir.), Sustainable Urban Development. Volume 4 : Changing Professional Practice, Londres : Routledge, p. 171-196.
  • Ratouis, Olivier. 2003. « Présentation » du dossier « La ville, entre dire et faire », Mots. Les langages du politique, n° 72, p. 3-9.

Article modifié le 19 novembre 2012.

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Pour citer cet article :

Gilles Debizet, « Bâtiment et climat : la guerre des normes n’aura pas lieu », Métropolitiques, 9 novembre 2012. URL : https://metropolitiques.eu/Batiment-et-climat-la-guerre-des.html

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